jeudi 29 août 2024
Peu avant sa mort, Émile Cardinal Biayenda se réunit avec les autres membres du Conseil œcuménique des églises chrétiennes du Congo. Au cours de cette rencontre du 22 mars 1977, travaillant à la rédaction d’un message de condoléances adressé au Comité Militaire du Parti (CMP), à l’occasion du décès du président de la République, le commandant Marien Ngouabi, le Cardinal écrivait entre autres : « A tous nos frères croyants, du nord, du centre et du sud, en mémoire du président Marien Ngouabi, nous demandons beaucoup de calme, de fraternité et de confiance en Dieu, Père de toutes races et de toutes tribus, afin qu’aucun geste déraisonnable ne puisse compromettre un climat de paix que nous souhaitons tous ».
La pertinence de ce message - testament du Cardinal Émile Biayenda -, rédigé dans un esprit de communion d’enfants de Dieu, unis dans la diversité de leurs charismes, continue à nous interpeller et reste d’actualité. Raison pour laquelle, nous nous proposons de le relire dans le contexte actuel du vivre ensemble des croyants au Congo. Au fait pourquoi un tel message ?
Ce message – testament du Cardinal Émile Biayenda - est écrit le 22 mars, soit quatre jours après l’assassinat crapuleux du président Marien Ngouabi, jamais élucidé jusqu’à nos jours. Et ce message avait entre autres buts de présenter les condoléances au CMP, éploré par la disparition tragique d’un des leurs camarades et d’apaiser les esprits des congolais surchauffés, apeurés et attristés par la mort d’un digne fils du pays, car la mort de ce dernier, le président Ngouabi, fut le début d’une terrible semaine sanglante à Brazzaville. C’est d’ailleurs dans ce contexte de violence politique que le Cardinal fut enlevé à son domicile et assassiné. Que s’est-il passé ?
Le Cardinal Émile Biayenda a été rendu responsable en dernier instant, de la mort du président Marien Ngouabi, tout simplement parce qu’il avait été reçu en audience par le président peu avant sa mort. Trois jours durant la radio nationale ne revenait que sur cette activité menée par le président de la République. Aussi, selon eux, il paraît que le Cardinal, en mettant pieds à l’État Major (résidence présidentielle), aurait, annihilé les puissances protectrices qui assuraient au président Ngouabi la pérennité de son pouvoir et donc de sa vie. Par vengeance, il fallait, à tout prix, procéder à l’élimination physique du Cardinal, signer l’arrêt de sa mort coûte que coûte.
Informé de ce que ses ennemis voulaient avoir sa tête, le Cardinal refusa les propositions de la délégation du Conseil Paroissial, venue droit de Moungali et de nombreuses personnes de quitter le diocèse pour sauver sa peau. Il fit preuve de courage face à la mort qui le guettait, en témoignent ses propos : « Être absent de Brazzaville serait une horrible catastrophe pour l’Église du Congo. J’y suis, j’y reste. Je préfère donner ma vie comme le Christ, pour sauver mon clergé et mon Église, que d’aller me cacher, je ne sais où. Il faut un ou plusieurs sacrifiés pour la paix de la nation. Prions beaucoup Marie, Mère de miséricorde, pour obtenir la paix et l’unité nationale, notre pays lui a été confié » (cf A. Tsiakaka, Émile Biayenda, grandeur d’un humble, éd. du Signe, Strasbourg, 1999. P.135).
Cette attitude courageuse du Cardinal Émile Biayenda face à la mort suscita une réunion extraordinaire du Conseil Œcuménique qui accouchera du fameux message – testament de Biayenda - que nous nous donnons de relire, point par point avec les yeux du cœur.
Épris de justice et de paix, voyant les Congolais en émoi et Brazzaville au bord de la guerre civile, le Cardinal Émile Biayenda, au nom de ses pairs du Conseil œcuménique des églises chrétiennes du Congo lança un appel pathétique pour exhorter tout le peuple congolais en ces termes : « A tous nos frères croyants, du nord, du centre et du sud, en mémoire du président Marien Ngouabi, nous demandons beaucoup de calme, de fraternité et de confiance en Dieu, Père de toutes races et de toutes tribus, afin qu’aucun geste déraisonnable ne puisse compromettre un climat de paix que nous souhaitons tous +.(cf. Idem, p.136). A scruter cette exhortation, il apparaît clairement que le Cardinal Émile Biayenda aimait beaucoup son pays et tous les Congolais sans distinctions aucune. D’où son message.
