Mgr Bienvenu MANAMIKa Archevêque de Brazzaville
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LA MÉMOIRE BIAYENDA


 
 
 
 

« Mes soucis ? C’est tout d’abord, bien sûr, cette Église du Congo que je voudrais voir se développer et s’implanter. Mais le souci le plus lourde, c’est évidemment le clergé »

Dans une interview accordée à Lyon, à M. l’Abbé Michel Chartier en Mars 1974, au bureau des Œuvres Pontificales Missionnaires (OPM), le Cardinal Émile Biayenda qui, en ce temps, était l’un des plus jeunes Cardinaux au monde a émis ses préoccupations premières parmi les multiples questions brulantes de l’heure. En voici le texte intégral.

- Éminence, c’est pour nous un honneur et une joie de vous accueillir, dans cette centrale des O.P.M., qui est un peu la « maison-mère » de la Propagation de la Foi. Comment se fait-il qu’à peine deux semaines après votre élévation au Cardinalat, vous soyez déjà à Lyon ?

- C’est que je suis un peu Lyonnais. En effet, de 1965 à 1969, j’ai été envoyé ici pour faire des études de théologie et de sociologie aux Facultés Catholiques et à l’Institut Social. Quatre années et de telles années, c’est suffisant pour marquer quelqu’un et pour nouer des amitiés solides. Oui, j’ai des amis à Lyon, des amis que j’admire, des amis qui semblent aussi me prendre au sérieux. On aime bien retrouver ces amis-là : ceux de la rue Sala avec Mgr Marchand, ceux de l’Institut Social avec M. Blardone, ceux des Facultés surtout avec le souvenir du Père Folliet... je tenais à me recueillir sur sa tombe.

Et puis Lyon est sur le chemin d’Ars. Et pour moi, Ars signifie quelque chose. J’ai toujours aimé le Curé d’Ars et ma première paroisse a pour Patron St Jean-Marie Vianney.

Enfin, il est bien normal que je passe dire merci aux O.P.M., et surtout accompagné de deux de mes prêtres que l’Œuvre de Saint-Pierre-Apôtre a soutenus : l’Abbé Félix Bekiabeka, curé de Sainte-Anne à Brazzaville et l’Abbé Isidore Malonga, Directeur de notre Juvénat des Frères de Saint Joseph.

D’ailleurs, j’aime aussi Lyon parce que c’est un des tout premiers lieux où, venue d’Asie, la Mission débuta en France, elle qui est arrivée jusqu’à nous au Congo ... Voilà bien des raisons de m’y sentir tout spécialement attaché.

- Permettez-moi de rappeler un peu à nos lecteurs ce qu’à été votre vie. Vous êtes né en 1927, près de Brazzaville. Votre Père s’appelait Semo (Marie-Albert) et votre mère Biyela (Joséphine). Après vos études primaires aux missions catholiques de Kindamba et de Boundji, vous avez fait vos études secondaires au Petit Séminaire de Mbamou et vos études de philosophie et de théologie au Grand séminaire de Brazzaville. Ordonné prêtre le 26 octobre 1958, vous avez été successivement vicaire à Ouenzé (1959-1962), curé à Mouléké (1962-1965), et pendant ce temps responsable diocésain de la légion de Marie. C’est en octobre 1965 que vous êtes venu à Lyon, pour y compléter vos études supérieures : vous êtes devenu licencié en théologie et docteur en sciences sociales, avec cette thèse que nous venons de feuilleter ensemble : « Coutumes et développement chez les Bakongo du Congo-Brazzaville ». Rentré chez vous, vous avez été, quelque temps, vicaire à Moungali, mais bientôt, en février 1970, vos confrères vous ont unanimement désigné comme vicaire épiscopal, chargé de la coordination entre les diverses œuvres d’apostolat et les Commissions diocésaines. Et c’est le 26 mars 1970 que vous deveniez Archevêque-coadjuteur de S. Exc. Mgr Mbemba, à qui vous avez succédé après sa mort, le 14 juin 1971. Enfin, cette année, nous apprenions que vous étiez l’un des 30 nouveaux Cardinaux créés au Consistoire du 5 mars. Dans quelques jours, vous allez être reçu, à Brazzaville, avec les festivités grandioses que l’Afrique sait si bien réserver à ceux qu’elle veut honorer, mais par-delà toute cette liesse, à laquelle nous nous unirons, nous aimerions savoir quels sont, à l’heure actuelle, vos soucis principaux ? Nous les prendrons ainsi mieux à charge dans notre prière .

- Mes soucis ? C’est tout d’abord, bien sûr, cette Église du Congo que je voudrais voir se développer et s’implanter dans la fidélité au Christ et à l’Évangile. C’est la formation de la chrétienté, avec un laïcat non pas assoiffé de récupérer quelque place à l’autel, mais surtout conscient qu’il lui faut occuper sa place, baptismale et sacerdotale, je dirai : sa place pascale, dans la société des hommes, un laïcat témoin et fier de la Parole du Christ, un laïcat responsable devant Dieu et les hommes. Dans ce souci de la formation du laïcat, je pense tout spécialement aux foyers chrétiens ; la famille, voilà la communauté de bénédiction qu’on doit entourer de soins, car c’est d’elle que naîtra une génération des chrétiens convaincus.

