lundi 13 janvier 2025
Créé Cardinal à l’âge de 46 ans, le 3 février 1973, par le Pape Paul VI, Émile Biayenda était devenu par cette distinction, un Prince de la Sainte Église Catholique et avait fait honneur à la nation congolaise. Le texte que nous publions est extrait du livre de M. l’Abbé Albert Nkoumbou « Cardinal Émile Biayenda, martyr de la foi chrétienne au Congo » retrace quelques moments forts de cet événement.
Émile Biayenda reste un artisan : il s’attèle avec patience et parcimonie, expérience et savoir faire à l’édification de sa personne et de l’Église locale qui lui est confiée. Alors que les lourdes aiguilles du carillon de la Cathédrale s’essoufflent à monter de 11 h 30 vers 12 heures, une nouvelle qui va devenir un événement historique tombe sur Brazzaville. L’Archevêque nous en informe :
« Un coup de téléphone de la Direction Agip. De Bangui, le Délégué Apostolique voudrait communiquer avec moi au Telex. On s’y rend avec Monsieur l’Abbé Badila Louis. Il commence : « J’ai le plaisir… ». Mais de quoi s’agit-il ? Je pensais qu’il allait m’adresser ses condoléances. Mais non, il veut m’annoncer que le Saint Père m’a nommé Cardinal et qu’aujourd’hui, à midi, la nouvelle va être rendue publique. « Pas possible » et je refuse « Impossible ». C’est un choix personnel du saint Père. Il faut faire confiance au Seigneur, à l’Église, au Saint Père, au Clergé et aux communautés chrétiennes du pays, insinue le Délégué Apostolique.
Oui, le Seigneur a ses voies que nous ne connaissons pas. C’est le cas de constater et d’expérimenter que le Seigneur aime bâtir sur du néant. La Sainte Vierge avait bien senti cela.
« Sur ta parole, je vais jeter les filets » et sur ta parole, il me faudra encore accepter à les jeter plus au large encore. « Duc in altum ». Je suis confondu et c’est autant encore ajouter à la souffrance du deuil de Papa.
On va prévenir le Président de la République qui nous reçoit à 17 heures. Il a convoqué ses journalistes. Je suis avec Messieurs les Abbés Louis Badila, Félix Békiabéka et Isidore Malonga. Il félicite, il est heureux de la surprenante et inattendue nouvelle. Il fait sabler le champagne. On me pose trois questions :
-Comment j’ai accueilli la nouvelle ?
-Que cela signifie-t-il pour l’Église et les relations avec le pays ?
-Comment le Premier Congolais a-t-il accueilli cela ?
Bientôt la nouvelle se répand. Il y a jubilation partout. Les gens se sont embarrassés quand ils viennent. Faut-il commencer par les félicitations ou les condoléances ? Je leur réponds : « Présentez-moi les condoléances pour les deux situations ».
En sa neuvième année de son pontificat, Sa Sainteté le Pape Paul VI vient de créer Monseigneur Émile Biayenda, Archevêque de Brazzaville, Cardinal de la sainte Église catholique. Il a 46 ans d’âge, 15 ans de vie sacerdotale et 3 ans de vie épiscopale. Le Congo devenu République Populaire vient d’avoir son premier Cardinal, ce 2 février 1973. Ironie des symboles, il y a trois ans, le drapeau congolais est passé du tricolore (vert – jaune – rouge) au tout rouge vif, avec deux palmes, une houe et un marteau. Les plaisanteries populaires disent que ce sont les symboles du sang, avec les palmes non fleuries qui sont signes du deuil ; tandis que la houe et le marteau servent à creuser la tombe et à clouer le cercueil. Le Congo a signé son identité d’État politiquement violent et sanglant. Et maintenant, la couleur violette de l’évêque Biayenda cède à celle rouge pourpre du Cardinal Biayenda. Son Éminence le Cardinal Émile Biayenda vient d’épouser, sommes-nous tenté de dire, le destin sanglant d’une nation naissante. Après la prison de 1965, où va donc cet artisan de paix et d’unité ? La montée d’Émile Biayenda vers le Calvaire ne fait plus de doute pour qui entend le « Venez et voyez » des événements (Jn 1,39). Lui-même n’a-t-il pas dit et écrit : « Présentez-moi les condoléances pour les deux situations » (la mort de son papa et le fait d’être créé Cardinal).
