jeudi 3 octobre 2024
La promotion est reconnue, acceptée ; non pour soi-même, mais pour tout le monde. Il sera donc le Cardinal de tous, l’artisan de la paix et de l’unité. Pour répondre plus largement aux nombreuses expressions de félicitations, le Cardinal nommé fait publier dans LA SEMAINE, un texte : « Message de S.E. le Cardinal Émile Biayenda ». Il y remercie les uns et les autres et il donne le sens de sa nouvelle promotion : « Les nombreuses lettres qui affluent, ces jours-ci, sur mon bureau, nous montrent avec quel intérêt et quelle joie vous avez accueilli ce grand événement du jour de la promotion au Congo d’un Cardinal, en la personne de l’un de vos fils. Ces mêmes lettres, par la diversité de leurs expéditeurs, prouvent clairement que ce ne sont pas seulement les catholiques qui se réjouissent de cet événement, mais c’est tout le monde…
Notre premier mot c’est un merci très profond au Seigneur... La promotion au rang des cardinaux est un honneur, bien sûr, mais aussi et surtout une charge et un service que nous devrons assumer tous ensemble… A une époque où toute autorité se trouve contestée et rendue caduque mais où, par contre, l’homme ressent un vif besoin de discipline, pour produire efficacement, le devoir incombe aux chrétiens de se rappeler la parole irrévocable du Christ soulignant notre responsabilité : « Vous êtes le sel de la terre ! Vous êtes la lumière du monde ! » (Mt 5). Avant de conclure son message, il renouvelle sa confiance à Mgr le Délégué Apostolique qui lui disait, pour remonter son courage : « Confiance en Dieu, confiance en le Pape, confiance en la Chrétienté ». Oui, ce sera là notre commun programme : « nous compterons sur Dieu, à qui seul nous chercherons à plaire… ».
Les bornes du parcours sacerdotal et épiscopal d’Émile Biayenda restent inchangées, à savoir : travailler dans la foi, l’unité et la communion avec tous ; rester fidèle à l’appel du Seigneur, à la sainteté de ses disciples ; chercher à plaire à Dieu dans tout ce qu’on fait et le faire le plus conformément à sa volonté.
Les réceptions officielles, les interviews et tout ce qui donne éclat et grandeur à un tel événement sont au rendez-vous durant les jours qui suivent. Le bon pasteur ne modifie pourtant pas son calendrier pastoral. Chaque brebis du troupeau mérite son nom et sa part de nourriture. Tata Cardinal confie à la protection de Notre-Dame du Rosaire la santé de Sœur Fernande Kosso qu’il visite à l’Hôpital Général de Brazzaville ; il prête une oreille attentive à Sœur Jeanne Françoise Oumba qui vient le mettre au courant de son désir de travailler, dans l’avenir, à l’école des sourds. Il part visiter, à la paroisse Ndona-Marie de Mfilou, la future concession qui abritera la maison des religieuses de Sainte Marie Madeleine Postel.
Accompagné des abbés Louis Badila et Isidore, il va bénir la maison de son frère aîné Monsieur Milongo Martyr. Un repas y est pris simplement et avant de se mettre au lit, il confie au Seigneur : « Merci Seigneur pour vos bienfaits ; soyez le Maître de cette maison et de ce foyer. Gardez-nous longtemps en cette vie avant de nous retrouver, un jour, en ton paradis ».
Le lundi soir19 février 1973, la radio nationale « La Voix de la Révolution » a diffusé une longue interview que le Cardinal Biayenda a accordée dans la journée à Monsieur François Itoua, directeur de ladite radio. Le Cardinal Biayenda réaffirme la dimension œcuménique et nationale de sa promotion, la place et la mission de l’Église au Congo, la responsabilité des chrétiens dans la construction du pays. C’est le Cardinal Biayenda qui affirme : « L’unité vraie, c’est l’unité des cœurs, l’unité des esprits : peu importent les diversités extérieures : « Qui n’est pas contre nous est pour nous », dit le Christ, Notre Seigneur. C’est bâtir solidement l’unité que de se réjouir des événements heureux qui arrivent à d’autres qu’à nous…L’Église a pour raison d’être de promouvoir la paix, l’unité, la fraternité. Elle est toujours considérée comme le début d’un monde unifié, d’une humanité fraternelle, en proposant, à tous les hommes, le motif essentiel de notre union en unité, à savoir que tous croyants et incroyants, tous les hommes de toutes races, langues et nationalité, tous nous sommes frères, tous nous n’avons qu’un seul père, Dieu…
L’Église a toujours travaillé pour aider le Congolais à éliminer ses complexes.