Ce message était adressé à tous les Congolais et essentiellement aux croyants. Du fait que tout bon croyant réalise qu’il existe un Dieu maître de la vie et de l’histoire, Créateur du ciel et de la Terre. Dispensateur de toutes les grâces et bénédictions aux hommes et à tout l’homme. La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, enseigne Irénée de Lyon. Cette vie de l’homme se veut intégrale, épanouie et paisible. Raison pour laquelle, le Cardinal Émile Biayenda s’en est fait l’apôtre de paix, de l’unité et de la fraternité. Tout comme le signifie la mission de l’Église, Sacrement du Salut de l’humanité, que précise Émile Biayenda en ces termes : « l’Église a pour raison d’être, de promouvoir la paix, l’unité, la fraternité. Elle s’est toujours considérée comme le début d’un monde unifié, d’une humanité fraternelle, en proposant à tous les hommes le motif essentiel de notre union en unité, à savoir que tous, croyants et incroyants, tous les hommes de toutes races, langues et nationalités, nous sommes frères, tous, nous n’avons qu’un Père, Dieu. Et, c’est dans la mesure où l’Église aura les mains libres pour annoncer cette bonne nouvelle à qui veut l’entendre que notre Église contribuera encore à l’unité des congolais » (cf. A. Miékoumoutima, Cardinal Émile Biayenda, p 49). En effet, l’unité des congolais n’aurait été cultivée en premier, pensait le Cardinal Émile Biayenda, que par ses frères croyants de partout, de toute l’étendue du territoire national ; pour reprendre ses termes par :
Tout croyant était donc invité à faire advenir le règne de paix dans son milieu de vie ; son foyer, sa famille, son quartier, sa ville, son village, sa région. De fil à aiguille, ces efforts de culture de la paix, du niveau familial et régional devaient s’étendre au niveau de toute la Nation Congolaise que le Cardinal Biayenda voulait de tous ses vœux unie à jamais, avec une demande spéciale :
Très sûr de ses mots, le Cardinal Émile Biayenda exhortait ses frères congolais à beaucoup de calme. Le calme, c’est l’absence d’agitation, de bruit ; c’est la maîtrise de soi. Le Robert Illustré d’Aujourd’hui assimile le calme à la paix, la quiétude, la sérénité et la tranquillité. C’est à toutes ces vertus que le Cardinal exhortait le Congo profond en ébullition dans un état de vive agitation, de surexcitation. Comme sel de la terre et lumière du monde, les croyants avaient la possibilité de calmer les tensions et les querelles intestines, au nom de leur appartenance à Dieu. Et les chrétiens devaient être les champions de la fraternisation dans le Christ que recommande Émile Biayenda.
D’après le Robert, la fraternité est le lien existant entre personnes considérées comme membres de la famille humaine. Cette fraternité s’entretient par la pratique de l’amour de Dieu et du prochain au quotidien ; De fait, en exhortant les congolais à la fraternité et à la confiance en Dieu, Émile Cardinal Biayenda les incitait à vivre en paix avec tous, en s’acceptant les uns les autres tels quels, sans distinction de tribus et de langues. Seul l’amour véritable et sans frontières devait les caractériser. Aussi, devaient-ils haïr le mal pour chercher toujours à faire le bien dans leur vie, tout en gardant confiance en Dieu, la joie de l’espérance, supportant les épreuves et persévérant dans la prière. Sans se faire justice soi-même, mais laisser agir la justice de Dieu, Père de tous (cf Rm 12,19).
