lundi 25 novembre 2024
Par M. l’Abbé Olivier Massamba Loubélo
Émile BIAYENDA, vicaire de la paroisse Sainte-Marie de Ouenzé, puis curé de la paroisse Saint-Jean-Marie Vianney de Mouléké, à Brazzaville, ne vit pas comme un reclus ; il est chaleureux, attentif aux autres et passionné des contacts avec les personnes qu’il rencontre au cours des activités pastorales à la paroisse ou lors des visites dans les quartiers ; il se fait tout à tous, hommes et femmes, enfants et adultes, avec une attention particulière pour les démunis et les malades.
Sa simplicité et la paix qui émane de sa personne sont des armes efficaces pour gagner à Dieu le cœur de ceux qui font un bout de chemin humain et spirituel avec lui. Il puise cette simplicité et cette paix dans son amour filial à Marie, la mère de notre Seigneur. Cette piété mariale qui a germé lors de ses années de formation au sacerdoce, est un trait fort de sa vie de prêtre ; souvenons-nous qu’il aimait appeler Marie « ma bonne et tendre mère » et qu’il l’appelait pour qu’elle demeure toujours avec lui. Il priait ainsi à la veille de son ordination sacerdotale :
« Marie, ma mère, je vous confie mon sacerdoce. Soyons ensemble, travaillons, prions ensemble. Que je vous aime avec votre Fils et que je vous fasse aimer aux âmes pour lesquelles. Je consacrerai toute ma vie ». (A.T. p.71)
Celle qui a donné naissance à Émile, maa Biyela bia Milongo ne sera pas présente physiquement demain, à la messe d’ordination sacerdotale de son fils ; mais Émile sait qu’il n’est pas dépourvu d’amour maternel : Marie, la mère que Jésus nous a donnée lorsqu’il mourait sur la croix, est avec lui ; elle sera encore là demain et elle sera avec lui jusqu’au jour de sa mort.
Je me souviens clairement que revenu de Lyon en 1969, l’abbé Émile fut invité au petit séminaire Saint-Paul, à Mbamou, pour parler aux séminaristes ; il nous invitait à réciter régulièrement notre chapelet ; il nous disait que lorsqu’il fut emprisonné en février 1965, ses geôliers l’avaient dépouillé de son chapelet, mais, ajouta-t-il, avec une sourire radieux, il avait encore ses dix doigts dont il se servait comme des grains pour réciter le chapelet.
Cette piété ne ressemble en rien à un piétisme béat. En associant Marie à sa vie sacerdotale et à toutes ses activités pastorales, l’abbé Émile se fonde sur la conviction que la vie de l’humble jeune fille de Nazareth qui deviendra la mère du Christ est une source d’inspiration inépuisable pour tout prêtre ; en effet, Marie n’est pas seulement la mère qui prie pour les prêtres, elle est aussi la femme croyante, la femme charitable et la femme d’espérance, toute humble, qui est donnée en modèle à tout chrétien et au prêtre en particulier.
Suite à l’annonce de sa nomination à la charge d’évêque coadjuteur de Brazzaville, le 26 mars 1970, Monseigneur BIAYENDA prononce une allocution dans laquelle il prend Marie pour modèle :
Mes bien chers frères en Jésus, C’est l’occasion de le dire : vraiment, les voies de Dieu sont insondables. Il y a des surprises qui bouleversent et qui désorientent les plans des hommes. Marie, notre Mère, ne se proposait-t-elle pas dans sa loyale humilité, une vie tranquille toute effacée, au service de son Dieu ? Et brusquement Dieu en décida autrement : la voilà engagée à porter la lourde croix avec le Rédempteur : l’homme propose et Dieu dispose.
Point n’est besoin de rappeler que ma nomination à la charge d’évêque qui m’échoit aujourd’hui, et qui réjouit beaucoup de chrétiens, est une lourde croix. Nous le ressentons et le constatons nettement bien plus encore à cette époque de contestation. Mais quand le Seigneur parle, toute appréhension humaine doit disparaître et laisser place à l’action de grâces : au « merci » le plus sincère ; car au fond, c’est toujours une grâce ineffable, une source de bénédiction pour tous. Aussi malgré les appréhensions, malgré les pressentiments d’un calvaire, comme Marie et avec Marie, comme Zacharie, nous ne pouvons que dire : « Béni soit le Seigneur Dieu de l’univers, il continue de visiter son peuple ... ».
