Mgr Bienvenu MANAMIKa Archevêque de Brazzaville
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LA MÉMOIRE BIAYENDA


 
 
 
 

« Solange, dès que tu m’avais révélé que tu te sentais appelée à la vie religieuse, je bénissais le Bon Dieu de cette grâce »

Une correspondance du Grand Séminariste Émile Biayenda à sa cadette Solange LOZI, en 1955

A l’occasion des 50 ans de vie religieuse de Sœur Solange Lozi, ainsi que du demi-siècle de vie sacerdotale de l’Abbé Émile Biayenda, nous publions une lettre du vénéré prélat adressée à sa cadette. Au delà de la lecture qui retrace les difficultés rencontrées par Sœur Solange, lors de son entrée au noviciat, celle-ci, démontre la profondeur de la foi, de la confiance en Dieu et en même temps, le respect que Biayenda avait pour la liberté individuelle. Ensemble découvrons-là.

Ma Sœur, je t’avais promis une lettre dès le début des vacances, c’est ce que je viens de faire aujourd’hui. L’année scolaire s’est bien terminée et, malgré les soucis de ces derniers temps, je me suis, je le pense, assez bien tiré de mes examens oraux.

Les compères ayant droit aux vacances en leurs nations d’origine nous ont tous quittés et les autres, dont je fais partie, les passent ensemble à Linzolo.

En raison précisément de ce qui te concerne, je suis encore à Libermann. J’ai vu l’autre soir les Mères qui m’ont donné, à ton sujet, des nouvelles qui m’ont beaucoup consolé. Il paraît que tu te plaisais beaucoup là-bas et que ton moral était très bon.

Papa est ici depuis dimanche 31 juillet. Je suis allé lui rendre visite à Bacongo. J’ai essayé de l’inviter au séminaire dans le but de lui expliquer les choses, plus librement mais il n’est pas venu, certainement empêché par les frères. Joachim est là aussi. Jean-Baptiste seul est resté au village. Comme les frères, il s’oppose évidemment à ta vocation. J’ai essayé de lui expliquer les choses mais que peut-il comprendre quand les dits baptisés ne veulent même pas comprendre. Il n’y a qu’à tout confier au Bon Dieu et de faire de notre côté, ce que sa volonté exige de nous.

C’est l’essentiel. Du reste, pour tout ce que m’a répondu papa et pour tout ce qui se passe ici, j’en ai fait part aux Mères, elles te raconteront tout. Pour moi, je fais fi de tout pour l’amour de Dieu et celui de la liberté humaine, car je ne voudrais en aucune façon porter atteinte à ta vocation, ni par mon attitude paraître approuver la façon d’agir de la famille à ton égard.

Papa est là et je ne sais quand son retour. J’irai encore le voir pour lui dire du moins au revoir, car il faut me rendre à Linzolo.

Le tribunal laisse traîner l’affaire. Peut-être Papa va-t-il attendre jusqu’à ce qu’il fasse de nouvelles convocations. Au tribunal, toutes les chances sont à toi. Et toi, prie, demande des lumières, du courage pour voir clair et aller ton chemin.

Et pour terminer, je vais te parler un peu plus gravement et te demander de bien réfléchir sur ce que je te dirai, sans oublier que tout est pour notre bien commun.

Dès que tu m’avais révélé que tu te sentais appelée à la vie religieuse, tu avais dû remarquer que je suis resté un moment silencieux, avant de te répondre : je bénissais le Bon Dieu de cette grâce insigne, car j’ai toujours demandé à la sainte Vierge de faire de toi ce qui lui était bon, et me représentant aussitôt la famille et leurs oppositions. Je me consolais en cette pensée de St Paul qui dit : « je peux tout en celui qui me fortifie ».

Tout en te recommandant la fidélité à la voix de ton cœur, je ne t’ai point caché la somme des difficultés que cela représentait et tu m’as répondu que tu ne le céderais en rien si vraiment Dieu t’appelle. C’est de quoi tu as fait montre jusqu’ici.

