mercredi 4 décembre 2024
Marie dans l’histoire du salut
Avant toute autre considération, nous devons replacer le mystère mariale, dans l’histoire du salut. Les lectures de ce jour nous y invitent. Elles nous présentent les deux mouvements opposés qui caractérisent ce dessein. D’une part, l’humanité embarquée dans le circuit destructeur du péché, l’inimitié avec Dieu. D’autre part, les interventions gratuites de Dieu.
Après la désobéissance, l’homme se coupe avec Dieu, il rompt avec lui et perd tous les privilèges dont le Créateur l’avait doté. Nous sommes tous avertis sur l’enseignement de la justice originelle et sur celui du péché originel et de ses conséquences. Adam, en perdant ses privilèges attachés à la justice originelle ne pouvait la transmettre à ses descendants. La séparation entre Dieu et l’homme ne fera que s’aggraver au cours des années.
Pourtant cette nouvelle situation n’eut aucune influence sur l’attitude de Dieu vis-à-vis de l’homme. Si l’amour humain est capable, à son niveau, de persévérance, d’acharnement même, et nous pouvons ici évoquer l’amour maternel à l’endroit d’un enfant décrié de tous, Dieu agit encore plus merveilleusement.
La quatrième prière Eucharistique le rappelle avec justesse au Seigneur :
« Comme l’homme avait perdu ton amitié en se détournant de toi, tu ne l’as pas abandonné au pouvoir de la mort ; dans ta miséricorde tu es venu en aide à tous les hommes pour qu’ils te cherchent et puissent te trouver. Tu as multiplié les alliances avec eux, et tu les as formés, par les prophètes, dans l’espérance du salut ».
Ainsi, c’est Dieu lui-même qui vient mettre fin à la dégradation de l’humanité. C’est lui qui prend le soin de préparer la montée vers le Sauveur. Il choisit un peuple qu’il purifiera lentement et longuement pour accueillir son propre Fils, par de multiples étapes et épreuves. Il amène la lignée où naîtrait le Sauveur à une foi plus explicite, plus parfaite qui conduit à un désir réel de la venue du Christ. Et c’est lui qui, au sein de ce même peuple façonnera la « race des pauvres de Yahvé », les « justes » qui attendaient le « royaume de Dieu et sa justice ». La Vierge Marie fait partie de ce « petit reste », véritable prunelle de Dieu.
Elle apparaît dès le début de l’histoire du salut. N’est-elle pas celle dont l’image illumine l’horizon assombri par le péché de nos premiers parents ? « Je mettrai une hostilité entre la femme et toi entre sa descendance et ta descendance et celle-ci t’écrasera la tête ».
L’Évangile de ce matin, le récit de l’Annonciation marque une nouvelle étape dans l’insertion de Marie dans le mystère de la Rédemption. Mieux encore, la conversation de l’Ange et Marie nous aide à mieux saisir le Dogme de l’Immaculée Conception : « Réjouis-toi, Comblée de grâce , le Seigneur est avec Toi... Tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu vas enfanter un Fils... Tu lui donneras le nom de Jésus. Comment cela va-t-il se faire puisque je suis vierge ? »
« Comblée de grâce ». Plus qu’un titre que l’Ange lui aurait donné comme le dit Max Thurian dans Marie, Mère du Seigneur, c’est l’essence même de la Vierge. C’est au premier instant que Marie est comblée ; avant d’avoir exercé tout acte méritoire. Non seulement Dieu la comble de grâce, mais dès l’origine, il la préserve de toute souillure.
Elle est « La toute belle qui n’a aucune tâche en elle ». En effet, « au sein même de ce monde vieilli, Dieu reprend la création à la source. Il fait de Marie la plus aimable, la plus attirante des créatures : Celle où Dieu va pouvoir, sans compromission avec le péché, établir sa demeure : « Le Seigneur est avec toi ».
