dimanche 24 novembre 2024
Témoignage des sœurs Carmélites
Le Cardinal Émile Biayenda était notre père.
C’est lui qui a écrit, à différents carmels de France qu’il connaissait, en son nom et au nom de son Archevêque Mgr Théophile Mbemba - qui allait partir vers le Père peu de temps après - pour leur demander de venir fonder un carme) à Brazzaville.
Nous avons mûri ce projet avec lui. Il est passé deux fois dans nos monastères de France pour nous rencontrer et dialoguer avec nous et voir ensemble comment, avec l’Esprit Saint, nous allions travailler à la naissance de ce Carme) au cœur de l’Église du Congo, à Brazzaville.
Sa lettre de demande de fondation, puis ces rencontres avec lui nous ont profondément frappées. Ces quelques séjours qu’il a effectués dans nos carme) nous ont donné à toutes de toucher en lui une intense Présence. C’était un homme de Dieu.
Dès nos premières rencontres avec lui et tout au long de ce cheminement ensemble à Brazzaville, de 1974 à 1977, nous avons pu voir en lui l’homme des BÉATITUDES.
Oui, il nous est toujours apparu comme :
Un homme de Dieu rayonnant sa Présence
On le sentait habité. Il vivait au dedans avec le Christ. En même temps, il était profondément humain, attentif à chaque personne rencontrée, comme si elle était la seule importante pour lui.
Un homme de foi profonde, vivante agissante
Toute sa vie, ses paroles témoignaient de cette foi. « Sur ta Parole, je jetterai le filet » était sa devise épiscopale. Il la vivait pleinement. La Parole de Dieu ‘l’habitait. Elle faisait corps avec lui. Elle façonnait ses paroles, ses actions, ses rencontres.
Un homme de prière
Il célébrait intensément l’Eucharistie. Nous nous souvenons particulièrement de cette Eucharistie dans notre oratoire à Bacongo, au Foyer Abraham. Il vivait le mystère. Ce jour-là, on lisait l’évangile des Béatitudes. En l’entendant proclamer ce passage et en l’écoutant méditer ces paroles, on touchait combien sa propre vie était l’expression vivante des Béatitudes. Oui, il était pour nous l’homme des Béatitudes.
Il s’absorbait tout entier dans l’oraison silencieuse, saisi par la Présence qui l’habitait.
Un homme d’écoute, de dialogue
Dès notre première rencontre en France, nous avons été impressionnées par son écoute. On le sentait là, totalement présent, réceptif. Il écoutait recueilli et dialoguait simplement avec la même profondeur. Toutes nos rencontres avec lui se vivaient dans cette écoute profonde, bienveillante. Nous cherchions à discerner ensemble les chemins de l’Esprit, les étapes à franchir. Il suggérait mais n’imposait rien.
Lors de notre dernière rencontre, début mars 1977, il nous proposa de retourner dans nos communautés de Tours et de Verdun pour partager de vive voix le vécu de ces trois ans à Brazzaville, avant de commencer la nouvelle étape de construction du monastère. Il nous dit : « Prenez le temps de réfléchir et de prier, puis vous me direz ce que vous en pensez ».
Nous le voyons encore, quand il venait nous rendre visite au Foyer Abraham. Il arrivait le soir vers 18 h.30. Il venait incognito avec sa soutane kaki, conduisant sa petite 3 CV ! Parfois des petites filles du Catéchisme venaient nous dire bonsoir avant de rentrer à la maison. Il les accueillait chaleureusement, les écoutait, leur parlait avec beaucoup d’attention.
Un homme pauvre, humble, modeste
On le sentait pris par le Seigneur, caché avec le Christ en Dieu et totalement détaché des biens de ce monde. C’était visiblement un homme libre. Pour lui, Dieu était tout et il semblait regarder chaque personne. chaque événement, et toutes choses dans la lumière du Christ et de son Évangile. Un jour, l’une d’entre nous dut aller le voir pour une question urgente. C’était un peu avant 15 heures. En arrivant à l’Archevêché, elle le trouva en tenue de travail, en train de mettre de l’huile de vidange, avec un pinceau, sur les planches de la véranda qui servait de salle d’attente pour ses nombreux visiteurs. Avec son merveilleux sourire, il lui expliqua son travail, s’excusa et lui demanda d’attendre un peu.
