vendredi 22 novembre 2024
Émile était un apôtre de la paix. Oui, Émile a apporté la paix dans beaucoup de foyers. Réconciliateur, il a ramené l’union dans des foyers en séparation de corps voire divorcés. Sa simplicité, sa foi, sa générosité, sa chasteté ont fait d’Émile un prêtre digne de ce nom. Émile était un Pasteur clairvoyant et persévérant, un chef spirituel. Il a toujours voulu qu’on serve ensemble, en collaboration avec tous les hommes et que, dans la diversité, on vive l’unité et la paix. Émile était l’homme du sourire aux lèvres. Il était l’ami de tous et tous l’aimaient. Il avait un sentiment profond de solidarité agissante. Cela Émile nous l’a prouvé à sa mort, lors de ses funérailles, par ce flux de personnes venues de partout et même aujourd’hui, par la vénération de sa tombe.
Émile a accompli sa mission telle que la lui avait dictée sa vocation : « Être au service des âmes pour les conduire à Dieu ». Oui, Émile a prêché l’évangile de Jésus. Ses sermons fervents étaient pénétrants et poussaient à la méditation. Beaucoup de chrétiens se plaisaient à l’entendre prêcher à l’autel. Toute sa vie Émile est resté modeste et partout le même. Partout il a prêché l’amour, la paix ; la paix dans les foyers, la paix entre les hommes, la paix nationale. Pour Émile, être prêtre était une vocation, une consécration au service de Dieu, depuis les bancs de l’école primaire. La vie d’Émile doit servir de modèle à tous nos prêtres congolais. Émile aimait vivre au milieu de ses chrétiens comme « le poisson dans l’eau ».
Dans le quartier, la lutte contre l’analphabétisme des jeunes va de pair avec celle contre le paganisme des mœurs. Contre le fétichisme et la croyance tenace et grandissante en la sorcellerie, elle prend parfois l’allure d’une vraie croisade. Ainsi, le mercredi 14 septembre 1960, il note dans son cahier-journal : « Dans la soirée : ministère à domicile. Chez Mbami où la femme (Patrice) est malade, il y a le féticheur. Je disperse tout, le charlatan se camoufle, je le menace d’accusation chez les gendarmes. Tout liquidé, et arrosé d’eau bénite, je fais prier deux dizaines de chapelet. Vierge Marie, aidez-nous ! ».
La même fermeté apostolique est maintenue dans les relations avec ses parents. Jeune prêtre, il revient à Vinza, chez ses parents, avec sa valise chapelle. Son frère aîné, Jean-Baptiste Ngoma, en dépit de sa foi chrétienne, exerce encore une intense activité de féticheur. Il s’oppose vivement à ce que l’Abbé Émile rentre avec sa valise chapelle dans la case où sont conservés les fétiches. La discussion entre les deux frères est très vive et menaçante. Le vieux papa, nouvellement devenu chrétien, fier d’avoir une fille religieuse et un fils prêtre, tranche sec en faveur de l’Abbé Émile. Il intime l’ordre de laisser rentrer les « fétiches de Dieu » (la valise chapelle) dans la maison, tout en mettant dehors les fétiches de Satan. À la suite, la foi chrétienne de Jean-Baptiste (son frère) n’en fut que renforcée ; il renonça définitivement à sa deuxième épouse qu’il avait l’habitude de cacher ou de répudier temporairement chaque fois que l’Abbé Émile venait au village. Il a gardé la femme de son mariage religieux.
La vie apostolique et celle des fidèles, est quotidiennement portée dans la prière et confiée en offrande à l’autel. Le curé de St Jean-Marie confie tout au Saint Cœur de Marie, refuge des pécheurs. Le mercredi 11 novembre 1960, la lampe du sanctuaire disparaît, volé. L’Abbé Émile en est profondément choqué. « C’est un vol sacrilège », déclare-t-il ; pourtant il n’en reste pas là. Il endosse le péché du voleur et dans un grand élan de confiance en la miséricorde de Dieu, il implore le pardon : « Pitié Seigneur ! Car nous avons péché ».
