Mgr Anatole MILANDOU Archévèque de Brazzaville

LA MÉMOIRE BIAYENDA

NEUVAINE MARS 2021

mercredi 10 mars 2021, par Grégoire YENGO DIATSANA

Cardinal Émile Biayenda
Conseil de Coordination de la Cause de Béatification et de Canonisation du Cardinal Émile Biayenda

NEUVAINE MARS 2021

Thème
« Libérer nos frères du mensonge »

Du samedi 13 au dimanche 21 mars 2021


Canevas de la neuvaine

- Chant de rassemblement
- Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Amen.
- Introduction de la neuvaine (par le prêtre ou le diacre)
- Prière pénitentielle suivie du kyrie et de l’absolution
- Lecture de la Parole prophétique du jour
- Chant de méditation : « Je crois en toi Mon Dieu »
- Acclamation de l’Évangile (texte du jour suivi d’un bref commentaire)
- Prière universelle (3 intentions)
- Déroulement du Chapelet avec les mystères du jour :
- Quête (À transmettre à la Procure diocésaine pour la Cause du Cardinal)
- Annonces
- Prière de béatification et de canonisation du Cardinal Émile Biayenda
- Bénédiction par le prêtre
- Chant de sortie


QUELQUES DIRECTIVES

1- Étant donné que cette activité a lieu dans chaque diocèse, il est demandé à toute la communauté paroissiale de participer à la neuvaine. Aucune autre activité ne peut être programmée à la même heure.

2- Commencer l’exercice de la neuvaine à une heure qui convient à chaque paroisse.

3- Le vendredi, la neuvaine est incluse dans l’exercice du chemin de Croix. À la fin de cet exercice, lire la Parole prophétique du Cardinal Émile Biayenda du jour et réciter trois Ave Maria, suivie de la prière pour la Cause du Cardinal.

4- Le dimanche, après le chant d’action de grâce, lire la parole prophétique, réciter trois Ave Maria suivie de la prière pour la Cause de Béatification et de Canonisation du Cardinal Émile Biayenda.

5- Le 22 mars de cette année tombe un lundi et coïncidera avec la célébration du 44e anniversaire de la mort de notre vénéré Pasteur. Elle sera dite dans toutes les Paroisses de l’archidiocèse à une heure convenable. Mgr l’Archevêque présidera une messe pontificale à 15h30, le même jour en la Cathédrale Sacré-Cœur de Brazzaville.

 



PREMIER JOUR

Samedi 13 mars 2021 :

À cause d’un mensonge, Abbé Émile Biayenda est jeté en prison en 1965

Jamais, je n’ai voulu rien écrire là-dessus, tellement cela me répugnait et peut-être aussi pour continuer à vivre cela tout seul dans le silence et la méditation.

Cependant, le temps passe et avec l’âge, les souvenirs s’estompent. C’est pourquoi, en ce troisième anniversaire, je me résous, enfin, à écrire.

Le dimanche 7 février 1965, il n’y eut qu’une seule messe dans la paroisse, la chrétienté ayant été invitée à aller participer aux cérémonies religieuses qui se déroulaient à la Cathédrale pour l’Intronisation de Mgr Théophile MBEMBA, comme premier Archevêque Congolais de Brazzaville. Les cérémonies se terminèrent assez tard : ce qui nous ramène à Ouenzé, pour le repas vers midi et demie.

Le soir, à 17hoo, nous étions de nouveau réunis à l’Évêché, pour la bénédiction et l’inauguration du nouveau bâtiment de l’Archevêché. À l’issue de cette courte cérémonie, il y eut un cocktail, puis, c’est la rentrée de chacun chez soi. J’étais sur mobylette, ce soir-là, mais en 2 chevaux la matinée. La journée s’acheva sans l’ombre d’aucun doute.

Le lendemain, lundi 8 février, la journée s’écoula également sans rien d’extraordinaire.

Le mardi 9 février 1965, comme d’habitude, je célèbre la Sainte Messe, à 6h30, pour être à la réunion de la Légion de Marie du mois de février qui a lieu ce jour-là. Je sortais de l’Église pour déposer mon bréviaire, mettre à portée de main mes outils de travail à la réunion, avant d’aller avaler à la hâte, une tasse de café.

