Mgr Bienvenu MANAMIKa Archevêque de Brazzaville
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LA MÉMOIRE BIAYENDA


 
 
 
 

Première homélie de Mgr Anatole Milandou, évêque auxiliaire de Brazzaville janvier 1984

CATHOLIQUE CONGOLAIS : OÙ VA TON ÉGLISE ?

Aussitôt après son ordination épiscopale le dimanche 28 août 1983, au stade Félix Éboué, le nouvel évêque auxiliaire de Brazzaville, Mgr Anatole Milandou était parti à Rome suivre un recyclage sur le nouveau Code de droit canonique. À son retour, en janvier 1984, il a célébré dans les jardins de la cathédrale, l’actuel Place Mariale, sa première messe pontificale devant une foule nombreuse et fervente de chrétiens venue de toutes les paroisses de l’archidiocèse de Brazzaville. A l’occasion de cet anniversaire, nous faisons mémoire de cette première homélie du nouvel évêque lorsqu’il martela : « La Parole du Seigneur nous met en garde sur tout royaume divisé contre lui-même. Il ne peut aller qu’à sa ruine ». En voici l’intégralité.

Monseigneur Barthélemy Batantu,
Chers Prêtres, Religieux, Religieuses,
Chers Frères et Sœurs.

Mgr Anatole Milandou

Vous tous qui êtes ici présents, venus de différentes paroisses de Brazzaville, pourquoi êtes-vous venus ?

Quel motif vous a poussés à venir au grand rassemblement de ce matin ?

Peut-être une simple curiosité ? Allons voir ce jeune Évêque, qui après son sacre, s’était aussitôt dérobé à nos yeux.

L’enthousiasme ? L’année 1983 a été fertile en événement religieux. Nous y avons pris goût. Et la cérémonie d’aujourd’hui est une occasion à saisir peut-être pour renouer avec le passé et nous replonger dans l’atmosphère de la fête.

Mais peut-être, est-ce une impulsion intérieure qui soit la réponse sincère et directe à l’invitation de Monseigneur l’Archevêque, pour rendre grâce à Dieu de tous les bienfaits dont il n’a cessé de combler notre Église du Congo. Si c’est cela, qu’il me soit alors permis de dire comme le psalmiste :

« Venez, crions de joie pour le Seigneur, Acclamons notre Roger, notre Salut, Allons jusqu’à Lui en rendant grâce, Par nos hymnes de fête, acclamons-Le ».

Aujourd’hui, notre Dieu qui est Dieu de joie, nous dit par son Fils Jésus :

« Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse » (Mt 5,12).

Soyons heureux d’être assemblés ici.

Oui je suis heureux d’être ce matin parmi vous, afin de célébrer l’Eucharistie, de louer le Seigneur pour toutes les merveilles qu’Il a créées et qu’Il continue de créer au sein de l’Église du Congo, cette Église centenaire.

Honneur, louange et gloire soient rendus à Dieu le Père créateur du ciel et de la terre, à Dieu le Fils qui pour sauver le genre humain, a appelé les premiers apôtres et ne cesse d’appeler aujourd’hui encore au milieu de son peuple : Évêques, prêtres, religieux et religieuses, catéchistes et tout homme à une vocation unique, malgré notre indignité et nos péchés.

Oui le Seigneur a mis la main sur moi malgré mon indignité, malgré mes faiblesses.

Je me tromperais largement si je tirais gloire de mes prétendus mérites.

Je serais faux et ambitieux si je tirais orgueil de cette charge d’évêque. St Paul, ancien persécuteur de l’Église, connaissant la lourdeur du péché nous parle en homme d’expérience.

« Tout Pontife, en effet, est choisi parmi les hommes et établi pour les hommes en médiateur dans leur relation avec Dieu, avec la charge d’offrir les dons et les sacrifices pour les péchés. Il sait compatir à ceux qui sont dans l’ignorance et dans l’erreur parce que lui-même est sujet à la faiblesse et, pour cette raison, il doit offrir les sacrifices tant pour ses péchés que pour ceux du peuple. Et nul ne s’en arroge l’honneur ; celui-là seul le reçoit, comme Aaron. Ainsi, le Christ ne s’est pas attribué à lui-même la gloire d’être pontife » (Héb. 5,1-5).

C’est à vous donc qu’il incombe de m’aider à réaliser cette vocation, cette charge non pas comme l’humain qui est en chacun le voudrait, mais comme l’Évangile le commande.

C’est dans cet esprit que Saint Augustin, évêque, dans le passage d’un sermon sur les pasteurs disait :

« Quant à nous, nous occupons cette fonction qui oblige à une dangereuse reddition de comptes, parce que le Seigneur nous y a placé non pas selon notre mérite, mais par condescendance. Et nous devons faire une distinction nette entre deux choses ; l’une, c’est que nous sommes Évêque. Que nous soyons chrétiens, c’est pour nous, que nous sommes évêques, c’est pour vous. En tant que chrétien, nous devons veiller à notre propre avantage, en tant qu’évêque, à votre avantage uniquement ».