Comme Marie qui accueille le plan de Dieu sur elle, Émile est rempli de foi en l’œuvre de Dieu qui donne les grâces nécessaires à l’accomplissement de la mission qu’il confie aux hommes. Il leur donne la force d’aller jusqu’au bout, d’accompagner tout au sommet du calvaire Jésus portant sa croix, de communier à ses souffrances, pour voir se lever le Soleil de Justice sur l’humanité encore esclave de la mort et du péché.
Comme Marie qui se lève et part en hâte porter à Élisabeth la bonne nouvelle de la ,prochaine naissance du Messie qu’elle porte en son sein, Émile est tout à son travail d’annoncer en paroles et en actes à ceux qu’il rencontre la bonne nouvelle qu’ils sont aimés de Dieu et que Dieu les veut debout et joyeux en Jésus Christ.
Comme Marie qui reste avec sa cousine Élisabeth, enceinte de six mois, pour lui apporter son aide, Émile est attentif aux malades et aux malheureux.
Il est clair que la dévotion mariale d’Émile BIAYENDA est une source d’inspiration et une force pour être un véritable disciple de Jésus, à l’exemple de Marie qui fut le premier disciple de son Fils, depuis Nazareth jusqu’à Jérusalem.
Chez Émile : les qualités ne sont pas en demi-teinte, elles apparaissent dans toute leur maturité et ne s’éclipsent pas, car cet homme est entier et constant. Parmi ses qualités, je voudrais relever spécialement son humilité qui est à la fois déroutante et fascinante. Il a toujours été comme cela, disent ceux qui l’ont connu depuis les années de formation au séminaire jusqu’à la fin de sa vie. Mais pour le commun des fidèles, c’est la tranche de vie de l’épiscopat et du cardinalat qui marque les esprits. En Afrique (mais ce n’est pas une spécificité africaine), il n’est pas rare que les prêtres, à plus forte raison les évêques et les cardinaux soient mis sur un piédestal quand ce ne sont pas eux-mêmes qui invitent les fidèles à les hisser sur le pavois ; en effet, ces hommes de Dieu ont le privilège d’être manipulateurs du sacré et donc détenteurs de pouvoirs magico-religieux que sollicitent ceux qui sont dans les embarras de tous genres ; c’est pour cela qu’on leur voue le respect et les honneurs dus à leur rang de notables et de faiseurs de sacré. Émile BIAYENDA, évêque et cardinal, méritait ces honneurs en toute logique. Il avait conscience d’être un chef, un grand chef, il n’était pas seulement nganga Nzambi, le féticheur de Dieu (c’est ainsi qu’on désigne le prêtre au Congo-Brazzaville), mais plus encore il était Mfumu nganga (appellation de l’évêque en pays koongo), le chef des féticheurs. Cependant il n’utilisait jamais son statut de chef pour se pavaner ; c’était vraiment un prince à l’esprit noble et élevé qui savait que sa véritable grandeur ne lui venait pas de ce que les hommes l’encensaient, mais plutôt de son élection par Dieu au rang de serviteur des fidèles chrétiens.
Je voudrais rapporter ici une anecdote pour illustrer mon propos : peu après sa nomination au cardinalat, les fidèles chrétiens de l’archidiocèse de Brazzaville, estimant que la vieille 2CV fourgonnette ne convient pas à leur pasteur, organisent une collecte aux fins de lui offrir une voiture digne de son rang ; ce sera une berline Mercedes noire ; piqué au vif par cette marque de respect des chrétiens envers le premier cardinal du Congo-Brazzaville, le Président de la république du Congo, le commandant Marien NGOUABI, va lui offrir, au nom de l’État congolais, une Peugeot 504 noire, la voiture des officiels congolais de l’époque.
Le cardinal loue la générosité des donateurs, mais très souvent, lors de ses visites pastorales ou de ses déplacements personnels, il continuera à rouler dans sa vieille 2CV.