Je dépose mes bouquins sur le rebord de la petite clôture devant ma porte quand je vois arriver une auto qui s’arrête dans la cour. Des agents en sortent. Parmi eux, je reconnais le chef qui est un ancien petit séminariste que j’ai vu autrefois arriver tout jeune au séminaire. Son frère est prêtre dans le diocèse. Le jour de son mariage, avec le Père Curé de mon ancienne paroisse, nous avons honoré de notre présence la fête familiale qui avait été organisée dans la clôture de son oncle.

Il conduisait donc la bande ce matin-là. Je le saluai et m’enquis du motif de son arrivée. D’ailleurs, une voiture était stationnée derrière l’école sur la grande route.

Il répond sèchement qu’il venait faire une perquisition chez moi. A mon grand étonnement, je lui demandai en raison de quoi. Il me répond que j’étais un menteur et un traître, car, je connaissais bien pourquoi il venait.

Il dit que j’avais été distribuer des tracts à Bacongo, avec ma 2 chevaux. Je récuse l’affaire en lui disant la dernière date où j’avais été à Bacongo. C’était à la suite d’un bruit qui avait couru qu’un enfant de mon frère avait été accidenté en jouant avec ses camarades à la glacière. La chose était vraie, malheureusement, mais c’était arrivé à l’un de ses élèves de classe en dehors des heures scolaires.

Le type rétorqua que j’avais mis ma voiture à la disposition des lanceurs de tracts. Je lui répondis que cette voiture, personne d’autre, pas même le Père Rameaux, ne la conduisait, à part moi. Car, devenue trop vieille, moi seul en avais pris l’habitude de la conduire. Le type ne voulut ou plutôt feignait de ne rien entendre. D’ailleurs, il se mit à me demander qui m’avait procuré les tracts, ce qui commençait à m’agacer horriblement. Surtout, lorsqu’il se mit à me dire que je n’étais qu’un traître et que si ce que je venais de faire avait été accompli par son propre frère prêtre, il le traiterait exactement comme il allait le faire pour moi.

Et voilà qu’il me dit de prendre place dans ma 2 chevaux, à côté d’un agent pour me rendre au commissariat. À ce moment, je lui dis que j’étais à ce poste sous l’ordre d’un chef : l’Évêque, et par conséquent, je ne pouvais me rendre au commissariat sans son ordre ou du moins sans l’avoir mis au courant. On me répondit, qu’on le ferait. Rien ne sera fait ; L’Évêque le saura par un gars dépêché de Mouléké pour l’en avertir.

Abbé Émile Biayenda
Un anniversaire, Lyon 1968

 



DEUXIÈME JOUR

Dimanche 14 mars 2021 :

Le mensonge même au plus haut lieu

Le soir, du mardi 9 février 1965, vers les 18h30, on me descend de là-haut pour aller me mettre en cellule. Mais, on me retient, quelques instants au poste de police, car, il y a du monde dehors et on ne voudrait pas qu’on me voie. C’est à ce moment qu’arrive, pour la quatrième fois, Monseigneur. Mon cœur, comme un éclair s’illumine.

Que de sentiments de réconfort ! En quelques mots, je m’exprime à Monseigneur. “Je suis accusé d’avoir distribué des tracts (dans la ville) à Bacongo, ce dont, je ne sais rien. C’est une calomnie pure et simple. Monseigneur, vous me connaissez assez pour que vous n’ayez l’ombre d’aucun doute sur moi. C’est pourquoi, je vous dis que toutes les démarches que vous pouvez faire, faites-les sans arrière-pensée”.

À cet instant, les quelques agents de la Police Judiciaire se fâchent parce qu’on m’a laissé échanger des mots avec l’évêque. Le chef de poste et ses collègues ripostent et demandent à quel titre un évêque, qui est aussi une autorité serait-il empêché, devant eux d’ailleurs, de parler avec son prêtre ? On répond que ce sont les commissaires qui l’exigent. Monseigneur aussitôt demande qu’il faille contacter le commissaire. Un agent de Police Judiciaire s’est dépêché de l’avertir.

