lundi 18 novembre 2024
Continuer de travailler à la vigne du Père était le prototype du Cardinal Émile Biayenda. Pourquoi s’étonner des tempêtes présentes, la barque de Pierre en a vu bien d’autres ! Le juvénat Zungula, des Religieuses Congolaises du Rosaire, la congrégation des frères de St Joseph, les maisons de formation, le fonctionnement de l’Imprimerie St Paul et l’autonomie financière de l’Archidiocèse égrainent ses problèmes.
Le Cardinal Biayenda s’épuise en prévenance pour cette congrégation naissante des Religieuses Congolaises du Rosaire. Quand ce n’est pas, ce sont les Frères de St Joseph, l’œuvre jumelle de la première, qui donne des soucis à l’Archevêque de Brazzaville. Les maisons de formation religieuse restent un vrai casse-tête pour le Cardinal Biayenda ; l’Imprimerie St Paul n’est pas encore une source d’autofinancement pour l’Archidiocèse. Le combat contre la dépendance matérielle de l’Église du Congo et la recherche de son autofinancement même graduel sont des vrais pierres d’achoppement que le Cardinal Biayenda n’hésite pas à rendre visibles aux ouvriers apostoliques, aux chrétiens et à toutes les personnes de bonne volonté, qui lui accordent leur attention.
Des ruptures avec certaines façons d’entreprendre et de gérer et des sacrifices s’imposent si on veut sortir du modèle d’assistance extérieure totale, en matière financière. Que faire ?
Le Cardinal Biayenda aime citer le dicton populaire : « Aide-toi et le ciel t’aidera » ou l’exhortation de l’apôtre Paul aux Thessaloniciens : « Et puis quand nous étions près de vous, nous vous donnions cette règle : si quelqu’un ne veut pas travailler qu’il ne mange pas, non plus. Or, nous entendons qu’il en est parmi vous qui mènent une vie désordonnée, ne travaillant pas du tout. Ceux-là, nous les invitons à travailler dans le calme et à manger le pain qu’ils auront eux-mêmes gagné » (2 Th 3, 11-12).
Depuis l’année 1973, les Évêques du Congo ont donné plus de temps de leur concertation aux questions d’autofinancement. La situation matérielle du prêtre congolais a été au centre de plusieurs sessions de la Conférence Épiscopale du Congo. De belles perspectives ont été retenues, mais la réalisation n’a pas toujours suivi le rythme de la sortie des documents.
Par exemple, il a été écrit : « Quelle que soit sa fonction sacerdotale, le Prêtre Congolais doit avoir un budget personnel. Ce budget établi éclaircira, d’une manière précise, le statut financier du Prêtre Congolais vivant dans une communauté mixte (Prêtre Congolais + prêtres missionnaires). Il permettra aussi de distinguer le budget personnel de celui de la paroisse… Que le prêtre congolais s’ingénie à faire des plantations, de l’élevage et de petites industries selon ses possibilités ; qu’il sache investir pour que l’argent perçu fructifie. Notons, en passant : il serait bon que les responsables des Maisons de Formation des Servantes et des Serviteurs de Dieu entreprennent tout pour initier ces jeunes à différentes activités qui aident à vivre. Que les prêtres étrangers épaulent leurs frères Congolais ».
L’homme de Dieu se tourne vers le Seigneur pour remettre à sa bienveillante largesse ses projets : « Merci, Seigneur de nous avoir donné cette nouvelle année !
Nous avons beaucoup de projets, mais c’est avec vous que nous voulons les réaliser.
Une nouvelle année est un pas vers l’éternité et aussi un temps que le Seigneur nous donne pour mieux préparer cette éternité. Aidez-nous, Seigneur, durant toute cette année, à ne rechercher que vous et à nous conformer en tout à votre divine volonté. Marie, notre bonne maman, aidez-nous et intercédez toujours pour nous » écrit-il dans son cahier journal de 1973.
Cette soumission à la volonté de Dieu et cette pleine confiance du serviteur à son Seigneur rappellent la totale donation de Jésus, au soir du jeudi saint, au jardin de Gethsémani : « Abba, Pater ! Omnia tibi possibilia sunt. Transfer calicem hunc a me ; sed non quod ego volo, sed quod tu » (Mc 14,36). Le disciple de Jésus n’est pas plus grand que son maître, mais quand celui-ci vit en perpétuelle imitation de son Seigneur, il en devient un ami, le témoin fidèle de sa sainte présence au milieu des hommes. Le Cardinal Biayenda passe sa vie à retrouver avec amour la trace et la présence du Sauveur dans les événements, les rencontres, les défis qui jalonnent sa vie de pasteur et d’homme de foi.
L’Archevêque veille aussi sur le patrimoine de l’Église. Quand la nécessité se fait sentir, lui-même descend dans l’arène, pour défendre avec courage les acquis de l’Archidiocèse de Brazzaville.
