jeudi 5 décembre 2024
Il ne s’agit pas de relire encore, au détail, les épisodes de conflit, d’épreuve, de violence vécus par Émile Biayenda, à cause de sa foi au Christ. Des exemples phares permettent, en synthèse, d’éclairer l’itinéraire de vie d’un chrétien, d’un prêtre et d’un évêque enraciné dans sa foi et toujours prêt à verser son sang pour le Christ, l’Église et le prochain. Nous avons là le destin d’un baptisé en qui l’Esprit Saint accomplit jusqu’au bout son œuvre de témoignage, de « martyre » de l’annonce de la Bonne Nouvelle, de la foi, de l’espérance et de la charité.
Élève au Petit Séminaire St Paul de Mbamou (1944-1950), il assume la discipline du règlement avec une obéissance qui excelle la norme requise. L’épreuve de la restitution de la dame-jeanne cassée, imposée par son Supérieur, lui fait parcourir, à pied, un trajet aller –retour de 500 kilomètres, en moins de dix jours et dans des conditions de survie pour un enfant de son âge. Il en sort vainqueur et plus attaché à ses formateurs.
Étudiant au Grand Séminaire Libermann de Brazzaville, il subit et endure, sans rancune, l’opposition et le mépris de ses propres parents et frères, pendant trois ans (1955-1958). Il est le seul à défendre la vocation religieuse de sa sœur cadette Marie Françoise Lozi. En dépit du temps et des formes que prend cette épreuve, il ne renonce ni aux parents et frères qui le persécutent visiblement, ni à la certitude de voir aboutir l’appel de Dieu sur sa cadette. Il en sort vainqueur et plus affermi dans sa foi en Dieu.
Premier Curé de la paroisse St Jean-Marie Vianney de Mouleke et Aumônier national de la Légion de Marie, il subit l’épreuve de la prison et la violence des tortures, pendant 44 jours. C’est le fruit de la jalousie de quelques confrères du clergé et des persécutions que le nouveau régime politique, fondé sur le socialisme scientifique ou marxisme-léniniste, lance contre l’Église catholique au Congo. M. l’Abbé Émile Biayenda témoigne de son innocence, confesse sa foi inébranlable en Dieu, jusqu’à en être un miraculé qui survit à l’atrocité des tortures, même à l’épreuve de la noyade au fleuve, enfermé dans un sac à riz. Il s’en sort victorieux, en pardonnant à ses bourreaux. L’Église locale et universelle reconnaît son amour et sa fidélité évangéliques et découvre en lui un homme juste, courageux et pacifique.
Durant tout le temps de son ministère épiscopal, en tant qu’Archevêque de Brazzaville et premier Cardinal du Congo, Émile Biayenda subit le conflit, la persécution, la haine des militants communistes congolais ou étrangers en mission diplomatique au Congo. Représentant, avec M. l’Abbé Louis Badila, Vicaire Général, de l’Église Catholique auprès du Gouvernement congolais, auprès des Églises Évangélique, Salutiste, Kimbanguiste, l’Archevêque Coadjuteur, puis Archevêque de Brazzaville, sera la cible la plus visible de toutes les violences d’un État congolais galvanisé par l’idéologie communiste.
Il prêche la Bonne Nouvelle de l’unité du pays en partant par l’unité des foyers et des familles, l’unité des confessions religieuses chrétiennes. Il s’active à affermir la communion des ouvriers apostoliques du Congo, missionnaires et autochtones, la collaboration apostolique dans la sous-région d’Afrique Centrale, la communion entre l’Église locale du Congo et l’Église universelle.
Il se fait le défenseur infatigable de la place des chrétiens dans la société congolaise et son développement ; de l’éducation de la jeunesse aux valeurs évangéliques et humanistes dans une société congolaise aux prises avec la modernité et le communisme. Il mène un combat courageux pour l’intégrité de la doctrine chrétienne, par une pastorale ouverte aux réalités du moment, une évangélisation de proximité et de sincère inculturation, une approche attentive du monde des intellectuels, par le Centre d’Études et de Recherches Chrétiennes et le maintien de l’évangélisation par les mass-médias (La Semaine, les émissions radiodiffusées, etc.).