Quand Monseigneur montera, toutes les portes lui seront closes. On prétendra qu’ils sont absents.

Monseigneur redescend et me dit qu’il va voir le Ministre de l’Intérieur.

Lorsqu’il sera là-bas, le Ministre lui exhibera un compte-rendu, du procès-verbal de l’affaire comme pièce à conviction de leurs agissements.

Monseigneur aura ainsi usé toute la journée en va et vient, sans avoir réussi à tirer l’affaire au clair. Cela durera un mois et demi.

Pendant ce temps, la nuit est arrivée et moi, enfermé dans ma cellule de 2 m 50 x 1 m 50 environ. La litière : un bloc en ciment sans plus rien de plus dessus. C’est là que je souffrirai, si j’ose dire, mon martyre n’ayant pour toute couverture qu’une culotte et un maillot de corps sur moi.

Abbé Émile Biayenda
Un anniversaire, Lyon 1968

 



TROISIÈME JOUR

Lundi 15 mars 2021 :

Le mensonge, à l’origine du calvaire de l’abbé Émile Biayenda

Arrivé au Commissariat Central, on me fit monter à l’étage, au bureau du Commissaire. L’interrogatoire recommence.

Tout ce que le père (c’est-à-dire le bourreau) fait, ce n’est pas pour la première et la dernière fois, hélas ! Il fut menaçant, car désormais tout irait crescendo. Insatisfait de mes réponses, on me déclare traître, indigne. On me fait enlever la soutane, les chaussures, les chaussettes. Les priant de me laisser les chaussettes aux pieds à cause des rhumatismes. Le processus sanguinaire était déclenché. Je comprenais que l’affaire était grave, mais qu’un instant je puisse soupçonner quelle serait l’issue et pourquoi il y avait cela. Moi-même ne sachant absolument rien de ce que l’on voulait que j’endosse la responsabilité. A partir de ce moment, je me remis entièrement entre les mains du Seigneur et de Marie, Sa Sainte Mère, et notre mère. Mon âme était en paix sans reproche de rien. On me fi t attendre-là, debout, pendant des heures. Un autre monsieur allait s’occuper de moi. Entre-temps, l’Évêque alerté se rendit au Commissariat. Mais, on lui répondit que j’avais été relâché. Ce dernier s’étonna que je ne sois pas allé le voir et alla tout de même à Mouléké pour me rencontrer. C’était évidemment peine perdue. On jouait sans vergogne avec lui à l’hypocrisie. Plusieurs fois d’ailleurs à la suite la comédie allait recommencer. Enfin, mon monsieur arriva. Il prétendait bien me connaître, mes parents, ma sœur qui est religieuse. D’ailleurs, son épouse n’était-elle pas une parente de la femme de mon frère ?

Après s’être ainsi présenté et campé, il dit ce que je savais de cette affaire, c’est-à-dire, accepter ou en dire l’origine et puis la chose sera réglée, on m’éloignera peut-être de Brazzaville et ce sera tout. Je lui répondis évidemment négativement, car, je ne pense pas, à cause de la violence, accepter une chose qu’on ne connaît pas ! Le type se fâcha, s’emporta et commença à porter sa main lourdement sur moi. Il a voulu me sauver et je n’ai pas voulu. Maintenant c’est lui-même, un Basundi comme moi, qui me mettrait à mort. D’ailleurs, je ne suis qu’un malfaiteur. C’est moi qui ai obligé ma sœur à se faire religieuse. Et les investigations et les brimades continueront ainsi.

