Mgr Bienvenu MANAMIKa Archevêque de Brazzaville
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LA MÉMOIRE BIAYENDA


 
 
 
 

IL Y A 35 ANS, LE CARDINAL ÉMILE BIAYENDA FUT ASSASSINÉ (1)

Pour les besoins de l’histoire, nous allons dans la juste mesure retracer les derniers instants de la vie de notre bien aimé, le bon Cardinal Émile Biayenda. Aussi, nous n’allons pas faire appel à des faux-témoins, comme les membres du Sanhédrin, devant Pontius Pilatus, cherchant à condamner Jésus de Nazareth. Ceux et celles qui ont vécu ces événements, au plus profond de leur cœur, et au plus vif de leur chair, peuvent témoigner ; ceux à qui il appartient d’en juger, d’en douter ou d’en recueillir l’eau et le sang des corps crucifiés le feront. Après tout, tous, nous verrons ceux que nous avons transpercés : « Celui qui a vu a rendu témoignage, et son témoignage est conforme à la vérité, et d’ailleurs celui-là sait qu’il dit ce qui est vrai, afin que vous croyiez » (Jn 19,35-36).

1. L’enlèvement

« Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour, et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie pour moi la sauvera » (Lc 9,23).

Cardinal Émile Biayenda

La rédaction du Message terminée, les responsables des confessions religieuses se séparent et se souhaitent du courage pour les jours à venir. Le Cardinal Biayenda et son Vicaire Général ont la charge de transmettre aux destinataires le texte final signé. Ils regardent partir leurs hôtes, s’échangent quelques avis et se séparent. Le Cardinal regagne son bureau et se met à réciter son chapelet.

Deux ou trois enfants du voisinage font des pirouettes, avec leurs bicyclettes, devant la Cathédrale Sacré-Cœur et sur la première portion de l’Avenue …. Une camionnette Land Rover à trois compartiments est arrivé, dérangeant les enfants. A son bord des gens armés, certainement des militaires. Il est presque 16h45, quand ils montent chez le Cardinal Biayenda et l’invitent à se rendre à l’État Major, pour une séance d’éclaircissement avec les membres du Comité Militaire du Parti. Le Cardinal accepte de venir, mais avec son Vicaire Général et si possible dans leur propre voiture. Ceux-ci ne refusent pas la proposition, mais pensent que M. l’Abbé Badila peut les suivre à l’État Major, tandis qu’eux et le Cardinal précèdent, pour ne pas faire attendre les autorités. Le jour décline et l’ambiance de la ville n’est pas à trop traîner dans ce qui doit se faire. Celui qui semble être le responsable des occupants de la camionnette insiste et : « Monseigneur, avec tout ce qui se dit dans la ville, vaut mieux ne pas compliquer les choses ».

Le mal de tout le pays saisit le bon Cardinal Émile Biayenda et lui dévore les entrailles. Il voit les injustices, les massacres, les tortures, les cris de détresse, les pleurs, les flots de sang qui ont déjà couler dans ce pays. S’il est besoin que sa personne en réduise le débit ou devienne un témoignage visible pour tous, il répond présent ! Il choisit librement de souffrir avec l’Église, le Congo, les sans voix, tous ceux du Nord, du Centre et du Sud qui n’ont plus que Dieu pour entendre leur cri de détresse.

« Que votre cœur ne se trouble pas »
(Jn 14,1).

Toutes les paroles de l’Évangile sont faites pour que les chrétiens les relisent positivement ou négativement dans leur vie. Le Prince de l’Église universelle, le Cardinal Émile Biayenda monte dans la camionnette. La vieille résidence épiscopale n’a plus rien à envier au jardin de Gethsémani, elle perd son hôte si fervent, humble et ami du Fils de l’homme : « Jésus répondit : « Je vous ai dit que c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez ceux-là s’en aller », afin que s’accomplît la parole qu’il avait dite : « Ceux que tu m’as donnés, je n’en ai perdu un seul. » (Jn 18,8-9). M. l’Abbé Badila n’arrivant pas, la camionnette démarre en trombe. Le Cardinal Biayenda est assis à côté du chauffeur. A l’un des jeunes gens qui traînent sous la véranda, il laisse un dernier mot : « Allez dire à M. l’Abbé Louis qu’ils m’ont amené à l’État Major… ». Pour la deuxième fois, la camionnette dérange les enfants cyclistes du Sacré-Cœur.

Sœur Jacqueline Moundele, Religieuse Congolaise du Rosaire, était là, elle se souvient : « Il était très calme, mais on le sentait préoccupé par les événements. Je l’ai personnellement vu monter dans la Land-Rover, lorsque des militaires armés sont venus le chercher. J’étais assise devant la Cathédrale, sous la statue de Saint Pierre. Je l’ai vu discuter avec les militaires, ensuite monter dans la Land-Rover. Avant de monter dans la voiture, il a sorti son mouchoir et s’est essuyé le visage. J’ai vu son regard. Il a dû réaliser qu’il partait vers la mort. La place de la Cathédrale était déserte, mais il y avait deux petits enfants des voisins du quartier qui faisaient du vélo et qui avaient suivi la scène. L’un d’eux s’est écrié : « T’as vu, ils vont charger sur le Curé ! ». Quelques minutes après leur départ, M. l’Abbé Badila est arrivé et ayant appris la nouvelle, il a suivi le véhicule ».

La camionnette est lancée à vive allure dans les profondeurs de la ville. Passe-t-il réellement à l’État-major ? Nous ne le saurons pas. M. l’Abbé Louis Badila, qui s’y rend, est tout d’abord retardé au rond-point des Arcades, par un contrôle d’identité, ensuite, il est complètement bloqué à l’entrée de l’État-major, du côté de l’Hôtel de Ville. Un des gardes lui fait remarquer que le véhicule est passé par ici, mais la rencontre a lieu au domicile d’un Officier Supérieur.

Il a été semé par les autres et aucune de ses rondes dans le secteur n’aboutiront. D’instinct, il s’en remet à son ami et frère, Placide. Son épouse d’alors témoigne : « Il est 17h 00 ou plus, quand M. l’Abbé Louis Badila arrive précipitamment à la Maison. Il fait part à Placide de l’enlèvement du Cardinal. M. l’Abbé fait le récit et ils ont décidé de téléphoner aux officiers qu’ils connaissent mieux : les Colonels Makumbu, Missontsa et Sylvain Ngoma ». Il revient à l’Archevêché, où quelques prêtres et religieuses attendent, dans l’angoisse, son retour. Une nuit de veille commence, l’oreille du Vicaire Général rivée au téléphone. Un officier appelle régulièrement et donne des informations sur le déroulement des recherches.

 

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