Mais mon souci le plus lourd, c’est évidemment le clergé. Quelle que soit l’urgence d’un laïcat authentique, il faut absolument des prêtres et des âmes consacrées qui se dévouent totalement et exclusivement au service de Dieu dans la société. L’Église ne peut s’implanter qu’avec ces racines maîtresses.

D’aucuns disent que la coopération du clergé étranger aliène et étouffe le clergé local. Qu’il soit bien entendu que le prêtre catholique est partout chez lui, comme Saint Paul se sentait chez lui aussi bien à Corinthe qu’à Éphèse et qu’à Rome. Mais il veillait partout à la relève, il choisissait et formait des Timothée valables et à part entière. Si les prêtres étrangers sont animés des mêmes sentiments, ils doivent se sentir chez eux au Congo, comme ailleurs. Et comme je l’ai dit dans ma lettre pastorale de 1971, sur les vocations, pas plus qu’un médecin ne peut être valablement relevé comme tel que par un prêtre, et non pas seulement par un laïc : je crois que c’est un aspect très important à souligner.

- Les lecteurs de « Lumière du Monde » ont souvent entendu parler du Grand Séminaire Libermann où vous avez été formé, de 1950 à 1959. Par deux fois, la revue de Saint-Pierre-Apôtre leur avait lancé des appels pressants pour « l’Opération Brazzaville » : c’était en 1963, pour la restauration du Séminaire et en 1967, pour la construction de nouveaux bâtiments devenus indispensables. Ils seraient heureux d’avoir des nouvelles et de savoir ce que vous pensez du problème des vocations, dans votre pays .

- Je connais bien la prière et la générosité inlassables des associés de l’œuvre de Saint-Pierre-Apôtre, et puisque vous m’en donnez l’occasion, je leur adresse toute ma gratitude ; je les porte tous et chacun à l’autel de Notre Seigneur Jésus-Christ, qu’ils aident ainsi à promouvoir sa Mission de salut dans le monde. Il saura, Lui, les en remercier.

Cependant, j’imagine que les associés se sentent vraiment heureux à la nouvelle que leur générosité et leurs prières produisent du fruit. Le nouveau Grand Séminaire Libermann, issu, en grande partie de « l’Opération Brazzaville » offre des conditions optimales de vie aux futurs prêtres.

Tout n’est pas encore parfait, mais c’est suffisant pour permettre assez de liberté d’esprit en vue d’un approfondissement. Il groupe aujourd’hui 27 grands séminaristes dont 20 du Congo et 7 de Centrafrique.

- Avez-vous des problèmes de recrutement et y a-t-il chez vous une crise du sacerdoce ?

- Le recrutement ne fait pas problème, car, semble-t-il, les vocations ne manquent pas : des commissions et des comités ont été mis sur pied au niveau de la paroisse, du doyenné et du diocèse pour sélectionner les candidats. On ne peut pas trop se plaindre : le Petit Séminaire de Mbamou groupe 68 élèves, le Séminaire moyen (seconde-terminale) 80 à 90 élèves.

Ce qui fait problème, c’est peut-être la persévérance dans la vocation sacerdotale. Beaucoup hésitent à avancer, en raison d’un véritable vague à l’âme. Il y a trop de théories nouvelles dans l’air, mal digérées, mal éprouvées, trop hâtivement appliquées. il y a trop de points d’interrogation, si bien qu’on n’ose plus s’attacher fermement à la vérité.

Sans doute allons-nous vers un type nouveau de prêtre. Mais ne nous y trompons pas : à moins que... l’Esprit-Saint ne se trompe lui-même, ce ne sera pas vers un type de prêtre hors des exigences fondamentales : exigence de fidélité à la parole donnée et à l’engagement contracté, exigence de générosité capable d’aller, à l’exemple du Christ, jusqu’au sacrifice non seulement des biens matériels mais même de sa propre vie, exigence de chasteté et de pauvreté pour une Charité qui urge, exigence de discipline et de hiérarchie selon la volonté du Père et de l’Esprit qui assigne à chacun et selon l’ordre, une fonction pour le bien de tous, comme il est dit dans l’Épitre aux Corinthiens.

Quoi qu’on dise, la vraie liberté chrétienne ne peut s’obtenir que dans l’obéissance : comme il est écrit dans le Livre des Prophètes : « Je t’écarterai de mon sacerdoce, toi qui méprises la discipline ». Et toutes les exigences du sacerdoce que semblent rejeter les théories actuelles, ne peuvent être abolies au profit de certaines théories ambiguës et mal à propos.