Abbé Émile Biayenda
Un anniversaire, Lyon 1968

 



QUATRIÈME JOUR

Mardi 16 mars 2021 :

Le mensonge peut conduire à la mort

10 février 1965 : La Journée de mercredi se passa en interrogatoire, en inscription sur les registres et l’apposement des empreintes digitales. J’apprends que le Curé Polonais de Moungali a été lui aussi arrêté et jeté en prison. Vers 23 heures, on vient me retirer de ma cellule et me conduire en haut, dans une salle à moitié éclairée. Un tableau accroché au mur, des écrits : des sanctions pour audace une pendaison de leur raffinement. On vous les laisse lire, puis l’interrogation reprend et durera des heures et des heures, comme ils n’arrivent pas à leur fi n. Ils vont procéder à la torture. Cette nuit-là, les peines principales furent celles de la balançoire qu’ils appellent aussi faire passer un méchoui. Parce qu’on vous lie les bras avec une corde par les poignets. On vous plie les jambes en sorte qu’un bâton passé sous les jarrets et reposant sur les coudes des bras repliés vous réduisent presque à un paquet vulgaire, quelconque. C’est un méchoui ! Ainsi plié et pivotant autour du bâton. On pose chaque bout du bâton sur un tréteau. Ainsi la victime ne pourra rien s’épargner. Et les voilà au travail, trois à quatre qui vous frappent avec des laminaires de courroie de ventilateur d’auto. Ils frappent partout et durement, tout en vous accablant de questions auxquelles, il vous faut répondre. Ils tapent, ils tapent et toujours beaucoup plus fort. Ils ne cesseront que lorsqu’ils vous sentiront bien à bout de souffle et eux-mêmes aussi, car ils ne veulent, en aucune manière faire des martyrs.

Ils espèrent d’ailleurs qu’après ce supplice, je me rendrais à leur désir. “ Un jour en URSS, on inflige ce supplice à des témoins de Jehovah : le lendemain, c’était fi ni, ils ne parlaient plus de Jehovah”. Au bout de quelques moments, tout mon dos était un lambeau ; mes mains et mes pieds ne ressentaient plus rien. Quant à la mémoire, je me sentais un véritable chaos. On me détacha et gisant sur le ciment, je tremblais horriblement de fièvre. Des heures passèrent ; Ils prirent peur, certainement, car, ils dépêchèrent une ambulance pour me conduire à l’hôpital. Arrivé à l’hôpital général, cette nuit-là, l’infirmier-major de garde que je connais bien eut beaucoup de peine à me reconnaître.

Le lendemain, on exigea le billet du docteur du village d’où je venais. On n’en avait pas évidemment. L’agent secrétaire ne voulut pas en endosser la responsabilité et nous renvoya au dispensaire de Poto-Poto. On arriva à Poto-Poto, j’avais de la peine à descendre, encore moins à franchir une moindre marche de l’escalier. L’infirmier de garde me nettoya les plaies, se mit à me les soigner, puis me fit des piqûres d’huile camphrée.

Je rencontrai là un chauffeur de taxi qui y avait conduit un malade. Ce chauffeur, je le connaissais puisqu’il était du quartier de la paroisse où j’exerçais mon ministère. Je gisais dans ma cellule en proie à la fièvre, tourmenté par les moustiques et tout cela sans rien sur le corps, sur du ciment et tout nu. Sans compter évidemment l’insalubrité de la cellule notamment lorsque la rigole qui irrigue les urines ne fonctionne pas.

Abbé Émile Biayenda
Un anniversaire, Lyon 1968

 



CINQUIÈME JOUR

Mercredi 17 mars 2021 :

En dépit du mensonge, garder votre confiance en Dieu

La nuit de vendredi 12 février 1965 connut un autre genre de torture ; cette fois-ci, c’est la pendaison. On vous fait monter sur une chaise, on vous attache les mains là-haut avec une fi celle, on retire la chaise. Vous pendez le long du mur. Les poignets ont tendance à rompre et les bras eux-mêmes à se détacher des épaules. Aussi cela devient très dur au bout de quelques moments. Eux frappant, interrogeant. Ils ne vous descendent que pour ne pas faire des martyrs. De là-haut, je les rassurais mon âme en paix et le cœur plein de compassion pour ceux qui avaient fait monter une pareille aff aire. Vraiment, je me sentais grand, plus, cette grandeur, je la sentirai une autre fois que j’étais assis là, pauvre type, le corps meurtri devant une table des commissaires qui interrogeaient, menaçaient, frappaient. Ils étaient courroucés par la justesse de mes réponses.