L’Immaculée Conception de Marie est un Don de Dieu , une initiative de son amour ; « Tu as préparé à ton Fils une demeure digne de lui ; tu l’as préservée de tout péché ». Le Pape Pie IX nous le rappelle au début de la Bulle « Ineffabilis » « Dieu aima Marie par-dessus toutes les créatures d’un tel amour de prédilection qu’il mit en elle d’une manière singulière, toutes les plus grandes complaisances ».
Et plus que tout autre privilège, l’Immaculée Conception consiste essentiellement dans l’exemption pour Marie du péché originel. Mais, cet état de chose ne soustrait nullement Marie à l’économie du salut. Exempte de toute tache du péché originel, dès l’origine cette fille d’Adam a été sauvée par Jésus-Christ.
« Le Pape Pie IX, le 8 Décembre 1954, reprend intentionnellement ce sujet, les termes de la Bulle Sollicitudo promulguée le 8 Décembre 1854 par Alexandre VII : « Au premier instant de sa conception, par la grâce de Dieu tout puissant, et en considération des mérites de Jésus-Christ Sauveur du genre humain, la Vierge Marie fut préservée et exemptée de toute tâche, de faute originelle ».
Est-il encore besoin de nous appesantir sur les différentes étapes de ce Dogme, en Orient et en Occident ; sur toutes les querelles qui ont opposé les immaculistes et les maculistes, les multiples éclairages scripturaires, l’enseignement des Pères de l’Église notamment à propos du lien entre les privilèges de Marie et son titre de Mère de Dieu ? Ce serait d’inutiles démarches puisque celles-ci ont précédé la proclamation, la définition du dogme qui est venu consacrer la foi populaire.
En effet, plus que tout autre mystère concernant la Mère de Dieu, le dogme de l’Immaculée Conception est sorti totalement de la foi du peuple. Le Magistère n’a fait qu’entériner une croyance déjà généralisée.
Nous pourrions ainsi résumer l’évolution de cette vérité de foi comme suit : « Dès l’origine du christianisme, la Mère de Jésus apparaît aux fidèles comme une Vierge toute pure à travers toute sa vie, on songe à honorer spécialement sa pureté au premier moment de son existence, puis certains prétendent, au nom d’argument à priori, avoir découvert une tâche en elle à ce premier moment.
Ensuite on regarde de plus près et l’on se rend compte qu’il y a là, non une tâche, mais un point particulièrement brillant, un privilège gratuit du Seigneur. Alors, tous se mettent à célébrer à l’envie la pureté immaculée de la Mère de Dieu. Et finalement, l’Église la définit officiellement comme Dogme de Foi.
Vue du côté de Dieu cette prérogative qu’est l’Immaculée Conception est Don unique gratuit de l’amour de Dieu.
- Quelle a été l’attitude de Marie dans ce mystère ?
La réponse de Marie transparaît dans l’Évangile de ce matin : « Comment cela se fera-t-il : je suis vierge ? « Comment se demanda-t-elle, pouvait-elle devenir « Mère », elle qui s’est donnée, consacrée au Seigneur ? En effet, dès sa prime jeunesse Marie s’était livrée sans réserve à l’amour qui inondait son âme. Lorsque le Seigneur lui indique les modalités du mystère qui va s’opérer en elle, elle retrouve sa joie et accepte de se laisser conduire par l’Amour : « Je suis la servante du Seigneur : que tout se passe pour moi selon ta parole ».
Elle gardera cette attitude toute sa vie. Au pied de la croix, elle consentira au sacrifice de son Fils, unissant ses souffrances à celles de son Fils pour écraser « le père du mensonge, le prince de ce monde, le séducteur de toute la terre ».
Considérée du côté de Marie, tout comme du côté de Dieu, l’Immaculée Conception est vraiment un mystère d’amour. Bénissons Dieu d’avoir comblé sa Mère, notre Mère de pureté, de sainteté et de charité. Prions, la Vierge Immaculée de nous garder dans l’amour du Seigneur et de parvenir à la gloire du ciel.
