jeudi 29 août 2024
Le soir, vers les 18h30, on me descend de là haut pour aller me mettre en cellule. Mais, on me retient, quelques instants au poste de police, car, il y a du monde dehors et on ne voudrait pas qu’on me voit. C’est à ce moment qu’arrive, pour la quatrième fois, Monseigneur. Mon cœur, comme un éclair s’illumine.
Que de sentiments de réconfort ! En quelques mots, je m’exprime à Monseigneur. “Je suis accusé d’avoir distribué des tracts (dans la ville) à Bacongo, ce dont, je ne sais rien. C’est une calomnie pure et simple. Monseigneur, vous me connaissez assez pour que vous n’ayez l’ombre d’aucun doute sur moi. C’est pourquoi, je vous dis que toutes les démarches que vous pouvez faire, faites-les sans arrière-pensée”.
A cet instant, les quelques agents de la Police Judiciaire se fâchent parce qu’on m’a laissé échanger des mots avec l’évêque. Le chef de poste et ses collègues ripostent et demandent à quel titre un évêque, qui est aussi une autorité serait-il empêché, devant eux d’ailleurs, de parler avec son prêtre ? On répond que ce sont les commissaires qui l’exigent. Monseigneur aussitôt demande qu’il faut contacter le commissaire. Un agent de Police Judiciaire s’est dépêché de l’avertir.
Quand Monseigneur montera, toutes les portes lui seront closes. On prétendra qu’ils sont absents.
Monseigneur redescend et me dit qu’il va voir le Ministre de l’Intérieur.
Lorsqu’il sera là-bas, le Ministre lui exhibera un compte-rendu, du procès-verbal de l’affaire comme pièce à conviction de leurs agissements.
Monseigneur aura ainsi usé toute la journée en va et vient, sans avoir réussi à tirer l’affaire au clair. Cela durera un mois et demi.
Pendant ce temps, la nuit est arrivée et moi, enfermé dans ma cellule de 2 m 50 x 1 m 50 environ. La litière : un bloc en ciment sans plus rien de plus dessus. C’est là que je souffrirai, si j’ose dire, mon martyre n’ayant pour toute couverture qu’une culotte et un maillot de corps sur moi.
La Journée de mercredi se passa en interrogatoire, en inscription sur les registres et l’apposement des empreintes digitales. J’apprends que le Kù Poloque de Moungali a été lui aussi arrêté et jeté en prison.
Vers 23 heures, on vient me retirer de ma cellule et me conduire en haut, dans une salle à moitié éclairée. Un tableau accroché au mur, des écrits : des sanctions pour audace une pendaison de leur raffinement. On vous les laisse lire, puis l’interrogatoire reprend et durera des heures et des heures, comme ils n’arrivent pas à leur fin. Ils vont procéder à la torture.
Cette nuit-là, les peines principales furent celles de la balançoire qu’ils appellent aussi faire passer un méchoui. Parce qu’on vous lie les bras avec une corde par les poignets. On vous plie les jambes en sorte qu’un bâton passé sous les jarrets et reposant sur les coudes des bras repliés vous réduisent presque à un paquet vulgaire, quelconque.
C’est un méchoui ! Ainsi plié et pivotant autour du bâton. On pose chaque bout du bâton sur un tréteau. Ainsi la victime ne pourra rien s’épargner. Et les voilà au travail, trois à quatre qui vous frappent avec des laminaires de courroie de ventilateur d’auto. Ils frappent partout et durement, tout en vous accablant de questions auxquelles, il vous faut répondre. Ils tapent, ils tapent et toujours beaucoup plus fort.
Ils ne cesseront que lorsqu’ils vous sentiront bien à bout de souffle et eux-mêmes aussi, car ils ne veulent, en aucune manière faire des martyrs. Ils espèrent d’ailleurs qu’après ce supplice, je me rendrais à leur désir. “Un jour en URSS, on inflige ce supplice à des témoins de Jehovah : le lendemain, c’était fini, ils ne parlaient plus de Jehovah”.
Au bout de quelques moments, tout mon dos était en lambeau ; mes mains et mes pieds ne ressentaient plus rien. Quant à la mémoire, je me sentais un véritable chaos. On me détacha et gisant sur le ciment, je tremblais horriblement de fièvre. Des heures passèrent ; Ils prirent peur, certainement, car, ils dépêchèrent une ambulance pour me conduire à l’hôpital. Arrivé à l’hôpital général, cette nuit-là, l’infirmier major de garde que je connais bien eut beaucoup de peine à me reconnaître. Le lendemain, on exigea le billet du docteur du village d’où je venais. On n’en avait pas évidemment.
L’agent secrétaire ne voulut pas en endosser la responsabilité et nous renvoya au dispensaire de Poto-Poto.
On arriva à Poto-Poto, j’avais de la peine à descendre, encore moins à franchir une moindre marche de l’escalier. L’infirmier de garde me nettoya les plaies, se mit à me les soigner, puis me fit des piqûres d’huile camphrée. Je rencontrai là un chauffeur de taxi qui y avait conduit un malade. Ce chauffeur, je le connaissais puisqu’il était du quartier de mon ministère.
Je gisais dans ma cellule en proie à la fièvre, tourmenté par les moustiques et tout cela sans rien sur le corps, sur du ciment et tout nu. Sans compter évidemment l’insalubrité de la cellule notamment lorsque la rigole qui irrigue les urines ne fonctionne pas.
Abbé Émile Biayenda
Lyon le 9 février 1968
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