Ils étaient courroucés parce que je ne me rendais pas à leur gré. Ils n’avaient jamais rencontré de type aussi dur que cela au cours de leur carrière ; si bien qu’ils me prenaient en dégoût. Cette nuit du vendredi 12 février, l’épreuve de pendaison ne suffit pas, ils allaient m’infliger une autre qu’ils appelaient le baptême du Jourdain. Cela convenait bien au prêtre que j’étais. On se dirige donc sur la rivière. On allait vers la Tsiémé, mais que de détours pour y arriver ! J’avais les mains en menottes.

En cours de route, nous sommes arrêtés par la J.M.N.R., ils s’expliquent et passent. On traverse la Tsiémé, on continue. Je pensais qu’ils allaient me tuer, mais voilà qu’ils s’arrêtent à un autre petit ruisseau : Mikalou. Ils sont quatre ou cinq. Mon homme de Mpangala se charge de moi ; mais avant tout, l’interrogation. Cette nuit-là, les gifles que j’ai reçues déclenchèrent mes maux de dents. J’entendais ensuite bien mal.

Mon type me met en caleçon. Ils ont peur tout de même des esprits et leur adressent des incantations. Il me fait allonger dans l’eau. Je dois rouler dans le sens du courant, lui se chargea de frapper sur les parties du corps émergeant. De temps en temps, il me tient la tête dans l’eau pour m’étouffer et ne me dégage que sur les ébats et la lutte que me donne de livrer l’instinct de conservation de la vie. Ils me ramèneront, mais pour me faire subir l’épreuve du courant électrique. Manège qu’ils n’ont pas, mais qui se trouve à la gendarmerie. On arrive à la brigade de Poto-poto. On dit que c’est à la gendarmerie du Camp du Djoué. Je craignais et redoutais beaucoup cette épreuve, non pas à cause des douleurs, mais pour les séquelles que cela laisse. Je me disais, tel que je me connais, je deviendrais infirme ou je perdrais l’usage de mes jambes. Ils menaçaient aussi de faire violer ma vertu de chasteté avec une femme « motaka » qu’ils iraient chercher à Poto-Poto. Ils disaient d’ailleurs que quelqu’un était chargé de faire cette mission, car, disaient-ils, pourquoi, les prêtres catholiques ne se marient pas comme les pasteurs protestants ?

Je leur répondais que dans la ville, il y avait beaucoup de célibataires que personne ne trouvait anormaux. Personne ne les forçait à se marier. Je leur demandais également si ces femmes qu’ils vont chercher dans le village pour de telles actions y trouvaient leur honneur et surtout si également, eux-mêmes, pères de familles, ils seraient contents qu’on utilise ainsi leurs filles ?

En tout cas, je suppliais la Sainte Vierge de la Médaille Miraculeuse de me délivrer de cette ignominie ainsi que des supplices du courant électrique, quand notamment ces épreuves me laisseraient encore en vie, mais devenant paralytique, par exemple.

Abbé Émile Biayenda
Un anniversaire, Lyon 1968

 



SIXIÈME JOUR

Jeudi 18 mars 2021 :

Les atrocités dues au mensonge

N’ayant pas trouvé ce qu’ils désiraient à la gendarmerie de Poto-Poto, ils partirent avec moi au Camp du Djoué. Là-bas, après mille discussions, ils ne purent obtenir le manège. Furieux, ils entrent, mais ils ne me logeront plus dans ma cellule. Ils vont me déposer à la police de la rue Mbochi. Là, dans une cellule toute trempée et puant d’urines, ils mettent dehors le détenu qui était là et m’y remplacent.

Épuisé, rompu de fatigue, souffrant de mes plaies, je me plaçais entre la porte les pieds en l’air posés sur les parois du mur. Je dormis. Ils vinrent m’y chercher, je crois vers les six heures ou sept heures du soir. Désormais, je suis devenu presque un grand malade.