Dieu est Amour et l’amour ne tarie jamais en bénédiction. Au moment où Biayenda et ses frères pleurent encore leur papa, Marie-Albert Semo, décédé il y a cinq jours, le Seigneur console son témoin en lui renouvelant sa confiance. Il lui confie, certes une fois de plus, l’Église et la nation congolaise. Il est Celui qui ne cesse de dire à ses disciples : « Confiance ! C’est moi ; n’ayez pas peur ! » (Mt 14,27). Les visiteurs affluent à l’Archevêché pour les félicitations qui prennent plus de relief que les condoléances. La radio et la télévision nationale s’emparent de surprenante nouvelle. Une première dans l’histoire du Congo-Brazzaville ! Les ondes diffusent en exclusivité l’événement. Pour un temps, la République populaire du Congo a oublié d’être si marxiste-léniniste ; elle est congolaise, heureuse, unie en ce fils du terroir qui ouvre une page inédite de l’histoire nationale et religieuse... Son Eminence le Cardinal Émile Biayenda !
Le premier chauffeur de l’Archevêché, Monsieur Basile Madiangou, revient de son congé, ce 5 février. Il est tout fier et tout heureux d’être devenu chauffeur de son Éminence le Cardinal Émile Biayenda. Ah ! Si l’âne qui avait porté Jésus de Nazareth dans le cœur de Jérusalem était un homme, il serait devenu le Saint Patron des chauffeurs de l’Archevêché de Brazzaville.
Le cuisinier, Monsieur Marc Bounkazi, le jardinier, papa Obia, tout le monde y trouve sa part de bonheur. Les parents et les amis, les confrères de ministère, et « tutti quanti » deviennent les « Un tel » du Cardinal Émile Biayenda !
L‘hebdomadaire catholique « LA SEMAINE » publie, à la une « Mgr Émile Biayenda Archevêque de Brazzaville est créé Cardinal », avec une belle photo de l’élu et la lettre de nomination du Pape Paul VI :
« Cher Fils, salut et bénédiction apostolique. Par ces lettres, nous portons à votre connaissance que dans notre prochain consistoire vous serez agrégé au Sacré Collège des Éminentissimes Cardinaux : ceci afin de témoigner à votre personne de notre spéciale bienveillance et de marquer par le don de cette insigne dignité vos mérites au service de l’Église. Nous vous accordons de tout cœur notre bénédiction apostolique dans le Seigneur.
Du Vatican le 18 janvier 1973, la dixième année de notre Pontificat. Paul VI ».
A la page religieuse de la même édition, il est donné au lecteur de connaître « Qu’est-ce qu’un cardinal ? », « la carrière du nouvel élu » et « La liste des 30 nouveaux cardinaux ». Pour la première fois, dans l’histoire de l’Église, le nombre des membres du Sacré Collège s’élève à 145. Les nouveaux cardinaux sont relativement jeunes. Le Cardinal le plus âgé est Mgr Antonelli qui a soixante-dix-sept ans ; le plus jeune est le patriarche de Lisbonne, qui en a quarante-cinq, suivi par l’Archevêque de Brazzaville, quarante-six ans ! Après beaucoup d’autres. LA SEMAINE est heureuse de vous présenter à Monsieur le Cardinal l’expression enthousiaste de ses félicitations et de sa joie.
L’heureux élu ne reste pas insensible à ce qui lui arrive, il manifeste sa gratitude en répondant d’abord au Saint Père le Pape Paul VI, avant de faire publier un message aux fidèles et citoyens congolais. Voici la lettre au Pape :
Très Saint Père,
Humblement prosterné à vos pieds et pleinement conscient de mon indignité, tout en rendant grâce au Seigneur et au dévouement des pionniers de l’évangile en terre africaine, je voudrais, par ces quelques mots, Vous exprimer, Très Saint Père, mes sentiments profonds et très filiaux de remerciements et d’insigne gratitude pour la très grande marque de confiance et de sympathie dont l’Afrique Centrale, le peuple congolais, son Église et nous tous , venons d’être honorés en appelant mon humble personne au service de l’Église universelle dans les rangs des Cardinaux.
Confiant à l’aide du Seigneur et à l’action toujours agissante du Saint Esprit, je me recommande, en acceptant cet honneur et cette charge, avec le clergé, les communautés chrétiennes et le peuple congolais tout entier, sans aussi oublier de vous assurer, Très Saint Père, de notre propre recommandation au Seigneur de toutes vos chères intentions.
