Mgr Bienvenu MANAMIKa Archevêque de Brazzaville
Accueil > JOURNAL LA MÉMOIRE > 154 > Le Cardinal Émile Biayenda : un acteur social pas comme les autres, face à (...)

LA MÉMOIRE BIAYENDA


 
 
 
 

Le Cardinal Émile Biayenda : un acteur social pas comme les autres, face à la problématique de l’Éducation des enfants et des jeunes Congolais

Aucun acteur social, éducateur de surcroît, ne pouvait indifférent face à cette problématique de l’éducation unes Congolais, surtout s’il avait été témoin de cette mutation sociale. En sa qualité de pasteur, d’éducateur et de fils du Congo, le Cardinal Émile Biayenda avait eu le courage d’attirer l’attention de ses compatriotes et de s’adresser à eux en ces termes à travers la lettre pastorale « L’Éducation c’est l’affaire de tous ».

« Parmi tous ces faits nouveaux, il en est un qui s’impose à nous, Congolais, avec force et netteté celui de l’éducation des enfants et des jeunes. Il n’est pas trop fort de dire que nous assistons, ici dans notre pays, comme dans beaucoup d’autres pays, à une « véritable marée de jeunes ». Je pense que c’est notre devoir à tous : évêques, prêtres, religieux et religieuses, éducateurs, enseignants, responsables des mouvements de jeunes, laïcs, de nous asseoir calmement..., de prendre ce problème à bras le corps et d’y apporter chacun à sa place et selon sa mesure, la solution ou les solutions simples, pratiques, efficaces qui s’imposent ».

Comme on peut le voir ici, chaque mot qu’il employait était pesé. Manifestement, il connaissait bien ce pays et cette jeunesse qu’il avait observés et côtoyés pendant de longues années. Certes, il avait assisté à la transformation de sa société, aux changements rapides qui avaient généré une situation qu’on pourrait qualifier d’anomique (cf. E. Durkheim), mais il ne semblait pas être le seul éducateur à s’en inquiéter car il avait enregistré des plaintes de la part autres acteurs de l’éducation : « Nous sommes débordés ; les enfants n’obéissent plus ; les enfants ne travaillent plus ; les enfants n’écoutent plus personne ; nous ne savons plus que faire... Si c’est la voix des enseignants, c’est la même chose :« De notre temps, les études c’était quelque chose, maintenant les élèves ne savent plus rien, ne travaillent plus, n’obéissent plus ». Et tous, nous rejetons la faute sur l’autre : « C’est la faute des parents », disent les enseignants ; et tous, à bout d’argument : « C’est la faute de l’État ».

Émile Cardinal BIAYENDA

Se rejeter la faute a toujours été plus facile que de prendre ses responsabilités, et cela fait perdre du temps. C’est ce que faisait observer le Cardinal devant cette situation alarmante qui risquait de compromettre l’avenir de toute société car la jeunesse, c’est l’avenir du pays. Il savait qu’il fallait « battre le fer quand il est chaud ». Alors s’interrogeait et interrogeait ses compatriotes : « que faire ? ».

En homme expérimenté, et fort de l’éducation traditionnelle qu’il avait lui-même reçue, bien qu’il n’en partageait pas entièrement tous les aspects (notamment ceux qui constituaient un frein au développement...), le Cardinal Émile Biayenda se rendait compte que sa société présentait quelques faiblesses. Elles seraient imputables, entre autre à ­la disparition du mboongi comme l’un des dispositifs importants de l’éducation. Il semble que le Cardinal, qui regrettait cette disparition, avait une haute idée du mboongi : C’est « la maison communautaire où se réunissent tous les hommes pour prendre ensemble leurs repas. Les femmes qui ont charge de cuisiner envoient les plats préparés au mboongi et là tout le monde : orphelin, étranger de passage, célibataire, trouvent à manger et à boire. C’est pratiquement là que se règlent palabres et différends de toutes sortes. C’est également au mboongi que les jeunes s’initient à l’art de la parole, à la sagesse des anciens et aux diverses façons de procéder pour trancher des débats et litiges » (Biayenda, 1968, 1ère partie, p.26). « Le mboongi était le lieu par excellence où l’enfant recevait conseils et avis. Le mboongi c’était l’âme du village et c’est au mboongi que l’enfant recevait la plus grande part de son éducation », souligne encore le Cardinal Émile Biayenda.

Nous avons dans ces propos du Cardinal, une concertation d’éléments qui montrent à suffisance combien cet espace de formation de l’Homme, ou de l’être (muu-ntu) pour reprendre ici les termes de Rudy Mbemba-Dya-Benazo Mbanzulu, était vital pour l’équilibre social. Il se trouve que le mboongi avait disparu. Il avait été victime de la modernisation de la société, ce qui constitue un véritable handicap d’autant plus qu’il n’a jamais été remplacé. En réalité, tous ceux qui ont connu le mboongi, à l’instar du Cardinal, devant la dérive actuelle de la jeunesse congolaise, pour peu qu’ils aiment le Congo, ne pouvaient que le regretter. Car, renchérit le Cardinal, « le mboongi en disparaissant, c’est tout une, méthode d’éducation, c’est un certain nombre de coutumes qui disparaissent aussi ».

Devant les plaintes des autres protagonistes de l’éducation, relatives à ces dérives, le constat quelque peu nostalgique exprimé par le Cardinal Émile Biayenda, semblait cacher un appel à la réhabilitation du mboongi ou la mise en place d’une structure ayant les mêmes préoccupations et les mêmes objectifs clairement avoués. Mais chacun sait qu’une telle initiative nécessite une ferme volonté de regarder dans la même direction, avec une bonne dose d’amour et d’unité de tous les filles et fils du pays, sans exclusive, car il s’agit, pour le Cardinal non seulement de sauver la jeunesse mais à travers elle, la maison Congo qui s’écroule et qu’il convient de réparer.

Justin Gandoulou
Extrait du livre
« Les enjeux Pastoraux entre tradition et modernité, Hommage au Cardinal Émile Biayenda »

 


 
 
 
Haut de page