Les interrogations continueront, mais les grands supplices seront suspendus. Je souffrais horriblement de maux de dents, ce qui me faisait également un mal terrible du côté de l’œil gauche. Il me fallait des aspros pour calmer les douleurs, mais les comprimés étaient tenus au Poste de garde. Aucun ne se dérangeait pour me les apporter ; D’ailleurs quiconque était surpris d’être clément à mon égard risquait une sanction. Il y allait de sa fonction et de sa révocation. Il y eut cependant des braves ; l’un d’entre-eux m’acheta et m’offrit des aspros. Un autre vint souvent m’ouvrir quand j’avais besoin d’aller aux W.C. Un jour, il m’apporta même une lame de rasoir et un petit miroir et alla m’assister vers les toilettes pour me raser. Le Seigneur les garde et les protège pour leur si bon cœur ! Après trois jours sans manger, ils commencèrent à me transmettre les mets que le cher et bon Père Fourmont venait apporter midi et soir. On ne lui permit jamais de me voir.

Abbé Émile Biayenda
Un anniversaire, Lyon 1968

 



SEPTIÈME JOUR

Vendredi 19 mars 2021 :

A beau vouloir mentir, la vérité jaillira par la suite

Le Père Robyr qui avait été arrêté un jour après moi, était aussi en cellule, mais on ne se voyait jamais. Lui, aussi, il a souffert. Pour plus de mise en scène, six autres personnes parmi lesquelles, je ne connaissais que deux avaient été arrêtées, emprisonnées et soumises à la torture. Les pauvres gens tous presque pères de famille. Lorsqu’ils comparaissaient, on leur disait que moi, j’avais tout avoué à mon tour, ils me disaient que les autres avaient avoué contre moi. Tout cela, c’était évidemment des combines.

Dès les deux grandes premières tortures, la nouvelle arriva aux oreilles de Monseigneur. Il s’en alla voir le Ministre de l’Intérieur ; celui-ci nia les faits. Mais, Monseigneur insista tellement qu’un médecin alla nous voir ; ils le firent entrer quand même et c’est le médecin chef de l’hôpital général, monsieur Miehakanda qui vint nous examiner, à moi, il prescrit des pénicillines et des soins à l’hôpital. On commença ainsi à aller avec moi au dispensaire de Poto-poto ; je ne sentais presque rien de mes mains, mes doigts et mes pieds.

Le dimanche soir, 21 février 1965, vers 21h00, on vient me chercher de la cellule, les mains en menottes, avec un autre, lui aussi ligoté. Je me disais qu’a-t-il fait lui, aussi ? Or, il faisait partie du même scénario que moi-même. Avec beaucoup de zig-zag, on arriva sous les ombres épaisses des bois de fer de la gendarmerie du Djoué.

Le Commissaire, celui qui était venu m’arrêter, sans mandat d’arrêt d’ailleurs, et qui patronnait toute l’affaire était déjà là ; il avait devancé ses hommes pour un pourparler avec les gendarmes, afin de nous faire subir l’épreuve du courant électrique. Je priais, dans ma misère, notre maman du ciel. Et je dois aussi dire que les agents qui nous accompagnaient à toutes les circonstances, se faisaient presque un devoir de raconter entre eux toutes les obscénités qu’ils pouvaient raconter au sujet des gens, et dire qu’il y a eu là des époux et des pères de famille.

C’était honteux et triste de le constater. Toujours est-il qu’après une demi-heure au moins de discussion, nos héros ne purent obtenir ce qu’ils désiraient. Penauds pour eux et méchants de cette mésaventure, ils nous ramènent, la tête bien basse, mais plus encore remplis de haine et d’emportement contre nous. C’était fini ! On restera encore en cellule et en interrogatoire jusqu’au samedi 27 février 1965, dans l’après-midi duquel où en fin de matinée, nous serons envoyés à la maison d’arrêt.

Abbé Émile Biayenda
Un anniversaire, Lyon 1968

 



HUITIÈME JOUR

Samedi 20 mars 2021 :

Le pardon d’Émile Biayenda au-delà du mensonge et des tortures

Maintenant rassuré contre tout cela, Babi, l’accusateur déclarait la vérité ; jamais il ne s’était rencontré à Brazzaville avec l’abbé Émile et jamais, d’aucune manière que ce soit, il ne connaissait une histoire de tracts contre lui. Les commissaires étaient là, debout, penauds l’un de deux balançant un lot de clés sous ses doigts pour se donner une certaine contenance. C’est seulement ce jour-là que j’entendis par la lecture du juge d’instruction, le contenu du fameux tract. Ça devrait être un manifeste de mécontentement des fonctionnaires provoqués par une affaire de leurs allocations familiales ; le juge s’étonna ironiquement que ce furent des prêtres qui se chargèrent de cela. Car, jamais, il n’avait encore su que les prêtres touchaient des allocations familiales.