Ya Pauline, l’une de nous, se souvient de cette anecdote qui l’avait beaucoup frappée dans sa jeunesse. Quand il revint de Rome après avoir été nommé Cardinal il visita un jour Linzolo. Les gens de toute la région allèrent à sa rencontre et le prièrent de monter sur le « tipoye » qu’ils avaient préparé pour le transporter en triomphe jusqu’à Linzolo. Il sourit, prit sa croix et la déposa sur le tipoye. « C’est Lui qui doit être porté en triomphe et pas moi » !
Un homme de Paix.
Il rayonnait la paix et la semait où il passait .11 cherchait toujours à rassembler. à réconcilier. II allait au-devant de chacun sans préjugé. En chacun, il voulait rencontrer un frère, une sœur. II était vrai.
Un homme bon, miséricordieux, compatissant
Il respirait la bonté, il savait compatir aux souffrances des autres. Le mal le faisait souffrir, il savait le dénoncer mais il ne jugeait pas les personnes.
Il était rempli d’attention fraternelle. Un jour, à son retour d’un voyage en France, il nous apporta, tout joyeux, de magnifiques roseaux d’ornementation qu’il avait vus dans le jardin du Carmel de Lisieux juste devant la porte de l’infirmerie où était morte Ste Thérèse de l’Enfant Jésus. Il avait demandé à la supérieure de les cueillir pour qu’il puisse les apporter au Carmel de Brazzaville.
Nous avons été profondément touchées de cette délicatesse de cœur !
Voilà ce que nous portons gravé au fond de nos cœurs.
Depuis son « entrée dans la Vie », sa discrète et bienveillante présence continue de nous accompagner. Nous n’avons vu aucun signe spectaculaire, mais beaucoup d’humbles signes, comme un « parfum » de sa présence, de sa sollicitude paternelle pour ce petit carmel qu’il aimait. Nous en rendons grâce au Seigneur.
En terminant, nous voulons rendre grâce au Seigneur pour le grand don qu’il a fait à son Église et à l’Afrique en la personne de notre bon Cardinal. Avec toute notre Église et ses nombreux amis de partout, nous souhaitons ardemment que l’Église le béatifie et le canonise afin que sa lumière éclaire tout le peuple de Dieu.
Voici ci-dessous, un extrait de la lettre où le Cardinal Émile Biayenda demandait la fondation d’un Carmel dans l’Archidiocèse de Brazzaville.
+ Brazzaville, le 3 juin 1971
Bien chères révérendes Mères,
A la Pentecôte de cette année qui est aussi mon premier anniversaire du Sacre, tout en rendant grâce au cours d’une messe pontificale célébrée dans l’une de nos plus grandes paroisses de Brazzaville (Saint-Esprit de Moungali), où j’ai conféré le sacrement de confirmation à 535 néophytes, je me suis aussi souvenu de tous mes amis proches et lointains qui, à l’occasion de cette date ont prié pour mes intentions.
C’est dire que j’ai pensé à vous en songeant aussi à cette lettre que j’allais vous adresser ensemble, chères Sœurs bien-aimées en Notre Seigneur, du Carmel de Moulins, Tronche, d’Ars, d’Alençon et de Lisieux.
Le Seigneur vous a mises sur mon chemin tant du Sacerdoce que de l’épiscopat. Le Seigneur vous a constituées comme Marthe et Marie sur mon chemin : aussi la joie et la compréhension que j’ai toujours éprouvées successivement en allant vous voir et vous confier mes intentions, ont-elles laissé en moi l’impression d’être passé à autant de Béthanie. Cela réconforte et permet d’oser davantage.
Oui, chères Révérendes Mères et Sœurs du Carmel, j’aime vous croire toutes en bonne santé et toutes également enclins à me pardonner mon silence. Après une année depuis le Sacre, j’ai tâché d’aller dans toutes les paroisses et certaines communautés chrétiennes pour prier avec elles la 1ère Messe pontificale et leur apporter ma 1ère bénédiction avec celle de Notre Saint-Père le Pape.
