mardi 11 mars 2025
Des ossements desséchés revivront
(Ézéchiel 37, 3)
Après les accords de cessez-le-feu signés entre le gouvernement et les ex combattants ninjas-nsiloulous, Mgr Louis Portella Mbuyu a lancé un message d’exhortation au peuple de Dieu en général et plus précisément celui qui se trouve dans le diocèse qu’il a la charge de diriger. Par la même occasion, il invite tous les hommes de bonne volonté, à ne plus s’attarder sur le passé et sur ce qu’ils ont perdu. Voici l’intégralité de cette exhortation.
Le Seigneur dit : « Fils d’homme, ces ossements (desséchés) peuvent-ils revivre ? » (Ézéchiel 37, 3).
Chers frères et sœurs, Nous voici à une nouvelle étape de notre histoire tourmentée. Les accords de paix et les démarches engagées pour leur mise en œuvre effective suscitent en nous comme un regain d’espoir.
Oui, nous avons beaucoup prié, avec persévérance, « espérant contre toute espérance » (Romains 4, 18), pour que la paix revienne. Il est même arrivé à certains parmi nous de plonger dans le découragement, car, il faut le reconnaître, la souffrance n’a que trop duré. Et, d’autre part, ces tristes situations donnent l’impression de se reproduire de manière récurrente (régulière), après une période d’accalmie, au point que certains ont fini par penser que notre département aurait encouru une malédiction...
En effet, après l’expérience douloureuse des années 1997-1998-1999, qui, de manière intermittente, s’est pratiquement prolongée jusqu’en 2007, nous avons connu un certain répit durant lequel une conviction commençait à s’enraciner dans nos esprits et dans nos cœurs : une page de l’histoire de notre pays et particulièrement de notre département, était définitivement tournée.
Et voilà que, presque dix ans après, nous avons revécu les mêmes tristes situations : beaucoup d’entre nous ont été forcés de laisser leurs villages pour aller vivre comme des « étrangers sur leur propre terre ».
Ainsi, nous étions devenus semblables aux enfants d’Israël déportés en captivité à Babylone, loin de leur terre, qui se disaient :
« Nos ossements sont desséchés, notre espérance est détruite, nous sommes perdus... » (Ézéchiel 37, 11-15).
Mais, en réponse à ce cri de désespoir, voici le message que le Seigneur Dieu leur avait adressé, et que nous pouvons et devons accueillir et reprendre à notre compte : « Ainsi parle le Seigneur Dieu : je vais ouvrir vos tombeaux ; je vous en ferai sortir, ô mon peuple, et je vous ramènerai sur la terre d’Israël. Vous saurez que je suis le Seigneur, quand j’ouvrirai vos tombeaux et vous en ferai remonter, ô mon peuple. Je mettrai en vous mon esprit, et vous vivrez ; je vous donnerai le repos sur votre terre. Alors vous saurez que je suis le Seigneur : j’ai parlé et je le ferai : oracle du Seigneur » (Ézéchiel 37, 12-14).
Réconfortés par ce message divin, nous devons raviver notre foi en l’amour miséricordieux de notre Dieu. Oui, Dieu ne maudit pas ! Dieu n’abandonne jamais ses enfants. C’est Lui qui, en nous créant merveilleusement, et en rétablissant notre dignité plus merveilleusement encore, par la mort de son Fils, « nous a aimés le premier » (I Jean 4, 19).
« Je t’aime d’un amour éternel ; aussi t’ai-je maintenu ma faveur » (Jérémie 31, 3), nous déclare-t-il.
Oui, avec Dieu, aucune situation n’est définitivement sans espoir ! Telle est la certitude inébranlable qui doit nous insuffler du courage pour affronter n’importe quelle épreuve, même désastreuse, que nous pouvons traverser.
« Rendez grâce au Seigneur : il est bon, éternel est son amour ! » (Psaume 136).