Les commissaires commencèrent, évidemment, à se fâcher, mais toujours est-il que le juge nous déclara, pour son compte, exemptés de toute culpabilité et qu’on avait tous souffert sans mériter cela. Les commissaires sortirent furieux et l’on nous remit à la maison d’arrêt. Cela allait durer jusqu’au 24 Mars 1965, 11h30. Entre-temps l’avocat touché prouva sans peine notre innocence. L’Ambassadeur de Suisse résidant à Léopoldville, intervint assez énergiquement pour son sujet qui était le Père Robyr. Monseigneur MBEMBA continua à multiplier ses démarches.

À partir de ce jour également, il fut permis qu’on vienne nous rendre visite. Monseigneur vint, ce fut un très grand réconfort moral. Beaucoup d’autres Pères, religieux et religieuses. Beaucoup de fidèles et d’amis viennent nous rendre visite apportant chacun quelque chose à manger. Les parents : papa, mes frères, mes belles sœurs, mes neveux et nièces viennent évidemment et obtiennent même des permissions permanentes. Un matin, on téléphona que nous sortirions ce jour-là, ce fut le mercredi, 24 mars 1965, la veille de l’Annonciation qu’eut lieu notre relâchement à 11h30 exactement.

Monseigneur vint lui-même nous chercher dans sa voiture et nous conduisit à l’Évêché où il nous garda pour notre repos.

Nos compagnons d’épreuves furent aussi relaxés à la grande joie de leur famille. Babi, l’accusateur et son compagnon y furent retenus pendant de nombreux mois encore. Voilà ce qui m’était arrivé, il y a exactement aujourd’hui trois ans. Je me suis décidé à transcrire cela pour mon compte personnel. Je ne garde rancune contre personne. De tout mon cœur, j’ai voulu pardonner à ceux qui m’ont infligé cette injustice, en pensant au Christ pardonnant du haut de la croix.

Abbé Émile Biayenda
Un anniversaire, Lyon 1968

 



NEUVIÈME JOUR

Dimanche 21 mars 2021 :

Le mensonge à tous les niveaux de notre société

« Béni soit le Seigneur Dieu de l’Univers : il continue de visiter son peuple... ». Méditons, frères et sœurs, une autre péripétie vécue, cette fois-ci, par Monseigneur Émile Biayenda ; car en prison c’était Abbé Émile Biayenda.

Le samedi 20 mars 1971, Sous une pluie battante en compagnie des Abbés Louis Badila et Isidore Malonga, Mgr Émile Biayenda va à Mpila, pour y rencontrer des autoritaires militaires et demander des explications sur l’interdiction de célébrer les cultes dans les chapelles des casernes du 15 août, de Mpila et de la Base (Maya-Maya). Il n’en revient pas plus informé qu’avant. Il appelle à la concertation les responsables des autres Églises chrétiennes du Congo : Évangélique, Salutiste, Kimbanguiste. Chaque responsable se faisant accompagner d’un secrétaire, une délégation de huit personnes est prête.

Le vendredi 26 mars 1971, Monseigneur Émile Biayenda est à la tête de cette délégation qui est reçue, à 13h 00, en audience par Son Excellence le Commandant Marien Ngouabi, Président de la République Populaire du Congo. Celui-ci est seul durant l’entretien.

À son cahier-journal, l’évêque note ce qu’ils ont dit au Président : « Nous sommes venus, en tant que responsables des 4 Églises existantes dans la République Populaire du Congo.

Nous venons vous mettre au courant des choses que nous entendons ou des actions entreprises à notre endroit en tant que croyants.