Avec le Père Jean Morizur, il se rend au Service de l’urbanisme, le 27 janvier, pour discuter des terrains acquis à Mfilou et à Ngangouoni, deux quartiers de Brazzaville.
Le lendemain, il va à la paroisse St pierre Claver de Bacongo où l’adjoint au maire de ce quartier demande avec outrecuidance qu’il lui soit cédée l’ancienne chapelle et ses alentours. Il veut y installer, dit-il, un dispensaire scolaire. La nationalisation des écoles, en 1965, a donné de l’appétit aux responsables politiques sur les terrains des Églises chrétiennes. Tous les prétextes sont vite trouvés et rendus publics pour extorquer à l’Église tel ou tel autre terrain. Le Cardinal Biayenda est donc parti répondre à l’adjoint au maire de Bacongo : « C’est impossible, cette salle sert beaucoup à la paroisse ». Un dispensaire scolaire est une œuvre bonne ; cependant, son utilité ne justifie pas ipso facto qu’un agent de l’État se fasse céder une vieille chapelle dans un quartier où d’autres espaces publics sont des dépotoirs d’immondices.
En dépit de ces sollicitations impertinentes, les relations de l’Église avec les autorités politiques, civiles et administratives, restent sereines. Celles du Président de la République avec le Cardinal sont devenues cordiales et fraternelles.
Ces journées ferventes et fraternelles encouragent les responsables des Églises dans leur ministère. Le Cardinal Biayenda rejoint son presbytérium pour se mettre à l’écoute des différents ouvriers apostoliques qui apportent leurs soucis et projets au garant de la foi dans l’Archidiocèse de Brazzaville. Chacun trouve écoute fraternelle et sollicitude apostolique. C’est le cas de M. l’Abbé Jean-Pierre Gallet qui revient de Mayama et Nkoué en tournée pastorale ; le Père Aimé Porret, à St Jean-Marie Vianney de Mouléké, reçoit des encouragements sur son ministère ; M. l’Abbé Pierre le Borgne, qui maintient sa démission sur son engagement ministériel dans le quartier de Kingouari n’est pas rabroué ; les grands séminaristes Émile Bitsindou, Sébastien Zoubakéla, André Kenko et Thomas Ndala sont longuement écoutés. Ils lui font bonne impression. Son cahier retient : « Je vais personnellement leur payer deux mobylettes. Tous m’ont fait très bonne impression. Dieu en soit loué ! » (28 janvier 1975).
Les ouvriers de l’Imprimerie St Paul (I.S.P.) sont également entendus. Ah l’Imprimerie St Paul ! Si les conditions de travail restent difficiles et les relations interpersonnelles si tendues, les Sœurs de St Paul, avec leur Mère Générale de passage à Brazzaville, annoncent de se retirer de la direction de cette entreprise, en septembre prochain.
Le Cardinal Biayenda est là ; c’est l’évêque dans son diocèse : il sait allier aimablement la douceur et la force, l’exercice de la miséricorde et l’autorité dans le gouvernement. Saint Augustin a dit que certains défauts « se corrigent non dans l’âpreté et la dureté, ni de façon impérieuse, plutôt en instruisant qu’en ordonnant, par un avertissement plutôt que par une menace ».
Au cours de ce mois de janvier, le Frère Omer Locko, responsable de la « Maison Mgr Mbemba », des Frères de St Joseph, reçoit du Cardinal Biayenda une lettre : il s’agit d’un sévère rappel à l’ordre pour un manque de clarté dans la gestion du budget de la dite maison. Monsieur Marc Nkazi, qui est embauché comme cuisinier de la maison épiscopale, reçoit aussi une lettre de l’Archevêque de Brazzaville lui stipulant avec clarté et insistance ce qu’il doit savoir faire pour rendre sa prestation culinaire acceptable. Il lui est dit dans la partie centrale de la lettre ce qui suit : « … vous devez faire des efforts pour devenir peu à peu : « Cuisinier qualifié, ayant une connaissance étendue de la cuisine, y compris de la pâtisserie, capable d’exécuter un menu, d’utiliser un livre de recettes ou pouvant assurer la cuisine d’une popote de plus de six (6) personnes, ou préparer une réception ». Au nom de l’Archevêché et en mon nom personnel, je vous encourage à faire ces efforts et à vous dévouer toujours davantage à votre nouveau poste de travail. Désormais, n’oubliez donc jamais que vous êtes responsable de notre cuisine où tout doit être tenu bien en ordre… »
Les curés des paroisses et les responsables des séminaires et des communautés religieuses gagneraient à se mettre à l’école d’une telle gouvernance clarifiée.
Abbé Albert Nkoumbou,
extrait de son livre : « Cardinal Émile Biayenda, martyr de la foi chrétienne au Congo »
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