La première démarche à laquelle nous sommes tous invités, consiste à rendre grâce au Seigneur. Si la paix nous revient, c’est tout d’abord à Dieu que nous le devons. C’est lui qui a éveillé l’esprit et ouvert le cœur de nos responsables, pour qu’ils s’engagent résolument dans ce processus de paix, car il est un Dieu de paix, comme nous le rappelle le Psaume 84 (85).
« J’écoute : que dira le Seigneur ? Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles ; qu’ils ne reviennent jamais à leur folie » (Psaume 84, 9).
Nous devons aussi savoir dire merci à nos responsables qui travaillent à ce retour de la paix dans notre département et, par voie de conséquence, dans l’ensemble du pays.
Nous pensons ainsi au Chef de l’État et à tous ses collaborateurs, ainsi qu’à tous les autres que Dieu seul connaît et qui, dans le silence et la discrétion, ont contribué et contribuent encore à l’instauration de cette paix.
Nous avons aussi à prier pour eux, afin que le Seigneur leur donne la force de ne pas laisser freiner leur élan pour une raison ou pour une autre et d’aller jusqu’au bout de leur engagement en vue d’une paix totale et définitive.
« Pardonne à ton prochain le tort qu’il t’a fait ; alors à ta prière, tes péchés seront remis » (Siracide 28, 2).
La deuxième démarche spirituelle à laquelle le Seigneur nous demande de consentir, est celle du pardon.
Le Pape Saint Jean-Paul II, dans un message à l’occasion de la Journée mondiale de la Paix, avait déclaré : « L’Église enseigne qu’une véritable paix n’est possible que par le pardon et la réconciliation » (Janvier 2002 et 2004).
Le pardon, qui est une dimension de l’amour, n’a pas de limite. A la question de Pierre : « Combien de fois dois-je pardonner ? Jusqu’à sept fois ? » Jésus répond : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante- dix fois sept fois » (Matthieu 18, 21-22).
Certes, les souffrances que nous avons subies ne peuvent pas ne pas faire naître en nous des sentiments de rancœur, même de haine, des désirs de vengeance.
Elles peuvent aussi nous pousser à proférer des paroles de malédiction à l’endroit de tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, nous ont causé tant de torts, tant de malheurs : mort des êtres chers, maisons pillées ou détruites, humiliations de toutes sortes.
Mais entretenir de tels sentiments négatifs, c’est se faire mal à soi-même, sans qu’on ne s’en rende compte.
En effet, nous avons été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu qui est amour ; et ainsi « l’amour est notre vocation innée et fondamentale » (Jean Paul II).
Par conséquent, chaque fois que nous refusons d’aimer, chaque fois que nous entretenons des sentiments ou des pensées contraires à l’amour, nous nous défigurons, nous contribuons à notre propre destruction, nous brisons les élans du cœur, nous éteignons la foi créatrice qui donne la force de contribuer au triomphe de la vie par la réconciliation, et la reconstruction...
Comme nous le dit Saint Paul : « Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien ». (Romains 12, 21).
Oui, mes frères et sœurs, le Seigneur nous invite à pardonner à nos jeunes du département qui ont contribué à la destruction des villages, à la perte de vies humaines, jusqu’à « fouler aux pieds » (profaner) les valeurs morales de notre « kimûntu ». Ce sont nos enfants. Et non seulement il faut pardonner mais le Seigneur nous invite aussi à prier pour eux et à les aider à retrouver une vie digne, car ils sont capables eux aussi, s’ils se ressaisissent et, s’ils se sentent acceptés, d’apporter une vraie contribution à la reconstruction du département.
Il nous faut aussi pardonner à certains éléments de la Force publique qui nous ont fait souffrir et nous ont même humiliés. Beaucoup parmi eux ont, hélas, perdu leurs vies.
A nous de prier pour eux tous, et aussi pour qu’ils soient mieux formés par leurs responsables, afin d’être à la hauteur de leur noble mission.
Il nous faut enfin pardonner d’une manière générale, à tous ceux, qui, d’une manière ou d’une autre, à quelque niveau que ce soit parmi nos responsables, ont été cause ou complices de nos malheurs. Nous les remettons entre les mains de Dieu, qui, dans sa grande miséricorde, leur fera prendre conscience de leur responsabilité.