Honneur, louange et gloire, disais-je à Dieu le Fils, le fondement de toute vocation, mais grâces soient aussi rendues à Dieu le Saint esprit qui dirige, vivifie et sanctifie l’Église.

Comment ne pas louer la Sainte Trinité pour tous les bienfaits invisibles que l’œil humain ne peut percevoir et pour tous les bienfaits visibles dont beaucoup d’entre vous ont été témoins cette année.

Est-il besoin de rappeler ici : les mémorables rassemblements de Linzolo et de la clôture du Centenaire.

Ils n’ont pas été, des manifestations purement extérieures et spectaculaires. Au contraire, semblables à ceux du peuple d’Israël sous la direction de Moïse, d’un Aaron, d’un Josué, ces rassemblements ont été pour les chrétiens, un rendez-vous, une rencontre avec Dieu, avec les autres. Une rencontre pour renaître à une vie nouvelle, pour diffuser leur espérance, pour renouveler leur choix et réaffirmer leur foi en Yahvé le Créateur.

Dieu a été riche en miséricorde, en ces temps particulièrement forts de la célébration du centenaire. En ces moments privilégiés, nous avons pu jauger l’amour envers son peuple. Les rencontres avec le Père Tardif sont venus ajouter aux merveilles dont nous gratifie le Père des Cieux sans portant méconnaître tous ceux qui ont été bénéficiaires d’un geste exceptionnel de Dieu, lors de ces rencontres, il nous fait aussi reconnaître le nombre de faveurs divines imperfectibles par nos yeux d’homme, faveurs que Dieu nous accorde dans le quotidien de nos vies.

Toutes ces nombreuses grâces dont notre Église a été comblée sont bien le résultat de cette Parole de Dieu jetée en terre congolaise par les Missionnaires, il y a cent ans. Des missionnaires, à la suite des apôtres, obéissant à l’ordre du Seigneur, d’aller enseigner toutes les nations, sont partis, tel le semeur de l’Évangile pour semer la Parole de Dieu. Malgré toutes les difficultés que comporte la mission, malgré toutes les tribulations qui accompagnent la prédication et la présence en même temps de l’ivraie partout où est semé le bon grain, malgré les persécutions venues des hommes, cette parole a pris racine. Cette Parole parfois tombée sur le sol pierreux ou sur les épines est aussi tombée sur la bonne terre et a rapporté du fruit, tantôt cent, tantôt soixante, tantôt trente pour un.

Au seuil de ce deuxième centenaire, il appartient à chaque baptisé de porter en terre une semence de qualité pour qu’au moment voulu elle produise du fruit en abondance.

Travaillons à accroître l’héritage reçu, cet héritage du 1er centenaire si chèrement et généreusement acquis par les premiers missionnaires.

Gardons-nous de le souiller. Mais comment ne pas le souiller si par un esprit partisan, nous divisons, nous écartelons, nous désorganisons. À qui profitent nos dissensions ?

Les Évêques du Congo, dans leur message depuis Loubomo, nous mettant en garde contre le mal qui ronge notre Église, s’exprimaient comme suit : « Mais le vieil homme, issu du péché est là, toujours à l’assaut. Il ne veut se laisser vaincre, ni perdre sa conquête. Dans la rage de la haine et de la jalousie, il s’applique à arracher au Christ le royaume que l’Église Missionnaire lui conquiert :

- Catholique congolais, où va ton Église ?

- Catholique congolais, qu’as-tu fait de ta foi ?

- Catholique congolais, quelles est ton espérance ?

Eh oui ! Où va-ton Église ?

Lorsque de l’extérieur comme de l’intérieur, le vent du mensonge et de la calomnie secoue cette barque, Satan se met en travers de l’œuvre du Seigneur. Satan le calomniateur par définition jaloux de la grande communion vécue à Louango, à Linzolo, à Owando, à la clôture du centenaire, veut disperser, veut diviser pour mieux régner, veut abattre l’immense œuvre spirituelle dont nous avons pu apprécier l’importance à Linzolo.

La Parole du Seigneur nous met en garde sur tout royaume divisé contre lui-même. Il ne peut aller qu’à sa ruine.

L’unité est une force. La désunion est un ferment maléfique qui détruit. N’est-ce pas un des signes de Satan que la division, la mésentente. Le monde d’aujourd’hui est tragiquement marqué par un esprit de ce genre qui empêche des couples de se comprendre, des parent s et des enfants de se parler ; des groupes humains entiers de se reconnaître ».

Cette situation est révélatrice d’un mal beaucoup plus profond, un mal qui ronge le cœur de l’homme. Le manque d’unité chez le chrétien, dans sa personne, traduit une dispersion de son être. Alors, il n’est plus vrai dans son comportement, dans son travail et dans ses relations humaines.