- La propagande systématique contre Dieu entreprise parmi les populations par ceux qui ont le moyen de le faire à la presse, à la radio, dans les meetings de certains responsables au cours des séminaires idéologiques ;

- Les heures d’émissions religieuses du dimanche, autrefois de 2 heures, réduites à présent à ½ heure, c’est-à-dire qu’à 4, chacun dispose de 15 minutes tous les 15 jours. Le moment même a été changé : autrefois : 7h à 9h ; actuellement 6h à 6h30 ;

- Accès interdit des ministres de culte dans les casernes ; fermeture des chapelles y existant ;

- La dissolution des communautés de chrétiens dans la région de la Lekoumou, depuis le 29 février 1971 ;

- Les invitations aux manifestations officielles ».

Les réponses comme toujours ont été constructives, malheureusement la réalité et les actes ne les reflètent pas.

La déception qu’exprime cette dernière réflexion ne va pas tarder à se vérifier. Le lendemain, avec monsieur l’Abbé Michel Thiriez, un prêtre fideidonum français, Monseigneur Biayenda se rend à Mpila pour demander au responsable militaire, l’autorisation de reprendre le culte dans la chapelle de ce camp. Celui-ci s’y refuse tant que le demandeur n’apporte pas une note signée par le Commandant. Au cours de l’après-midi, Monseigneur Biayenda arrive à joindre ce Commandant par téléphone.

Celui-ci lui promet qu’il donnera l’ordre aux gardiens d’ouvrir la chapelle demain dimanche pour la messe. Le dimanche matin, avec M. l’Abbé Thiriez, Monseigneur Biayenda se rend à Mpila, décidé d’y célébrer la messe lui-même. En y arrivant, ils constatent que la porte et la barrière sont couvertes par des drapeaux rouges, où l’on peut lire « Abats les réactionnaires provocateurs des troubles » et sur un autre « Vive l’armée populaire, fer de lance de la Révolution ». Que faire ? Le récit relatif de cette situation est de Monseigneur Biayenda : « Sans rien dire, ni nous arrêter, nous continuons notre chemin jusque chez un des officiers supérieurs au camp du 15 août. Il m’avait, en effet, répondu, la veille au téléphone, qu’il donnait ordre aux soldats de nous laisser accès libre à la chapelle pour le culte. Nous sommes chez le Commandant ; l’un des enfants va l’en avertir. Il fait attendre. Sans doute a-t-il téléphoné, car dix minutes environ sont passées quand arrive une jeep où sont deux militaires.

Ils nous saluent et nous invitent à aller à Mpila où la chapelle est libre d’accès. Ils prennent les devants et en route…A l’arrivée, l’un des militaires dit à ses collègues d’ouvrir la chapelle et de laisser célébrer le culte « C’est l’ordre du Commandant en Chef » ; c’est-à-dire du Commandant Marien Ngouabi, Président de la République. Les drapeaux rouges avec slogans ont été enlevés avant notre arrivée.

On nettoie la chapelle, on installe l’autel. Deux sœurs africaines de Ouenzé sont là. La sainte messe peut, enfin, ce dimanche, s’y célébrer, en présence d’une cinquantaine de personnes : des enfants, quelques adultes femmes et trois soldats en tenue civile. Bien merci, Seigneur, pour les démarches qui ont ainsi tourné en notre faveur, pour votre gloire. »

Serait-ce la paix retrouvée ? Une bataille est gagnée, la guerre continue. M. l’Abbé Thiriez qui se rend à la Base trouve la chapelle occupée par les militaires. Ils le reçoivent avec mépris ; l’un d’eux pointe sa baïonnette au canon sur lui. Il est sommé d’évacuer la chapelle.

Agitation des soldats, bousculade, M. l’Abbé réussit à emporter quelques objets de culte. En signe de séparation, les militaires lui clament tout haut que désormais c’est fini avec le culte en ces lieux. L’officier supérieur à qui il vient relater les faits l’appelle au calme et lui promet une visite demain, à 9 heures. Elle n’aura jamais lieu. La vie pastorale continue son cours ; le souci de former des ouvriers apostoliques plus aptes aux attentes de l’Église locale reste tenace.

Mgr Émile BIAYENDA
Extrait de son cahier journal
Mars 1971

 
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