« Amour et Vérité se rencontrent » (Psaume 84(85), 11).
Je lance un appel à tous ceux qui peuvent participer à une réflexion en profondeur sur la situation, on ne peut plus énigmatique, de notre département. Je pense particulièrement aux sages, aux responsables, aux cadres...
Afin d’écarter toute éventualité de récidive dans cette expérience malheureuse, il est important et même urgent que certains parmi nous se mettent ensemble afin d’apporter, avec sérénité, sans polémique, toute la lumière :
Il nous faut aussi faire un diagnostic lucide, sans se voiler la face, sur ce qu’est devenu réellement notre département, du point de vue culturel et éthique (avec des générations des jeunes qui ne sont plus allés à l’école, qui n’ont appris aucun métier et dont certains ont fini par perdre le sens des valeurs indispensables à la vie sociale), comme du point de vue économique...
« Le Seigneur dit : Ne faites plus mémoire des événements passés, ne songez plus aux choses d’autrefois. Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? » (Isaïe 43, 18-19).
Oui, mes frères, ne nous attardons pas sur le passé, sur ce que nous avons perdu. Certains d’entre nous ont été rappelés à Dieu. Le Seigneur a permis que nous puissions vivre encore maintenant. Que son nom soit béni !
Ainsi donc, si nous nous débarrassons de nos sentiments négatifs de regret et d’amertume, si, au contraire nous lais- sons le Seigneur répandre son amour dans nos cœurs par l’Esprit Saint qu’Il nous donne toujours (cf. Romains 5, 5), s’il « met son esprit dans nos ossements desséchés pour que nous revivions », (cf. Ézéchiel 37, 14), alors, soyons convaincus de par notre foi, que nous serons capables de reconstruire, de recréer, de ressusciter notre département, à tous les niveaux :
- au niveau de l’économie, en relançant surtout l’agriculture et l’élevage avec les activités commerciales qui y sont liées.
au niveau moral et culturel, en favorisant les réconciliations et en promouvant les valeurs du « kimûntu » de notre culture ancestrale, éclairées par l’Évangile, en réhabilitant les écoles et en construisant d’autres, pour que les jeunes reprennent le goût d’apprendre.
au niveau social, en développant la vie associative qui redonne le goût de vivre ensemble, de travailler ensemble, de fêter ensemble, de se soutenir les uns les autres dans les moments de peine, de rendre nos villages toujours plus beaux, plus propres et aussi, « plus verts », comme le recommande le gouvernement.
Oui, avec la force de l’amour, nous pouvons recréer un département « transfiguré ». Nous en avons les capacités. « Voici que je fais toutes choses nouvelles », nous dit le Seigneur (Apocalypse 21, 5). Et c’est à travers nous qu’Il le fera.
Que le Seigneur nous donne de pouvoir reconnaître que le temps d’épreuve que nous vivons est aussi un temps de grâce ; Saint Paul nous y invite :
« Nous mettons notre fierté dans la détresse elle-même, puisque la détresse, nous le savons, produit la persévérance ; la persévérance, produit la vertu éprouvée ; la vertu éprouvée produit l’espérance ; et l’espérance ne déçoit pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’esprit Saint qui nous a été donné » (Romains 5, 3-4).
Oui, que les difficultés et les malheurs ne nous abattent pas, ne nous brisent pas. Bien au contraire, comme nous y invite l’auteur de la Lettre aux Hébreux :
« Courons avec endurance l’épreuve qui nous est proposée, les yeux fixés sur Jésus qui est à l’origine et au terme de la foi » (Hébreux 12, 1-2).
Une telle endurance n’est possible que si nous entretenons en nos cœurs, l’assurance de foi que nous partage l’Apôtre Paul en ces termes :
« Oui, j’en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les principautés, ni le présent ni l’avenir, ni les puissances, ni les forces des hauteurs ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur ». (Romains 8, 38-39)
† Mgr Louis PORTELLA MBUYU,
Évêque de Kinkala
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