Conformément au vœu de toute l’Église, nous nous adresserons à notre Mère très pure pour que nous puissions rester fidèles au Seigneur qui nous a appelés à œuvrer dans sa vigne.
Comme nous le rappelle le Concile Vatican II dans la constitution dogmatique « De Ecclesia » (Lumen Gentium) « Nous n’avons qu’un Médiateur, Jésus qui s’est lui-même donné pour tous comme rançon » (I Tim.2,5-6). Le rôle de Marie envers les hommes ne voile ou ne diminue en aucune manière cette méditation unique du Christ, mais elle en montre l’efficacité (L.G 62).
En ce qui nous concerne l’intention première à confier à la Vierge découlera de la spécificité de l’Assemblée de prière que nous formons ici, Prêtres, Religieuses, Religieux, Séminaristes, Novices, Postulants et Juvénistes, nous ne saurions oublier de prier pour les vocations sacerdotales et religieuses.
Que Marie veille maternellement sur les vocations qui se lèvent, sur celles qui se sont déjà déclarées ; qu’elle confirme celles qui chancellent pour qu’elles aboutissent et qu’elle accompagne ceux et celles qui se sont déjà consacrés pour qu’ils restent fidèles à leurs engagements et à leur apostolat.
Mère du Christ, l’Unique Prêtre, dont nous partageons le sacerdoce, avec qui nous sommes appelés à partager le sacerdoce et le souci de sauver le monde, Marie doit être à la fois notre Guide, notre Avocate, notre Auxiliatrice, notre Aide et notre Médiatrice L.G 62.
C’est à son école, elle, la « servante du Seigneur « que nous apprendrons à correspondre à la grâce dont le Seigneur nous a comblé en nous appelant à son service.
Servir : Le sens de notre vocation tient en ce mot. Notre existence est consacrée, à l’exemple de celle de Marie à nous dépenser au service de Dieu et de nos frères dans le sacrifice, le don de soi et le partage. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour les siens ».
Dans les diverses communautés que nous formons, « soyons, à l’exemple de Marie les serviteurs les uns des autres par amour » (Gal.5,13). « Portons le fardeau les uns des autres et ainsi nous accomplirons la Loi du Christ » (Gal.6,2). Vivons en équipe fraternelle, soudée par la charité du Christ. Apprenons à servir tous les jours, en combattant la routine et le laisser-aller dans nos études, dans notre ministère et les autres activités où nous veut le Seigneur.
Comme Marie soyons tous les jours à l’écoute de Dieu : devenons les serviteurs de sa Parole. Conformons-nous aux exigences mentionnées par Paul au début de la première épître aux Thessaloniciens. Que notre parole soit vraie, désintéressée et vécue ; « Ce n’est pas nous que nous prêchons, mais le Christ Jésus, le Seigneur ; nous ne sommes nous que des serviteurs pour l’amour de Jésus-Christ ». Il ne s’agit nullement de prêcher nos vues, nos optiques, nos tendances ; nous devons-nous dépouiller de nous-mêmes, écouter Dieu et les autres. En outre « nous n’avons pas à plaire aux hommes, mais à Dieu ». Enfin vivons ce que nous prêchons ; vivons nos divers engagements. Puissions-nous ne jamais nous entendre dire : « Médecin, guéris-toi toi-même ».
Rappelons-nous aussi tous les jours comme Marie qui chante les merveilles que le Seigneur fit pour elle, que sans le Seigneur nous ne pourrions rien faire. C’est par la grâce de Dieu que nous sommes ce que nous sommes. (1 Cor.15,10).
Marie doit toujours être notre modèle par sa foi, sa disponibilité devant les volontés du Seigneur et par sa charité pour les hommes. Supplions-la de nous garder dans l’amitié de son Fils pour que nous puissions toute notre vie répondre promptement aux invites de l’Esprit-Saint et aux besoins de nos frères, les hommes.
Homélie du Cardinal BIAYENDA,
à la fête de l’Immaculée Conception : Fête patronale au Séminaire Libermann (Brazzaville),
le 8 Décembre 1976
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