jeudi 27 février 2025
Père René Tabard
Nous avons rencontré le Père René Tabard, de la Congrégation du Saint Esprit à la paroisse Saint Kisito, à Makélékélé, où il résidait pendant son séjour à Brazzaville courant novembre 2008. Pour lui, il pense qu’Il faudra peut-être prendre deux, trois ou quatre points accès autour de son existence et faire une espèce de campagne d’évangélisation sur le Cardinal Emile Biayenda, comme le fait le renouveau charismatique. Il y a un certain nombre de choses sur lui qu’il faille transmettre à la jeune génération. Voici l’intégralité de notre entretien.
La Mémoire Biayenda : Révérend Père, avez-vous connu le Cardinal Émile Biayenda ?
Père René Tabard : Oui, mais, je ne peux pas dire beaucoup de choses sur lui, car, il est mort deux ans après mon arrivée au Congo.
La M.B. : Vous aviez avec d’autres personnes organisé un colloque sur le vénéré pasteur à Paris, pouvez-vous nous faire le résumé de ces retrouvailles ?
P.R.T. : D’abord, je tiens à vous signaler que ces retrouvailles ont regroupé plus de 130 personnes, ce n’est pas mal, car quelques fois, il y a de ces colloques où le nombre de participation n’atteint même pas 30 personnes.
En réalité pour nous, le but visé était presque atteint. Il ne nous reste qu’à trouver un éditeur pour vulgariser les conclusions de ce colloque. Au cours de celui-ci, il y a eu des bonnes analyses sur le pouvoir traditionnel, le pouvoir sacré, le pouvoir politique, le pouvoir religieux, comment cela fonctionnait selon la tradition avec André Grénard Matsoua, en passant par Fulbert Youlou qui lui était prêtre et président de la République.
Tous ces aspects étaient bien analysés du point de vue sociologique et anthropologique au cours de ce colloque. Bref, je peux dire qu’on avait réussi ce que l’on voulait, c’est-à-dire faire de ces retrouvailles un colloque universitaire. Comme j’étais le premier animateur, j’avais attiré l’attention des uns et des autres en disant que ce colloque universitaire n’était pas là pour savoir qui a tué Biayenda etc., mais celui-ci était organisé pour réfléchir le plus scientifiquement possible au niveau des sciences humaines, comment pourrait-on éclairer la vie de Biayenda.
La M.B. : Après avoir suivi les interventions des uns et des autres, quelles idées avez-vous du Cardinal Émile Biayenda ?
P.R.T. : A mon avis, le but était d’éclairer par des analyses, mais, il faut aussi le signaler que nous avons raté une conférence qui devait nous parler du rapport entre le marxisme et la religion. Cette situation à mon avis a joué aussi sur ce qui était arrivé le 22 mars 1977. Les deux conférenciers n’avaient pas répondu à l’invitation. Le premier qui avait accepté n’avait plus confirmé, le deuxième qui pourtant avait accepté, était empêché en dernière minute par certaines obligations.
Ceci dit, le but de ce thème était de situer Émile Biayenda dans son époque et de montrer comment tous les éléments culturel, économique, social, culturel, historique, et spécialement le pouvoir religieux et traditionnel joue-t-il dans toute la société. Le but de ce colloque universitaire était d’éclairer la lanterne de celui qui fut le Cardinal du Congo. Plusieurs conférenciers se sont succédés pour nous parler de cet homme qui, à cette époque, faisait la fierté du peuple congolais. Au cours de ce colloque, lorsqu’on abordait l’analyse sur le fonctionnement de la société congolaise, de sa tradition, en tous les cas, il était très difficile de savoir qu’un tel était du nord, l’autre du sud ainsi de suite. Les quelques « mindélé » qui étaient-là, étaient très satisfaits de ce qui s’était dit à ce colloque.
La M.B. : Comptez-vous rééditer cet exploit à Brazzaville ?
P.R.T. : Non, nous n’avons pas l’intention. Je pense que lors de nos retrouvailles de Paris, nous avons fait le tour et nos attentes étaient presque comblées. Ce qui nous préoccupe en ce moment, c’est la publication des conclusions de tout ce qui s’était dit là-bas, pour que cela soit connu et lu par tous même ici au Congo.
Un des blancs qui avait pris part à ce colloque nous a dit : qu’au niveau de Rome, ces écrits pourront leur être aussi utiles pour la suite du processus de sa cause de béatification et de canonisation, voilà !
La M.B. : Tout au début de notre entretien, vous avez exprimé l’intention de le voir vous ordonner prêtre, mais, malheureusement il est mort bien avant cet événement. Qu’est-ce que ce pasteur vous a-t-il inspiré ?