La promotion est reconnue, acceptée ; non pour soi-même, mais pour tout le monde. Il sera donc le Cardinal de tous, l’artisan de la paix et de l’unité. Pour répondre plus largement aux nombreuses expressions de félicitations, le Cardinal nommé fait publier dans LA SEMAINE, un texte : « Message de S.E. le Cardinal Émile Biayenda ». Il y remercie les uns et les autres et il donne le sens de sa nouvelle promotion : « Les nombreuses lettres qui affluent, ces jours-ci, sur mon bureau, nous montrent avec quel intérêt et quelle joie vous avez accueilli ce grand événement du jour de la promotion au Congo d’un Cardinal, en la personne de l’un de vos fils. Ces mêmes lettres, par la diversité de leurs expéditeurs, prouvent clairement que ce ne sont pas seulement les catholiques qui se réjouissent de cet événement, mais c’est tout le monde… Notre premier mot c’est un merci très profond au Seigneur…. La promotion au rang des cardinaux est un honneur, bien sûr, mais aussi et surtout une charge et un service que nous devrons assumer tous ensemble…
A une époque où toute autorité se trouve contestée et rendue caduque mais où, par contre, l’homme ressent un vif besoin de discipline, pour produire efficacement, le devoir incombe aux chrétiens de se rappeler la parole irrévocable du Christ soulignant notre responsabilité : « Vous êtes le sel de la terre ! Vous êtes la lumière du monde ! » (Mt 5). Avant de conclure son message, il renouvelle sa confiance : « Mgr le Délégué Apostolique disait, pour remonter notre courage : « Confiance en Dieu, confiance en le Pape, confiance en la Chrétienté ». Oui, ce sera là notre commun programme : nous compterons sur Dieu, à qui seul nous chercherons à plaire… ».
Les bornes du parcours sacerdotal et épiscopal d’Émile Biayenda restent inchangées, à savoir : travailler dans la foi, l’unité et la communion avec tous ; rester fidèle à l’appel du Seigneur, à la sainteté de ses disciples ; chercher à plaire à Dieu dans tout ce qu’on fait et le faire le plus conformément à sa volonté.
Les réceptions officielles, les interviews et tout ce qui donne éclat et grandeur à un tel événement sont au rendez-vous durant les jours qui suivent. Le bon pasteur ne modifie pourtant pas son calendrier pastoral. Chaque brebis du troupeau mérite son nom et sa part de nourriture. Tata Cardinal confie à la protection de Notre-Dame du Rosaire la santé de Sœur Fernande Kosso qu’il visite à l’Hôpital Général de Brazzaville ; il prête une oreille attentive à Sœur Jeanne Françoise Oumba qui vient le mettre au courant de son désir de travailler, dans l’avenir, à l’école des sourds. Il part visiter, à la paroisse Ndona-Marie de Mfilou, la future concession qui abritera la maison des religieuses de Sainte Marie Madeleine Postel. Accompagné des abbés Louis Badila et Isidore Malonga, il va bénir la maison de son frère aîné Monsieur Milongo Martyr. Un repas y est pris simplement et avant de se mettre au lit, il confie au Seigneur : « Merci Seigneur pour vos bienfaits ; soyez le Maître de cette maison et de ce foyer. Gardez-nous longtemps en cette vie avant de nous retrouver, un jour, en ton paradis ».
Le lundi soir19 février, la radio nationale « La Voix de la Révolution » a diffusé une longue interview que le Cardinal Biayenda a accordée dans la journée à Monsieur François Itoua, directeur de la dite radio. Le Cardinal Biayenda réaffirme la dimension œcuménique et nationale de sa promotion, la place et la mission de l’Église au Congo, la responsabilité des chrétiens dans la construction du pays. C’est le Cardinal Biayenda qui affirme : « L’unité vraie, c’est l’unité des cœurs, l’unité des esprits : peu importent les diversités extérieures : « Qui n’est pas contre nous est pour nous », dit le Christ, Notre Seigneur. C’est bâtir solidement l’unité que de se réjouir des événements heureux qui arrivent à d’autres qu’à nous…
L’Église a pour raison d’être de promouvoir la paix, l’unité, la fraternité. Elle est toujours considérée comme le début d’un monde unifié, d’une humanité fraternelle, en proposant, à tous les hommes, le motif essentiel de notre union en unité, à savoir que tous croyants et incroyants, tous les hommes de toutes races, langues et nationalité, tous nous sommes frères, tous nous n’avons qu’un seul père, Dieu…
L’Église a toujours travaillé pour aider le Congolais à éliminer ses complexes. L’Église, par exemple, veut parler aux gens dans leurs langues maternelles, qui sont aussi valables que le français. Les missionnaires ont appris ces langues et même se sont efforcés d’écrire en ces langues sans complexe ».
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