L’Église, par exemple, veut parler aux gens dans leurs langues maternelles, qui sont aussi valables que le français. Les missionnaires ont appris ces langues et même se sont efforcés d’écrire en ces langues sans complexe… ».
L’hebdomadaire catholique LA SEMAINE, publiera par la suite, un texte de cette interview avec un commentaire qui dit merveilleusement le climat politique de l’époque. Il est écrit : « L’interview du Cardinal a été suivie d’un entretien de M. Itoua avec M. Pierre Nze, membre du Bureau politique, chargé de la Propagande, dans lequel, après avoir souligné les importantes divergences idéologiques entre la pensée chrétienne et la philosophie qui anime la politique de la République Populaire du Congo, le responsable congolais a affirmé, une fois de plus, leur convergence pratique en de nombreux domaines et la volonté réciproque d’une franche collaboration dans tous les domaines et la volonté réciproque d’une franche collaboration dans tous les secteurs où elle est possible et souhaitable. Nul doute que de tels « face à face » peuvent contribuer à supprimer les malentendus et favoriser l’unité du peuple congolais et promouvoir un développement harmonieux et rapide de ses richesses spirituelles et économiques ».
Avant de prendre l’avion pour Rome, il prend le soin de participer à trois journées de formation permanente des ouvriers apostoliques au Grand Séminaire Libermann de Brazzaville. Il en sera ainsi chaque fois qu’il sera à Brazzaville et qu’il y aura une retraite ou une formation permanente des ouvriers apostoliques.
Porté par la présence, les prières et les salutations des fidèles et du clergé, alors que les abbés Isidore Malonga et Félix Bekiabeka sont ses compagnons de voyage, le Cardinal Émile Biayenda s’envole, ce vendredi 23 février 1973, pour Rome. Il va participer au Consistoire du 5 mars où lui sera remis le chapeau cardinalice. Rome est atteint le lendemain matin, à 5h 00, pendant que l’illustre voyageur est en prière : « Seigneur Jésus et Marie Notre Bonne Maman, nous nous confions à vous et je remets l’Archidiocèse et tout l’avenir entre vos mains. Veillez sur nous tous, donnez-nous la joie de nous revoir. Pour tout, merci ! ».
Le Cardinal Biayenda est là ; c’est l’évêque dans son diocèse : il sait allier aimablement la douceur et la force, l’exercice de la miséricorde et l’autorité dans le gouvernement. Saint Augustin a dit que certains défauts « se corrigent non dans l’âpreté et la dureté, ni de façon impérieuse, plutôt en instruisant qu’en ordonnant, par un avertissement plutôt que par une menace ».
Les ouvriers de l’Imprimerie St Paul (I.S.P.) sont également entendus. Ah l’Imprimerie St Paul ! Si les conditions de travail restent difficiles et les relations interpersonnelles si tendues, les Sœurs de St Paul, avec leur Mère Générale de passage à Brazzaville, annoncent de se retirer de la direction de cette entreprise, en septembre prochain.
