jeudi 12 juin 2025
Au travers de sa vie et de sa mort, Émile Biayenda nous enseigne que c’est en adhérant au Christ par une fois authentique que l’homme pourra vaincre la peur de la mort. La mort et la résurrection de Jésus est le lieu où se manifeste la libération de l’homme face à la peur de la mort.
Informé que ses ennemis voulaient avoir sa tête, le Cardinal Biayenda refusa la proposition de quitter son diocèse pour sauver sa peau et fit preuve de courage face à la mort qui le guettait, en témoignent ses propos « être absent de Brazzaville serait une horrible catastrophe pour l’Église du Congo. J’y suis et j’y reste. Je préfère donner ma vie comme le Christ, pour sauver mon clergé et mon Église, que d’aller me cacher, je ne sais où. Il faut un ou plusieurs sacrifiés pour la paix de la nation. Prions beaucoup Marie, Mère de miséricorde, pour obtenir la paix et l’unité nationale, notre pays lui a été confié ».
Le bon Cardinal Biayenda fut donc l’expérience de la mort, le 22 mars 1977. Il meurt assassiné froidement par des bourreaux commandités. Ils se sont attaqués à la vie du juste, chantera le psalmiste, ils ont déclaré coupable une victime innocente (Cf. Ps 94(93), 21,11,19), le Cardinal Émile Biayenda avait suivi docilement ses bourreaux pour vivre le martyre. De cette façon, le bon Cardinal ne voulait-il pas nous apprendre à savoir accueillir la mort, la mort naturelle, la mort par accident, la mort à cause de la foi en Dieu, la mort des enfants et des jeunes ; et nous conduire à adopter certaines attitudes face aux sources et forces traditionnelles de mort ?
Si la mort reste inhérente à la vie de l’homme, il y a lieu de l’accepter malgré tout. Et reconnaître que la mort n’est pour l’homme ni la fin de son existence, ni un simple passage d’une forme d’existence à une autre qui aurait les mêmes caractéristiques essentielles que la première, à savoir la condition temporelle indéfinie. Elle est au contraire, le commencement à propos de l’éternité, si tant est qu’on puisse encore parler de commencement à propos de l’éternité. C’est pourquoi, la foi reste la condition sine qua non de l’acceptation de toute mort. De ce point de vue, la mort n’est plus à craindre, fut-elle naturelle.
La mort naturelle est celle qui intervient selon le négro-africain dans la vieillesse de l’homme ou est causé par une malade incurable. Le négro africain s’habitue à beaucoup de choses mais jamais à la mort qui apparaît comme un fait inéluctable, faisant partie intégrante de sa condition humaine. Et pourtant la nature humaine ne se résigne pas devant la mort. Elle lui semble anormale et révoltante. Or le chrétien négro-africain n’a pas raison de se révolter contre Dieu, l’Auteur de la vie. Il devra accueillir la mort dans la foi confiante et totale en Dieu, en réalisant que c’est Dieu qui donne la vie et la reprend.
Tout dépend de sa volonté et rien ne peut lui résister car la mort, disait un sage africain, « c’est la ration quotidienne que Dieu assigne aux homes à préparer les uns aujourd’hui, les autres préparent demain ». Il ne sert donc à rien de rechercher le présumé coupable de la mort d’un être cher ni de vouloir le venger. Surtout que cette pratique ne ramènera pas le défunt à la vie. La séparation d’avec un être cher est trop douloureuse pour être acceptée sans ambages, mais nous ne pouvons pas non plus surmonter cette épreuve sans nous ouvrir à la grâce divine de la foi, même devant la mort accidentelle.
En acceptant d’accueillir la mort par accident dans la foi, nous comprenons que même si la mort arrive brusquement, la vie demeure un don exclusif de Dieu qui le désire abondante pour tous. Aux yeux de Dieu, les circonstances de la mort importent peu. Ce qui compte, c’est que la vie n’est pas détruite mais transformée. La mort est plus qu’une transformation de vie, elle est rencontre personnelle avec Dieu, une rencontre déjà inaugurée sur terre dans le baptême, et qui s’achève dans la vision face à face avec Dieu. La place centrale est donnée au Christ, premier et unique ancêtre qui est tout en tous. Désormais, autour de cet Ancêtre commun, il n’y a qu’une seule famille, réconciliée dans le Christ. En effet, c’est par sa vie, sa mort et sa résurrection que nous avons le gage de la vie éternelle.
Le Christ donne à qui participe à sa vie de partager aussi sa gloire sans fin. De ce fait, le climat devient la vie nouvelle du Christ. Car en Lui et par Lui, le royaume de Dieu est déjà parmi nous. Vivre pour le chrétien, c’est le Christ. C’est la foi en Jésus-Christ qui anime et forme son existence. On pourrait même dire que vivre c’est croire, et croire c’est vivre, et non pas se protéger inutilement contre les sources pour éviter de mourir dans le Seigneur à cause de notre foi.