Émile ne regarde jamais les gens de haut ; que ce soit au milieu des prêtres ou des fidèles, il sait exercer l’autorité en bon intendant chargé de donner à chacun sa part de nourriture et il considère les autres comme des enfants de Dieu, des frères et sœurs de Jésus revêtus d’une égale dignité ; à l’exemple du Christ qui se tient au milieu des hommes dans la posture du serviteur s’abaissant jusqu’à laver les pieds de ses disciples, il vit et exerce son sacerdoce non comme une promotion sociale, mais plutôt comme un appel incessant à se mettre au service des hommes et des femmes que Dieu place sur son chemin. Le message qu’il adresse aux chrétiens et à tout le peuple congolais après la réception de la lettre officielle de son admission dans le Collège des cardinaux en dit long sur sa lucidité et sur le sens juste et noble qu’il a de l’exercice de l’autorité dans l’Église :
« Frères, cette nouvelle reste une grande surprise, tant pour vous que pour nous-mêmes : personne ne s’y attendait et ne pouvait s’y attendre ! Eh bien, que la volonté de Dieu soit faite et que le Seigneur et l’humanité en soient glorifiés au maximum ! La promotion au rang des cardinaux est un honneur, bien sûr, mais aussi et surtout une charge et un service que nous devrons assumer tous ensemble. C’est une faveur de la part du Seigneur, mais une faveur lourde de responsabilités vis-à-vis de ce monde. Aussi, nous avons tremblé profondément en apprenant cette nouvelle. Le courage nous est revenu en entendant cette parole profonde du Délégué Apostolique : « confiance en Dieu, confiance en le Pape, confiance en la chrétienté et au clergé ! » Oui, nous avons alors compris que cette charge n’était pas une affaire personnelle mais l’affaire de tous : Dieu et tout son peuple. Notre force devant cette croix de salut, c’est Dieu, c’est le Saint-Père, c’est vous, chers frères chrétiens, et toutes les bonnes volontés de notre pays !
Et cette grande grâce, c’est à nous tous, frères, qu’elle est confiée pour le salut et le bonheur de tous : qu’elle ne soit pas vaine ! Nous devons la conserver jalousement et en tirer profit pour la plus grande gloire de Dieu et de l’humanité.
Et il en sera ainsi, si nous chrétiens, nous restons dans l’Esprit de Jésus, cet Esprit de Jésus qui se manifeste dans ce monde par ce sens du respect, du service, de la charité fraternelle qui anime toute communauté joyeuse de vivre ! Cet Esprit de Jésus qui a pour signe le respect de la personne humaine quelle qu’elle soit, la conscience professionnelle dans toute charge que nous assumons en société et surtout le sens aigu de la hiérarchie ... A une époque où toute autorité se trouve contestée et rendue caduque mais où par contre l’homme ressent un vif besoin de discipline pour produire efficacement. Le devoir incombe aux chrétiens de se rappeler la parole irrévocable du Christ soulignant notre responsabilité : « Vous êtes le sel de la terre ! Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5, 13.14).
C’est à nous donc, frères et sœurs, c’est à nous de montrer au monde la beauté et la splendeur de l’autorité, selon les vues de Dieu. Car nous savons pourquoi tel ou tel commande à d’autres hommes : nous savons que toute autorité vient de Dieu, que toute hiérarchie est œuvre de l’Esprit organisateur de Dieu ... Frères, si tout homme ressent d’instinct la nécessité d’une discipline, combien plus, nous, croyants, qui savons la raison profonde de la hiérarchie, devrons-nous aimer la discipline et l’ordre. Nous portons la grande responsabilité de redonner au monde la saveur et la joie d’une vie organisée, hiérarchisée. Il nous appartient d’annoncer et de montrer que « obéir » n’est pas se rabaisser, mais au contraire, c’est faire preuve de grandeur d’âme et d’intelligence. C’est sans aucun doute un facteur indispensable pour toute construction. Voilà, à notre avis, chers frères, la leçon qui se dégage de cette promotion qui fait notre joie et notre fierté à tous ! (in A. T. pp. 99-101).
Nous percevons à travers ce message que l’humilité d’Émile n’est pas la fausse modestie ; il sait l’honneur qui vient de lui être fait, mais dans le même élan, il associe à cet honneur le peuple chrétien et la nation congolaise tout entière. L’honneur qui est fait au pasteur rejaillit totalement sur ses frères ; il ne se met ni au-dessus ni en dehors de ceux à qui est destiné le message évangélique. En même temps, il ne se dérobe pas à sa mission qui consiste à parler au nom du Christ pour rappeler les exigences salutaires de la vie chrétienne, ici celle de la nécessité de la reconnaissance et du respect de la hiérarchie en vue de la construction d’une société où chacun est reconnu, et aussi celle d’une saine compréhension de l’autorité comme un don pour la promotion du bien commun. Encore une fois, sa conception et son exercice de l’autorité pastorale sont dictés par l’enseignement du Christ : « Les rois commandent en maîtres, les grands font sentir leur pouvoir, parmi vous, il ne doit pas en être ainsi ; celui qui veut être le plus grand sera votre serviteur ... » (Marc 10, 42-43).
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