Pour empêcher que beaucoup de vocations n’aillent à la dérive, il faut, sans crainte, présenter une vie évangélique authentiquement centrée sur le Christ et témoigner du sérieux de la Parole de Dieu.

- Au sujet des Œuvres Pontificales Missionnaires, je voudrais vous poser une question : les « jumelages » sont à la mode et certains préfèrent cette forme d’aide à celle qui est répartie par un organisme central ; on va même jusqu’à prétendre que cette aide centralisée « aliène » votre liberté d’expression ... qu’en pensez-vous ?

- Je pense que ces deux formes d’aide peuvent subsister suivant l’opportunité et les besoins. Mais dire que l’aide universelle centralisée "aliène" notre liberté d’expression, c’est un petit chantage fort à la mode, fruit d’un orgueil diviseur. Pour moi, l’aide des Œuvres Pontificales Missionnaires c’est l’Église qui s’organise pour la Mission du Christ et de l’Église. Saint Paul et les Apôtres, en faisant des collectes pour les communautés plus pauvres avaient conscience de servir la liberté chrétienne et d’aider les peuples qui s’ignoraient jusque-là à fraterniser. Cette aide d’Église contribue à concrétiser l’esprit fraternel entre les chrétiens de différentes conditions et de différentes nationalités. C’est un partage et un échange dans la simplicité, et « Dieu aime celui qui donne avec joie » comme celui qui reçoit simplement. Telle est ma conviction.

- La prochaine Journée Mondiale Missionnaire d’octobre se déroulera en France sur le Thème choisi par l’Épiscopat pour son Assemblée de 1974 : « Le salut en Jésus-Christ et la libération de l’homme ». Comment concevez-vous, Éminence, cette libération apportée par le Christ ?

- Ce n’est pas un moindre problème. Il y a là un « essentiel » à définir, par la théologie et surtout à cerner par la méditation. Car tout le mystère pascal chrétien y est contenu, toute la promesse divine, le serment juré à Abraham, notre Père dans la Foi, pour qu’affranchis de la crainte et délivrés libérés, nous puissions servir Dieu en justice et sainteté.

Mais cette libération apportée par le Christ, on n’en veut plus dans certains milieux, on la croit en marge de notre société. C’est sans doute qu’on ne croit plus au péché. Il est tellement relativisé par les psychologues qu’il se conçoit de moins en moins. Et pourtant, le mal existe, qui pourrait le nier ?

A mon avis, la libération apportée par le Christ, c’est l’acceptation, la reconnaissance de la vérité. « La vérité nous rendra libres ». Cette acceptation ne devient concrète et efficace que par la loi. Quiconque vit sous cette loi d’amour devient libre : il est capable de découvrir même les parcelles de vérité, partout où elles se trouvent ; non seulement, il se libère lui-même, mais il libère les autres ; il est un homme ressuscité, un homme qui vit et aime la vérité, un homme qui construit. C’est là que le monde attend des disciples du Christ.

- Enfin, une dernière question : Vous êtes, je le sais, un fervent de la paix et du progrès humain, un homme de dialogue. Comment votre élévation au Cardinalat a-t-elle été accueillie par le gouvernement de la République populaire du Congo ?

- La nouvelle est arrivée le 2 février 1974, vers midi. Le Président Marien N’Gouabi recevait, ce jour-là, la visite du Président du Gabon : Monsieur Bernard-Albert Bongo. Dès qu’ils eurent terminé leur conférence, au retour de l’aéroport, le Président me reçut avec trois de mes Confrères et me félicita vivement, manifestant sa joie de voir que le petit Congo était mis ainsi à l’honneur. « C’est un honneur à l’échelle de la Nation, nous dit-il, j’ai eu la primeur de cette nouvelle et je veux que la nation le sache tout de suite ».

Il a aussitôt convoqué les gens de la télévision, de la radio, de la presse et il a offert à tous le champagne que nous avons bus ensemble. Puis il a ajouté : « je suis seul aujourd’hui, mais j’ai voulu que vous soyez là ; nous aurons une autre occasion encore de fêter cet événement comme il convient ».

Ceux de la radio sont venus m’interviewer. Sur l’œcuménisme d’abord, car ils savaient que nous nous réunissons, tous les ans, entre protestants, kimbanguistes, salutistes et catholiques et ils se rendaient compte que le seul fait de se réunir ainsi pour prier, sans être de la même famille religieuse, est un principe d’unité nationale.

Ils m’ont posé encore beaucoup de questions sur ce que fait l’Église pour favoriser l’unité nationale, pour former la conscience civique et professionnelle de ses fidèles, pour enrichir le patrimoine culturel etc... etc...

J’ai répondu de mon mieux en leur montrant que notre Église participe positivement à toutes les recherches nationales.

Qu’est-ce que l’avenir nous réserve ? Dieu seul sait, mais les réactions du gouvernement ont été très bonnes ; je reste résolument optimiste.

Interview du Cardinal Émile Biayenda
accordée à l’Abbé Michel Chartier

 


 
 
 
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