Si pour le chrétien, vivre c’est le Christ, il y a lieu de confesser à la suite de Saint Jean que « qui croît au Fils à la vie éternelle. Qui refuse de croire ne verra pas la vie » (Jn 3,36). De ce point de vue, accepter de mourir à cause du Christ, c’est avoir la vie. En fait, le Christ doit être reconnu comme plénitude de vie. Croire en lui, l’aimer c’est vivre de la vie même de Dieu. Le Christ vient donc satisfaire dans l’homme, cette attente qui s’exprime par le désir d’une naissance nouvelle (Jn 3,5), par la faim (Jn 6,35), par la soif (Jn 7,37), par le désir de soi et de croire (Jn 9,35-38), par le désir fondamental d’aimer et d’être aimé (Jn 15,4). C’est le Christ qui canalise cet effleure de vie trinitaire vers les hommes, vers tous ceux qui communieront à Lui. La vie nouvelle du monde devient donc une communion filiale de chaque homme avec Dieu dans le Christ, et une communion fraternelle de l’amour du Christ qui fait de tous les hommes des frères. S’il en est ainsi, la mort n’est plus à craindre, mais à accueillir telle qu’elle se présentera à nous et comme Dieu le voudra pour nous, quel que soit notre âge ; enfant ou jeune.
Seule la foi peut nous amener à admettre que la mort frappe des enfants et des jeunes. La mort ne regarde ni la vieillesse ni la jeunesse du défunt. Ce qui compte, c’est la qualité de la vie du défunt qui n’attend point le nombre d’années. Jésus lui-même a connu comme nous l’angoisse, la peur devant la mort : « Mon Père, si c’est possible, que cette coupe passe loin de moi. Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux » (Mt.26,39). Mais loin de se révolter, il s’est abandonné à la volonté de Dieu son Père en mourant à fleur d’âge dans la joie d’être glorifié, et Dieu a été glorifié par lui ; Dieu le glorifiera en lui-même, et bientôt qu’il le glorifiera » (Jn.13,31)
Si le Fils de Dieu a fait l’expérience de la mort, comment pouvons-nous y échapper sous prétexte que la mort détruit la vie, nous sépare des nôtres et nous fait perdre les biens matériels. Alors qu’ils nous faudrait chercher le royaume des cieux et la justice de Dieu. Nous sommes dont tous conviés à gagner le ciel à tout âge et même sous pression de quelques forces traditionnelles.
Notre foi enracinée en Jésus-Christ nous dispose à n’avoir peur de rien, d’aucune force maléfique, ni des sorciers qui ne sont plus grands que le Dieu Vivant. Ce Dieu Amour qui n’abandonne jamais ses enfants. C’est ce qui conforte l’apôtre Paul à dire : « ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les dominations, ni le présent, ni l’avenir, ni les puissances, ni les forces des leaders ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ » (Rm 8,39). Dans ces conditions, face aux ennemis et détracteurs de notre foi, nous avons à leur exprimer seulement le sentiment, de pardon qui doit prédominer dans le cœur du chrétien.
D’autant plus que le Christ Jésus nous exhorte à l’amour de nos ennemis : « aimez vos ennemis, priez pour nos persécuteurs » (Mt 5,44). C’est cette attitude du Christ devant sa propre mort qui doit éclairer le chrétien. Lui, le Christ, n’a pas rejeté sa mort sur les autres : « ma vie nul ne me la prend, c’est moi qui la donne » (Jn 10,17). Il donne un sens définitif à la mort parce que sa propre mort est une victoire sur la mort, victoire promise à tous ceux qui croient en lui : « qui croît en moi, même s’il meurt, vivra éternellement » (Jn 6,35-38). C’est dire que les chrétiens négro-africains ne sont pas autorisés à encourager la recherche du coupable de la mort, à occasionner la mort des prétendus sorciers en les brûlants vifs ni à venger ou à faire venger un défunt « en faisant danser son cercueil pour quelque raison que ce soit ». Ces différentes pratiques ne mettront jamais fin à la mort.
Elles ne résultent pas non plus de notre foi en Dieu trine, sur la croix, nous devons remettre notre vie. A l’instar de Jésus sur la croix, nous devons remettre notre vie entre les mains de Dieu le Père, afin de participer à la félicité éternelle. Par toutes autres attitudes contraires, nous deviendrons des chrétiens hypocrites non authentiques.
En somme, ces réflexions sont comme une mise en garde contre tout acharnement, tout militantisme illusoire qui ignore la précarité du monde, mais aussi contre tout cynisme qui consiste à penser que la mort est au bout de tout. Bien au contraire, elles en appellent à l’espérance réaliste d’une nouvelle vie dans le Christ mort et ressuscité pour libérer l’homme intégral de toute peur. Tant il est vrai que, comme le Cardinal Émile Biayenda, ceux qui meurent en configurant leur vie au Christ, trouvent le repos éternel en Dieu ; Ainsi, le passage de la préface des défunts sur le sens de la mort chrétienne nous rassure : « Pour tous ceux qui croient en Toi, Seigneur, la vie n’est pas détruite, elle est transformée ; et lorsque prend fin leur séjour sur terre, ils ont déjà une demeure éternelle dans les cieux » accordée par Dieu dan son Amour-miséricordieux.
Abbé Séraphin Koualou-Kibangou
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