Les jours s’écoulent dans le labeur et la confiance entre le Père Grivaz, Supérieur et l’Abbé Émile Biayenda. Le 19 mars 1962, après la bénédiction du presbytère de Mouléké, l’Abbé Émile quitte la communauté de Ouenzé pour la nouvelle paroisse. Le Père Grivaz, Mgr Michel Bernard et le nouvel évêque, Mgr Théophile Mbemba sont d’accord pour lui confier la direction de la nouvelle paroisse. M. l’Abbé Émile Biayenda est ainsi le premier Curé de la paroisse St Jean-Marie Vianney de Mouléké. Il sera aidé par le Père Rameaux, qui quitte sa solitude de Mbé.
Avec l’Abbé Émile, on apprend à faire attention aux petites choses, aux gestes d’amitié, à tout ce qui peut réconforter et bâtir l’unité et la concorde entre les personnes. C’est encore cette délicatesse attentive envers les autres qui le rend pasteur bienveillant de sa nouvelle paroisse. Il voudrait tellement répondre aux grandes et petites attentes de ses fidèles. Il écrit à Geneviève, à une connaissance de France : « J’ai été excessivement touché de constater combien vous vous faisiez des soucis pour les missions... Votre sollicitude pour les missions m’a fait demander de vous indiquer en quoi pourriez-vous m’aider. Il ne faudrait pas que vous vous tracassiez de trop.
En effet, dans une mission comme la mienne, encore à ses débuts, on éprouve le besoin de beaucoup de choses. Vêtements, quels qu’ils soient, objets de piété, friandises, jouets, conserves... peuvent m’aider énormément, car le quartier de Mouléké est vraiment un quartier pauvre ». Et il termine cette correspondance avec ce vœu plein de dévouement apostolique : « Puissions-nous vivre au jour le jour selon la volonté du Seigneur et contribuer, chaque jour, à la construction d’un monde meilleur par notre charité chrétienne ! Union de prière ».
La vie économique de la paroisse reste précaire ; l’abbé Émile qui n’a jamais renoncé à ses origines paysannes et à ses habitudes manuelles du Grand Séminaire, bêche, plante, rabote... Dans la concession même de la paroisse, il lance un élevage de poules et un jardin potager auxquels il consacre de longues heures arrachées, avec peine, aux nombreuses exigences de l’apostolat. C’est une vraie joie pour les fidèles de voir leur curé africain pleinement dédié à sa tâche. Cette joie est plus grande et plus fraternelle quand l’Abbé Émile porte à la popote ou à d’autres confrères prêtres, pour les plaisirs légitimes de la table, les produits de son jardin et de son poulailler.
Plusieurs années plus tard, devenu évêque coadjuteur puis évêque résidentiel et enfin Cardinal, Émile Biayenda n’a pas laissé-prise pour pousser les gens à l’unité et à l’amour fraternelle.
En mars 1977, après la mort du président de la République, les rumeurs contre le Cardinal Émile Biayenda ont triplé ou quadruplé leur virulence calomnieuse.
Le Christianisme, déjà taxé d’opium du peuple, dans ce pays du socialisme tropical, devient une religion de renégats. Chrétiens et membres de groupes de prières indépendants, tous sont désormais des « Prieurs ». Le Cardinal Biayenda et tous les autres responsables religieux sont des Prieurs, des assassins. Ils doivent être sévèrement châtiés. La rue se satisfait vite des ballons d’essai que lui répandent des stratèges de la confusion et du mensonge politico-criminel. Pourquoi a-t-il déjà fait la prison, en 1965, si c’était un bon prêtre ? Commente-t-on. C’est un assoiffé du pouvoir ! Président des Évêques du Congo, Président du Conseil œcuménique du Congo, Cardinal ! Il veut certainement devenir Président de la République ou Premier Ministre, etc. L’amalgame et la manipulation baignent ce pays plus vite que les averses tropicales qui fatiguent les grandes forêts du bassin du Congo. L’ivresse qui s’en suit ne se calme qu’avec de la violence et le sang.
