lundi 3 mars 2025
« Ku vuanda na m’tima ya m’boté »
« Ko zala na motéma boboto »
Qu’est-ce que cela signifie ?
A l’instar de la pensée juive, notre tradition congolaise connaît toute la richesse de cette symbolique du cœur qui veut exprimer ce qu’il y a de meilleur dans l’homme, ce qui fait sa grandeur et sa dignité.
Pour nous, le terme « cœur » (m’tima, motema), tout comme pour le sémitique, désigne le noyau central de l’homme, l’au-dedans de la personne, son intimité même. C’est en effet dans le cœur que nous retrouvons les sentiments, les pensées les plus secrètes, les raisonnements les plus élaborés, les calculs et les projets les plus cachés ; et c’est du cœur que partent toutes nos paroles.
Bon nombre d’expressions bibliques existaient, telles quelles dans nos langues avant que nous n’ayons eu quelque contact avec l’Évangile. Elles définissent le genre de relations que les hommes peuvent avoir entre eux, et déterminent les différents motifs et mobiles qui peuvent les promouvoir.
Signalons-en quelques-unes, en Kituba, Lari et Lingala, par exemple, que nous essayons de traduire assez fidèlement, bien qu’incomplètement, vu toute leur densité :
- « Ku vuanda na m’tima ya m’boté » « Ko zala na motéma boboto » = « avoir du cœur », signifiera à la fois : être sociable, affable, accueillant, savoir réagir devant la misère et les soucis des autres, oublier le mal qu’on vous a fait, savoir pardonner, savoir partager, en un mot, vivre la loi de charité telle que la définit Saint Paul dans sa première lettre aux Corinthiens. (1Co.13).
Ainsi, s’il nous était permis d’adapter le fameux chapitre treize de la première lettre aux Corinthiens, il nous suffirait de remplacer le terme « charité » par « cœur » pour que le Congolais saisisse toute la richesse de ce texte :
« Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas de cœur, je ne suis plus qu’un airain qui sonne ou une cymbale qui retentit (...).
Celui qui a du cœur est serviable ; il n’est pas envieux ; il ne fanfaronne pas, ne se rengorge pas ; il ne fait rien d’inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal ; il ne se réjouit pas de l’injustice, mais met sa joie dans la vérité.
Il excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout ».
Pour nous, Congolais, « avoir du cœur », c’est jouir d’une bonté et d’une largesse de cœur remarquables. « Avoir un bon cœur » (Ku vuanda na m’tima ya m’bote), c’est avoir ce « cœur nouveau habité par un esprit nouveau » et qui, par décision de Dieu Lui-même et avec son aide, prend la place du « cœur endurci » et insensible.
En revanche, « ne pas avoir du cœur » ( lembo ba na m’tima), « un cœur mauvais » (= motema mabé) ou « un cœur dur » (= motema makasi), correspondra au « cœur de pierre » ou au « cœur endurci », pour reprendre les expressions du prophète ; c’est manquer de charité, de tout sentiment humain, de tout sens de l’homme et ignorer ses devoirs vis-à-vis des autres.
Pour nous, Congolais, la valeur d’un individu donné est fonction de la valeur de son cœur, et nous partageons pleinement la pensée du théologien Karl Rahner, qui écrit : « Le vocable cœur fait partie de nos mots originels qui sont d’une puissance d’incantation, de synthèse et d’unité » (Mission et grâce, P.245).
La fraternité, les rapports entre hommes, les relations interpersonnelles dépendent beaucoup de la valeur du cœur des interlocuteurs. Ainsi, partant des attitudes extérieures : on en arrive à définir la valeur intrinsèque de l’individu. La face paisible de l’individu nous renseigne sur son moi intérieur : les actes posés, les paroles prononcées, les silences même nous aident à cataloguer les qualités du cœur de notre interlocuteur.
Don de soi, disponibilité, générosité, esprit de partage, sens du dialogue, miséricorde, etc., ainsi que ses défauts (mensonge, complicité, méchanceté, etc.).
Émile Cardinal BIAYENDA
Extraits de son exposé Sur le Cœur-Sacré
Paray-Le-Monial du 13-14 septembre 1974
Dans la même rubrique