Il arrive parfois que le croyant se sente abandonné de Dieu, au moment de la douleur, du malheur ou du deuil d’un être cher qui le frappe. Au point même d’accuser Dieu de ne projeter que les autres, le laissant croupir dans la misère et être frappé par le malheur. Nos cultures africaines entachées de paganismes réagissent mal parfois devant les événements qui nous blessent ou nous affligent, cherchant souvent des boucs émissaires à abattre comme des bêtes de somme. C’est alors que le Cardinal Émile Biayenda rappelle que notre Dieu est le Père de toutes les races et de toutes les tribus. Dieu est essentiellement amour (1Jn 4,8). Il nous aime tous et d’un même amour. Dieu est tout en tous, il aime le monde entier, toutes les races et toutes les tribus. Il n’aime pas uniquement les Juifs, contrairement à ce que ceux-ci pensaient, mais chaque individu, qu’il soit noble ou roturier, riche ou pauvre, blanc ou noir. Il nous aime tellement qu’Il a donné son Fils unique pour nous sauver (1Jn4, 9-10) tous, sans exception aucune.
Par conséquent, il n’est donc pas chrétien de nous croire plus ou moins aimé de Dieu que les autres, quelles que soient nos conditions de vie sociale, nos joies et nos peines. Car, rien n’est définitivement acquis pour aucune personne ni pour aucun peuple. L’histoire de l’humanité nous en a donné des leçons édifiantes. Cela va sans dire, pour le Cardinal Biayenda, que tout malheur qui nous frappe ne devrait pas nous pousser à poser des actes odieux, ignominieux, inhumains, bref, de geste déraisonnable compromettant le climat de paix souhaité par tous.
Un geste déraisonnable est un geste irréfléchi, irrationnel, barbare. Or, si par insouciance, par maladresse ou par pure méchanceté, les congolais s’étaient laissés entraîner dans la spirale de la violence interrégionale, interethnique ou interreligieuse, s’aurait été dramatique. Personne n’aurait eu intérêt, ni les hommes politiques, ni les hommes religieux, ni les journalistes, ni les jeunes étudiants et élèves, ni les jeunes de la rue (proie faciles des manipulations) à ce que le Congo basculât dans la guerre. Ça n’aurait pas été un jeu, mais le chaos, le carnage compromettant ainsi la paix si chère au cardinal Émile Biayenda qu’il défendait bec et ongle, au prix même de sa vie offerte en sacrifice, pour le salut du clergé, de l’Église et de la Nation congolaise, par un sermon irrévocable : « Je préfère donner ma vie comme le Christ, pour sauver mon clergé et mon Église, que d’aller me cacher je ne sais où. Il faut un ou plusieurs sacrifiés pour la paix de la nation (…) ». Comme quoi, heureux sacrifice de Biayenda qui sauvegarda la paix des citoyens congolais en 1977 et qui nous aurait épargnés des guerres fratricides aux conséquences incalculables connues au Congo, si et seulement si le message – testament de Biayenda - était scrupuleusement respecté.
Les circonstances de la mort du Bon Cardinal Émile Biayenda nous amènent à affirmer sans ambages que son appel au calme n’était même pas entendu. Pour preuve, après le président Marien Ngouabi, le Cardinal Biayenda fut à son tour assassiné, le 22 mars 1977, c’est-à-dire le jour même de la rédaction et de la diffusion de ce message de paix, adressé à tous les congolais, y compris les bourreaux commandités pour accomplir ce forfait. « Ils se sont attaqués à la vie du juste, chantera le psalmiste, ils ont déclaré coupable une victime innocente + Ps 94(93).
En tout état de cause, le Cardinal Émile Biayenda, pressentant sa mort venir, l’accueillit comme un agneau innocent qu’on amène à l’abattoir. Il importe de noter que, bon nombre de chrétiens meurent persécutés, à cause de leur foi au Christ.
ans l’Église des 1ers siècles, « ce fut le nom même de chrétien, en latin : « nomen christianum » qui fut cause de persécutions ». Les persécutions émanent des relations conflictuelles entre les chrétiens et leur entourage. Souvent, les chrétiens sont rendus responsables de toutes les catastrophes naturelles qui surviennent. Leur mode de vie inquiète et dérange. C’est pourquoi, ils sont traqués, persécutés et martyrisés, suivant le contexte géopolitique de la vie de leur Église. C’est ainsi que se comprend l’assassinat du Bon Cardinal Émile Biayenda. Dans ces conditions, sa mort devient une exaltation et une glorification de Dieu. Ce n’est donc que justice qu’il soit glorifié parmi les élus du ciel. Lui qui, par ses vertus et le sacrifice de sa vie, a témoigné du véritable amour de Dieu et du prochain.
Abbé Séraphin Koualou-Kibangou
KKS
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