En cette année où nous devons vivre d’une manière particulière la grâce de la réconciliation, chacun doit se remettre en question pour retrouver l’unité de son être. L’appel de Dieu s’adresse à chaque chrétien au sein de ses défaillances et l’invite à rentrer dans l’esprit des béatitudes.

Car malgré toutes les difficultés qui jalonnent notre chemin, la place que tient l’avenir dans la vie religieuse du peuple de Dieu que nous sommes appelés est de choix.

Oui, nous sommes appelés à un avenir de bonheur auquel sont conviés tous les hommes. Les promesses de Dieu ont révélé à son peuple la splendeur de cet avenir qui ne sera pas une réalité de ce monde mais « une patrie meilleure, céleste » He. 11,16).

Dépassons nos divisions, nos instincts tribaux. Mettons notre confiance en Dieu, en sa fi délité et la foi en ses promesses, car elles seules garantissent la réalité de cet avenir radieux que le Seigneur nous propose. Espérer contre toute espérance.

Cependant, la participation à cet avenir ne demeure pas sans problème : elle est pleine d’exigences. Elle dépend d’un amour fidèle et surtout patient.

C’est une exigence difficile, mais par laquelle il faut pourtant passer.

Aussi, ne devons-nous pas compter sur nous-mêmes pour atteindre cet avenir. Espérer et toujours espérer dans la confiance de Dieu en qui nous croyons et qui rend notre liberté capable d’aimer tout homme et tout l’homme pourquoi pas ?

Notre espérance n’aura de bases solides qu’enracinée dans la foi et dans la confiance et c’est à travers elles qu’elle peut soulever de son dynamisme toute la vie du croyant.

Espérer contre espérance, car l’espérance est un acte d’homme, fait de confiance naturelle, de grâce divine mais aussi de libre décision. Ne perdons pas les pieds, Dieu nous fortifie, car il est Père aimant. Il est aussi important que nous nous fortifions nous-mêmes d’avance et d’abord en priant. Si le salut est rencontre avec Dieu, la prière nous met déjà en contact actuel avec lui. « La zone d’espérance est aussi celle de la prière » (Gabriel Marcel).

Qui espère prie chaque jour, qui prie chaque jour espère. La réponse de Dieu à notre prière ne fait pas de doute, nous l’avons vu dans le 37e épisode du feuilleton Arnold et Willy que nous apprécions tous. Dieu vient à notre rencontre. La rencontre de Dieu et l’homme se fait souvent après bien de détours, dans les circonstances de l’existence de chacun. Personne n’est laissé dans l’ignorance complète ou dans le désespoir absolu. Toute plainte est entendue ; la peine te l’angoisse elles-mêmes contiennent sans doute un appel, alors décelons-le.

Au dire de l’Évangile « Le Royaume est une pierre précieuse » pour lequel on vend tout, non point à l’aveuglette, mais pour faire le meilleur placement. L’espérance est une course au trésor. Non pas folle. On n’agit pas à la légère. L’espérance ne se place qu’en Dieu car Lui seul est le « rocher ». Elle est la réponse de la créature à Dieu notre Père.

À l’aube de ce 2e centenaire, le prophète Sophonie nous invite à rechercher le Seigneur :

« Recherchez tous le Seigneur, vous les humbles du pays, qui mettez sa loi en pratique. Recherchez la justice, recherchez l’humilité. Peut-être serez-vous à l’abri au jour du courroux du Seigneur » (Sophonie 2,3) ; Mais il y a recherche et recherche. Il y a la recherche d’Hérode. Habité par l’ambition et la mauvaise foi, il veut simplement étouffer dans l’œuf tout ce qui sembler menacer son trône. Il y a la recherche des Mages, la vraie. Les Mages vont à la découverte du Seigneur afin de l’adorer et de se remplir de lui ; A la manière des Mages d’André et ses compagnons, à la manière de Marie-Madeleine, cherchons le Seigneur. Il est la lumière qui doit éclairer nos vies :

- pour que se dissipent les ténèbres opaques qui enveloppent nos existences ;

- pour que cessent l’égoïsme et l’orgueil qui tuent en nous l’esprit de pauvreté et d’humilité ;

- pour que disparaissent les jalousies qui nous empêchent de reconnaître nos frères ;

- pour que soient aussi bannies nos rancunes qui retardent la paix entre nos frères.

Alors se réalise un jour la prophétie de Sophonie :

« Les survivants d’Israël s’abstiendront du mal, ils ne diront pas de mensonge ; il ne se trouvera plus dans leur bouche de langue trompeuse, car ils brouteront et gîteront sans que personne les inquiète ».

Amen.

Mgr Anatole Milandou
Évêque auxiliaire de Brazzaville
Janvier 1984

 

 


 
 
 
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