La haine contre les Églises chrétiennes du Conseil œcuménique du Congo, la rage contre l’Église Catholique, celle qui entête les autres, dit-on, la volonté de diviser les paisibles populations, ont trouvé leur bouc émissaire. Son Éminence le Cardinal Émile Biayenda est prêt au sacrifice suprême. Il porte une soutane de couleur kaki, avec des boutons rouges. C’est sa tenue de travail quotidien et des voyages sur les routes de campagne. C’est la soutane de la poussière, de la sueur, du labeur salissant, de l’exode. Le « Yom Kippur », Jour du Grand pardon congolais approche, il est déjà là ! Le Cardinal Biayenda ne lâche plus son chapelet ; dans son Bréviaire en latin, en plus de l’office du milieu du jour, il a aussi récité celui des défunts, pour recommander à Dieu le repos de l’âme du Président de la République et de tous ceux qui ont déjà payé de son assassinat. Quand il finit ces prières, il chante en douceur : « Je crois en toi, mon Dieu, je crois en toi…Plus près de toi, mon Dieu, plus près de toi… ».
Les responsables des autres confessions chrétiennes arrivent à l’Archevêché. Même si l’Armée du Salut assure la direction des séances de travail ou le secrétariat du Conseil œcuménique, depuis le vendredi 2 avril 1976, le Cardinal Émile Biayenda a été maintenu Président du même Conseil. Naturellement, en ces heures difficiles, les autres ont préféré se retrouver autour de lui, à l’Archevêché. Les salutations d’usage échangées, tout le monde attend que le Cardinal Biayenda leur donne son avis sur tout le tintamarre médiatique et populaire sur sa personne. Il se fait plus bref dans le récit des faits, préférant qu’on s’attèle au Message à envoyer au Comité Militaire du Parti. La prière d’ouverture remet tout le monde dans la communion fraternelle et la confiance en Dieu. Le Seigneur Jésus garantit sa présence à ceux et celles qui savent se rassembler en son nom : « De même, je vous le dis, en vérité, si deux d’entre vous, sur la terre, unissent leur voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux. Que deux ou trois, en effet soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux » (Mt 18,19-20)
Qu’avions-nous fait du testament du Cardinal Émile Biayenda ?
« Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour, et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie pour moi la sauvera » (Lc 9,23).
La rédaction du Message terminée, les responsables des confessions religieuses se séparent et se souhaitent du courage pour les jours à venir. Le Cardinal Biayenda et son Vicaire Général ont la charge de transmettre aux destinataires le texte final signé. Ils regardent partir leurs hôtes, s’échangent quelques avis et se séparent. Le Cardinal regagne son bureau et se met à réciter son chapelet. Du message rédigé par le Conseil œcuménique des églises chrétiennes du Congo, le Cardinal Émile Biayenda y ajouté le paragraphe d’apaisement dans le pays à la suite de ce drame : « A tous nos Frères croyants, du Nord, du Centre et du Sud, en souvenir du Président Marien Ngouabi, nous demandons beaucoup de calme, de fraternité et de confiance en Dieu, Père de toutes races et de toutes tribus, afin qu’aucun geste déraisonnable ne puisse compromettre un climat de paix, que nous souhaitons tous ».
Le mal de tout le pays saisit le bon Cardinal Émile Biayenda et lui dévore les entrailles. Il voit les injustices, les massacres, les tortures, les cris de détresse, les pleurs, les flots de sang qui ont déjà coulé dans ce pays. S’il est besoin que sa personne en réduise le débit ou devienne un témoignage visible pour tous, il répond présent ! Il choisit librement de souffrir avec l’Église, le Congo, les sans voix, tous ceux du Nord, du Centre et du Sud qui n’ont plus que Dieu pour entendre leur cri de détresse. « Que votre cœur ne se trouble pas » (Jn 14,1). Toutes les paroles de l’Évangile sont faites pour que les chrétiens les relisent positivement ou négativement dans leur vie.
Alors chrétien du Congo, qu’as-tu fait du testament laissé par le Cardinal Émile BIAYENDA ?
Abbé Albert Nkoumbou
Extrait de son livre
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