Au cours de ce mois de janvier, le Frère Omer Locko, responsable de la « Maison Mgr Mbemba », des Frères de St Joseph, reçoit du Cardinal Biayenda une lettre : il s’agit d’un sévère rappel à l’ordre pour un manque de clarté dans la gestion du budget de la dite maison. Monsieur Marc Nkazi, qui est embauché comme cuisinier de la maison épiscopale, reçoit aussi une lettre de l’Archevêque de Brazzaville lui stipulant avec clarté et insistance ce qu’il doit savoir faire pour rendre sa prestation culinaire acceptable. Il lui est dit dans la partie centrale de la lettre ce qui suit : « … vous devez faire des efforts pour devenir peu à peu : Cuisinier qualifié, ayant une connaissance étendue de la cuisine, y compris de la pâtisserie, capable d’exécuter un menu, d’utiliser un livre de recettes ou pouvant assurer la cuisine d’une popote de plus de six (6) personnes, ou préparer une réception ». Au nom de l’Archevêché et en mon nom personnel, je vous encourage à faire ces efforts et à vous dévouer toujours davantage à votre nouveau poste de travail. Désormais, n’oubliez donc jamais que vous êtes responsable de notre cuisine où tout doit être tenu bien en ordre… ». Les curés des paroisses et les responsables des séminaires et des communautés religieuses gagneraient à se mettre à l’école d’une telle gouvernance clarifiée.
En raison de son état de santé, Mgr Jean-Baptiste Fauret, évêque de Pointe-Noire, avait obtenu sa démission puis octobre 1974. Depuis le 28 octobre, voire un peu avant, le Père Guy Pannier assurait l’administration du diocèse, en attendant la nomination d’un nouvel évêque pour Pointe-Noire. Durant cette période d’attente, le Curé de la paroisse St Christophe et doyen des prêtres de Pointe-Noire, pour des raisons propres à lui seul, eut des propos très calomnieux envers l’Archevêque de Brazzaville et son Vicaire Général ; et cela auprès des fidèles de Pointe-Noire. Son cahier-journal en porte la cicatrice : « Monsieur l’Abbé Denis Moussavou de Dolisie est porteur d’un message de l’Abbé David Ndamba. Cela concerne les agitations d’un aîné prêtre et ses laïcs sur le siège épiscopal vacant de Pointe-Noire. Nous en sommes navrés, car nous y sommes calomniés, l’Abbé Louis et moi ».
Le Cardinal Biayenda ne répondra jamais à ce prêtre, mais il acceptera que son Vicaire Général le fasse officiellement par écrit. M. l’Abbé Louis Badila s’y mit avec l’intelligence et la magie du verbe qu’on lui reconnaissait. La conclusion en appelle à la prière, la patience, et la fraternité dans le Christ : « Dans l’histoire des nominations épiscopales, on a vu des « candidats » se porter des coups mortels. C’est arrivé, il y a quelques deux ou trois ans en Grèce : l’élu assassiné par celui qui ne l’était pas. Le Congo n’est pas la Grèce…mais les ambitions et les passions gisent dans tous les cœurs humains. Faites taire vos oppositions. Mais attendons tous, dans la prière, la patience, l’avènement du Christ. Fraternellement dans le Christ », Abbé Louis Badila, Vicaire Général.
Ce fut pour tous une période triste comme le reconnaît le Père Guy Pannier, lui-même pris dans ce tourbillon. Il déclare : « Les événements concernant les dix mois qui se sont écoulés entre le départ et la démission de Mgr Fauret et la nomination de son successeur Mgr Mpwaty (6 novembre 1974 – 5 septembre 1975) ne font pas l’objet de cet essai sur l’évolution pastorale du diocèse de Pointe-Noire. Ce fut une période difficile au cours de laquelle les tensions sur la nomination du futur évêque furent très vives et engagèrent des conflits de personnes ; le respect qui leur est dû ne permet pas d’en rendre compte. Chargé, par intérim de l’administration du diocèse, je tiens au courant Mgr Fauret de tout ce qui se passait tout au long d’une correspondance assidue ». En attendant d’autres points de vue ou d’autres écrits sur cette période, l’opinion commune ne retiendra que ce fut difficile, désagréable et pas toujours fraternel.
Abbé Albert Nkoumbou,
Extrait de son livre : « Cardinal Émile Biayenda, martyr de la foi chrétienne au Congo »
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