Toute la famille s’oppose à ta vocation et moi qui ai un peu d’expérience des exigences de Dieu sur une âme, j’ai refusé de l’imiter. A cause de cela tous les parents m’accusent de t’avoir poussée à la vie religieuse. Je sais que ce sont de pures calomnies. Tu le sais toi-même, je l’espère. Oui, car il me serait une folie et je te serai un bourreau pour ton âme et ta vie où le Bon Dieu ne te voudrait pas.

D’ailleurs, ce serait me moquer de moi-même et du monde que toutes ces démarches que j’avais entreprises pour t’orienter dans la vie du monde. Et puis, je ne crois pas que tu m’aurais obéi, sachant toi-même à l’âge où tu es les commodités de la vie du mariage et la rencontre de la vie religieuse. Mais Dieu est plus que nous, il est intervenu et a mis à jour, les projets qu’il avait sur toi. Nous n’avons qu’à nous incliner.

C’est donc de ton plein gré, fidèle à un appel intérieur, que tu as demandé à embrasser la vie religieuse. Oui, car en aucune façon, je ne voudrais soupçonner qu’un jour, à cause de la défense que je prends pour toi auprès des parents, tu ne dises un jour, aux heures de pénibles épreuves qui ne manquent pas dans toute vie sérieusement vouée à Dieu, que « c’est Émile qui m’a poussée dans cette voie, autrement j’aurais choisi la vie du mariage »... Je n’agis pas pour te forcer ni pour t’obliger, mais pour te laisser libre dans la poursuite de ta vocation. Tu n’es pas dans une prison. L’Église est une sage Mère, elle appelle à son service comme son Christ, que des âmes volontaires, qui acceptent joie et sacrifice, qui lui consacrent leur vie le sourire aux lèvres.

Qui entre au Noviciat n’est pas, du coup, Sœur. Au Noviciat, on réfléchit sur sa vocation, on s’initie, on se mesure aux exigences de la vie religieuse. Ce n’est que bien après qu’on se consacre officiellement au service du Maître au jour de notre prise d’habit. Toi aussi tu vas prier et réfléchir, mais tu le feras généreusement et comme Dieu le voudra.

Tu m’as déjà dit que ta vocation ne te venait de personne. Je vais à présent te demander, et par écrit, les motifs qui t’ont poussée où te poussent à la vie religieuse. Est-ce pour fuir, par paresse, les difficultés de la vie du mariage, celles d’enfanter ou d’élever, d’éduquer les enfants, d’être soumise à un époux et que sais-je encore ?

Tu me diras donc les raisons qui t’ont poussée à aller au Noviciat. Avant de me les envoyer, tu les écriras d’abord pour toi-même, dans ton carnet de vie spirituelle, car elles te resteront un stimulant pour ta vie, en les relisant au moment des difficultés ou de crises morales. Je te remercie d’avance. Fais-le le plus vite possible. Tu peux m’écrire par la Mère Marie. Mon adresse demeure celle du Séminaire.

Tous prient ici à tes intentions. Le Père Hirtz est allé prêcher une retraite dans le Vicariat du Fort-Rousset, il nous reviendra après le 15 août. Le Père Engel a beaucoup de retraites à prêcher en Oubangui et au Gabon et ne rentrera qu’à la fin de septembre. Tous les deux ont promis de prier quotidiennement pour toi.

Comme les choses tourneront, je pense qu’il me sera possible de faire un saut là-bas vers la fin des vacances.

Je vais te quitter maintenant en attendant la réception de tes nouvelles. Union de prières. Sois courageuse envers et contre tout pour ne suivre que la volonté de Dieu.

Prions que Dieu se charge lui-même d’éclairer et de consoler ces pauvres parents trop attachés au bien-être quasiment matériel.

Celui qui t’aime.

E. BIAYENDA
Grand Séminariste


 
 
 
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