Il subit aussi le conflit, la violence et la mort pour son combat en faveur de la justice sociale, des droits de l’homme, des handicapés, des vieilles personnes, des veuves et des orphelins. Il promeut un dialogue franc et sans compromis entre les États de l’Afrique Centrale, notamment pour les réfugiés Cabindais. Il se fait le serviteur obéissant, doux et humble d’une Église au service des personnes et des pays.
L’incrédulité, l’idéologie anti-chrétienne, la manipulation politique des tribus et régions du Congo se ressentent sur l’Évangile et les Églises chrétiennes qui le proclament comme une formidable force de contestation qu’il s’agit de supprimer, par la violence. L’assassinat du Cardinal Émile Biayenda est le point d’orgue d’une violente partition orchestrée par un État laïc contre la foi chrétienne au Congo.
Soyons heureux du Cardinal Émile Biayenda, qui est allé jusqu’au sang pour annoncer au Congo et ailleurs, le message de justice et d’amour de Jésus-Christ, notre Sauveur et notre Seigneur.
Soyons heureux d’être portés, par tous ces martyrs que nous ne connaissons pas, ceux et celles qui confessent le nom du Seigneur dans tous les pays.
Ni la mémoire, la béatification ou la canonisation du serviteur de Dieu, Émile Biayenda – si l’Église les proclame un jour – ne peuvent absolument être un fétiche bon à tout faire et apte à tout justifier, un trophée ethnique ou confessionnel dans l’arène du troisième millénaire, la source intarissable, messianique et prophétique propre à irriguer des idéologies politiques et des spiritualités syncrétiques. Qu’on n’oublie pas si vite la lucide remarque de M. Martial Sinda, qui a écrit : « Le messianisme congolais naît dans une société dominée qui prend conscience de sa situation dépendante mais qui, empêchée par son manque d’éducation politique, se réfugie dans l’imaginaire ».
La tombe du Cardinal Biayenda est dans la Cathédrale du Sacré-Cœur de Brazzaville, à côté de celle de son prédécesseur, Mgr Théophile Mbemba. Ces tombes sont accessibles et recommandées à la vénération filiale, fraternelle de tout le monde, sans exception. Selon la doctrine encore en vigueur de l’Église catholique, ces tombes pourtant si vénérables, ne sont ni plus sacrées, ni spirituellement plus puissantes que les saintes eucharisties célébrées ou le Saint-Sacrement du tabernacle déposé dans cette cathédrale. S’il est vrai que l’histoire du Congo et celle de l’Église (pour ceux qui se donnent la peine de la connaître) ont connu moult messianismes et révélations, il ne faut refuser à personne le droit et la liberté de discerner ceux de notre époque, surtout quand ce qui est offert sur la place publique se caractérise par la précipitation, le dénigrement des personnes, l’intransigeance et la récupération.
Avec Mgr Godefroy Mpwati, intervenant aux funérailles du Cardinal Biayenda, nous pouvons conclure : « Pierre, le chef des Apôtres, nous dit : « Le Christ a souffert pour vous, vous laissant un modèle, afin que vous suiviez ses traces » ( 1P 2, 21 ). Et ce modèle, Dieu merci, notre Cardinal, durant sa vie chrétienne de prêtre et de pasteur, s’est appliqué à s’y configurer et à le reproduire. Humble, pauvre, fidèle à sa tâche, zélé, dévoué, charitable, simple et cordial, homme de prière, voilà des qualités qui ont excellé en lui » ( 27 mars 1977 ). Pourquoi ne pas nous mettre à l’école d’un père et d’un aîné si édifiant ?
Homme de foi, au sens où Paul affirme que le juste vivra de foi (Rm 1,17), et sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu, Émile Biayenda cultive aussi cette foi capable de transporter les montagnes (1 Co 13,2). Il s’agit ici de ce don ou de ce charisme précis de faire confiance en Dieu et à son intention d’intervenir avec puissance dans une situation donnée, surtout quand il s’agit de la vie de l’Église locale dont il est le pasteur. A long terme, ou à court terme, Émile Biayenda savait dire, écrire, répondre : « Au nom de Jésus-Christ le Nazaréen, marche »
Abbé Albert NKOUMBOU
Dans la même rubrique