A présent, c’est presque la repasse avec les tournées de confirmations commencées depuis le 18 avril et qui vont s’achever le 27 juin seulement. Comme Monseigneur Théophile MBEMBA ne peut plus effectuer de longues tournées, à cause de son état de santé, c’est à moi que revient donc ce ministère, fatiguant bien sûr, mais combien consolant et encourageant, car il permet le contact et l’enseignement directs.
Partout l’on sent combien se développe la vie chrétienne. Beaucoup d’adultes demandent à devenir chrétiens. Les Missionnaires en dépit de leur petit nombre, doivent centrer leurs efforts pour la création et la formation des communautés rayonnantes de foi et capables d’affermir le zèle de ces nombreux néophytes.
Comme vous le savez, nous sommes en pays socialiste marxiste et de ce fait, nous n’avons plus d’écoles, à part celles de nos séminaires et de nos juvénats pour la formation de prêtres, de religieux et de religieuses congolais.
Nous centrons nos efforts sur la catéchisation et certaines œuvres sociales nécessaires en tout pays en voie de développement. L’Église reste ainsi présente dans le pays et prend sa part dans la grande œuvre de la montée des peuples.
Mais nous le sentons aussi, conscients de ce que le Seigneur nous a dit :« sans moi vous ne pouvez rien faire », tout cela ne peut tenir que par une abondante effusion de supplications et de constantes prières au Seigneur, par des âmes qui lui sont totalement consacrées. En réfléchissant ces jours-ci sur ce point avec Monseigneur l’Archevêque Théophile MBEMBA, nous nous sommes rendu compte que nous manquions de Moniales dans notre pays. La République Populaire du Congo—Brazzaville qui a-trois diocèses : Pointe-Noire au bord de la mer à 512 km de Brazzaville, Brazzaville et Fort-Rousset dans le Nord. A Pointe-Noire existe un monastère des Sœurs de la Visitation (Visitandines) et dans la région limitrophe entre les diocèses de Pointe-Noire et de Brazzaville, le monastère des Bénédictins de Pierre- qui-Vire (Bouenza). Brazzaville et Fort-Rousset n’ont rien de tout cela.
Aussi, comme une grâce et une faveur insigne auprès du Seigneur et de Notre-Dame, à l’occasion de mon lei anniversaire du Sacre, d’accord bien sûr avec Monseigneur l’Archevêque, avec notre conseil et tout le clergé, j’ai été chargé de me tourner vers vous, mes bien chères Mères et chères sœurs, afin qu’ensemble vous envisagiez à venir fonder chez nous dans le Diocèse de Brazzaville et mener parmi nous cette vie de prière, d’intercession et de contemplation. Ce faisant, mes bien chères sœurs, je ne voudrais qu’officialiser ici une requête que longtemps, oralement je vous ai faite chaque fois que j’ai eu l’insigne bonheur et joie de passer dans votre Carmel. Sans être présomptueux, nous sommes moralement sûrs que des filles congolaises s’enrôleront très volontiers dans les rangs de nos chères Carmélites pour se consacrer à leur exemple au service du Seigneur.
Oui, mes bien chères sœurs, j’adresse cette lettre aux différentes communautés de Carmélites que je connais.
Je ne doute pas que vous échangerez entre vous à ce sujet et qu’au besoin vous saurez communiquer à d’autres notre appel.
Le prochain synode des Évêque du 30 septembre à Rome me permettra de me rendre en France. J’espère profiter de ce déplacement pour aller en personne vous entretenir de tout ceci.
Mais comme déjà nous serions honorés et réconfortés moralement, si d’ici-là- nous recevions de votre part un mot accusant réception de cette lettre.
Veuillez croire, bien chères Mères et chères Sœurs, à nos sentiments respectueux et très dévoués en Notre Seigneur, Notre-Dame. Sainte Thérèse d’Avila. de l’Enfant Jésus et de toutes les Saintes du Carmel... »
Monseigneur Émile Biayenda
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