P.R.T. : Je n’ai pas trop de souvenirs sur lui. Mais, il y’en a deux, trois ou quatre qui ne me quittent guère. Le premier souvenir, c’est lorsque, une fois, à l’Archevêché, je suis venu à la Procure, je ne sais avec qui, lorsqu’il nous avait vu, il nous avait invité à manger avec lui, je crois, c’était le petit déjeuner. A l’époque, je n’étais pas trop connu, j’étais encore un coopérant à Loango (diocèse de Pointe-Noire). Mais, ce qui m’avait vraiment impressionné en ce pasteur, c’est sa simplicité.
En ce temps-là, dans les années 70-71-72, je pense, qu’il était encore évêque. Le deuxième souvenir, c’est lorsqu’il était venu comme Cardinal à Loango à Pointe-Noire, c’était vraiment la fête. Ça criait et chantait de partout. Je pense que c’est tout. Mais occasionnellement, lorsque je suis venu enseigner au Grand Séminaire et comme il aimait faire son apostolat, il venait de temps en temps au Séminaire où nous étions et puis encore, je le retrouvais aux messes pontificales ou aux ordinations. Disons que le Cardinal est mort très tôt avant que nous envisagions la possibilité qu’il nous ordonne prêtres.
La M.B. : Mais, Père, en plus de tout ce que vous venez de dire, que savez-vous encore de ce vénéré pasteur ?
P.R.T. : Le problème, ce n’est pas de savoir, c’est plutôt la présentation d’un certain nombre d’aspect de sa vie.
Beaucoup de gens prient pour sa béatification et sa canonisation. Mais le plus important, c’est de mettre en pratique tout ce qu’il nous dit, tout ce qu’il nous a laissé comme paroles prophétiques. A titre d’exemple, je prends le cas des Congolais de Paris qui voulaient bien célébrer l’anniversaire de sa mort, il y a eu trois messes. Les gens n’ont pas été capables de s’entendre pour trouver un endroit pour faire la messe. Biayenda est mort pour l’unité du Congo, mais ceux qui se réclament de lui sont incapables de s’entendre sur l’essentiel. Pour moi, c’est cela qui est plus nuisible. Il faudra peut-être prendre deux, trois ou quatre points de son existence et faire une espèce de campagne d’évangélisation sur le Cardinal Émile Biayenda, comme le fait le renouveau charismatique.
Il y a un certain nombre de choses sur lui qu’il faille transmettre à la jeune génération, ces études à Lyon avec sa thèse de sociologie. Biayenda à cette époque était très préoccupé par la transformation de la société congolaise, l’éducation des enfants, la famille, l’unité du pays, la responsabilité du chrétien dans la politique, le sérieux de la vie chrétienne, etc. Faire des tels rassemblements, il faudra bien l’aval de l’ordinaire du lieu.
La M.B. : Vous venez de soulever un aspect auquel on a jamais pensé, s’il vous était demandé d’animer une campagne d’évangélisation sur le Cardinal Émile Biayenda, seriez-vous disponible ?
P.R.T. : Si une fois, comme je venais de le dire, deux, trois ou quatre points sont cernés comme thème principal de la campagne, le reste ne sera que l’affaire du Saint Esprit. Pour l’animation de cette campagne de prière, je pense qu’au niveau local, il y a bien des compétences à qui on peut faire confiance.
La M.B. : Pour vous, Émile Biayenda était-il un prophète, homme de Dieu, ou un homme d’Église tout court ?
P.R.T. : Il a été tout, il ne faut pas les scinder. Le fait d’être évêque indépendamment du Cardinal à une époque troublée d’opposition profonde entre l’Église et le marxisme-léninisme, j’en sais quelque chose puisque j’ai animé et assisté à des conférences au Cercle de Réflexion Chrétienne (CRC).
Donc comme évêque en plus Archevêque de Brazzaville, il était comme situé dans un lieu stratégique de l’évolution de l’histoire. Je crois que Biayenda a bien joué son rôle à cette époque en gardant les bonnes relations avec le chef de l’État de l’époque. Idéologiquement tout était bloqué, il y avait Cuba, l’Union Soviétique où les prêtres étaient combattus, menacés, expulsés, mais lui par sa fonction et la place qu’il avait, a su créer et maintenir les bonnes relations avec tout le monde.
Donc, en Émile Cardinal Biayenda, on en pouvait distinguer l’homme de Dieu, de l’homme qui pouvait avoir une certaine dimension politique. Or aujourd’hui, le contexte n’est plus le même, la religion n’est plus l’opium du peuple.
La M.B. : Quelle relation entretenait-il en tant qu’Archevêque qu’il était avec votre congrégation ?
P.R.T. : Je crois qu’il n’y avait pas de problème à mon avis, puisqu’il fût le fils des Spiritains. A l’époque, il y avait plus de prêtres spiritains qu’autochtones.
Propos recueillis par
Grégoire YENGO DIATSANA
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