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dimanche 23 février 2025


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LA MÉMOIRE BIAYENDA


 
 
 
 

Pourquoi l’Abbé Émile BIAYENDA proposait-il une école différente ?

Préambule de la Thèse de Doctorat en Sciences Économiques et Sociales
de M. Jean-François MOYNE

Ce texte que nous vous proposons est un préambule de la Thèse de Doctorat en Sciences Économiques et Sociales de M. Jean-François MOYNE. Nous nous excusons auprès de l’auteur pour avoir supprimé les footnotes à cause de l’espace. Toutefois, voici ce qu’il avait écrit.

Nous nous proposons de faire une relecture de « Coutumes et Développement chez les Bakongo en nous arrêtant plus particulièrement aux 2 chapitres intitulés « L’émancipation de la femme » et « L’école, foyer de développement » L’Abbé Biayenda constate que l’introduction de l’école puis la scolarisation massive des jeunes bouleverse la société congolaise. ll donne quelques faits significatifs montrant les oppositions et les conflits entre des » mentalités fermées » et traditionnelles, et des « mentalités ouvertes ». Il indique ensuite les raisons et la logique qui le conduisent à proposer une école différente et beaucoup plus adaptée à la mentalité de son Pays.

l. L’importance de la société traditionnelle

Comme tout jeune congolais vivant dans un village, Biayenda a vécu à Mpângala dans une « société traditionnelle’ ll en prend conscience tout particulièrement lorsque les anciens lui disent : « Ni buna wu fueti yilamana ; ya tu sisila nsiku ». (ll faut agir ainsi parce qu’on l’a toujours fait. C’est la coutume). Et il commente : « La coutume, c’est-à-dire les nôtres inspirées par la tradition, porte, commande, protège les institutions et s efforce en même temps de les maintenir dans leur statut quo ». ll pourrait tout simplement se contenter de continuer la tradition avec ses coutumes comme les anciens le lui demandent. Mais il n’est pas satisfait de cette société traditionnelle, laquelle ne va pas dans le sens du développement et de ce qu’il souhaite : « le développement de I’homme intègre ». Aussi propose-t-il une autre direction.

Cette direction nouvelle sera conduite non pas par les anciens comme il le font toujours dans la société traditionnelle, mais par des hommes nouveaux, des hommes d’action : « les missionnaires » et les « leaders politiques ». Pour mener à bien cette transformation de la société, ces hommes nouveaux devront changer leur mentalité. et mettre 3 priorités :

- après avoir noté I’importance des coutumes dans lesquelles « ils baignent », ils rechercheront tout particulièrement les coutumes qui freinent leur action,

- ils étudieront la science des structures sociales ancestrales,

- ils s’engageront enfin dans l’éducation et la formation.

- Il s’agit, conclut Biayenda, d’ouvrir ainsi les mentalités fermées et de promouvoir les mentalités ouvertes.

2. organisation traditionnelle de la famille Bakongo : le clan, le mvila, le village.

Biayenda distingue en République Populaire de Congo des races où se pratiquent le « patriarcat » ou le « matriarcat ». ll situe les Bakongo dans le matriarcat. (Sa société pratique plutôt un système de filiation matrilinéaire assez différent du matriarcat). Il enchaîne ensuite très rapidement en indiquant l’importance primordiale de la famille « vaste, large, étendue : le clan ». Puis à l’intérieur du clan il distingue les « mvila » (il traduit en français par « lignées » et en particulier le lignage maternel considéré comme un repère essentiel et sacré. ll ajoute : « Tout Congo parle avec respect de son mvila ». ll ne s’étend pas sur le système complexe de la parenté ; il Ie résume simplement en remarquant que, les frères du père sont des père et les sœurs du père sont des pères-femmes, les frères de la mère sont appelés oncles et les sœurs ses mères. Le clan donne une place prépondérante aux oncles et aux anciens. A tous les niveaux (clan, mvila), on note le rôle essentiel de la femme parce qu’elle agrandit le clan en lui donnant des enfants et transmet le sang (énergie du clan).

Le village, regroupement d’un segment de lignage, est dirigé par le chef de village. Au milieu du village se trouve le « mbongui », centre de rencontre. Parfois le clan choisit un chef couronné (mpu).

2-1 La formation des enfants dans la société Bakongo

« Traditionnellement, l’école c’était le cercle familial, clanique, tribal. Les maîtres étaient les parents, les ainés, les anciens du village et du clan ».

Toute cette éducation fait de l’enfant un être social, conscient d’appartenir à une famille, d’en recevoir aide et assistance et de pouvoir plus tard transmettre la vie.

Les dispositions requises par I’enfant étaient l’observation et l’imitation des anciens.

Comment évoluent le garçon et la fille ?

Le garçon. A 4 ans le garçon parle très bien sa langue (mieux que l’européen à 12 ans). ll sait faire du feu, griller des noix de palme et des chenilles. ll fait la cueillette, manie le bois mort ; il sait faire aussi les courses.

La fille. Dès l’âge de 5 ans, la fille commence à aider sa maman Elle continuera ensuite à travailler avec sa mère à la cuisine et aux champs jusqu’à ce que le clan régisse son mariage.

2-2 Si on veut une société en développement cette organisation familiale a des aspects très négatifs.

Le clan par exemple en donnant une place prépondérante aux oncles et aux anciens paralyse toute initiative personnelle, il écrase l’individu en particulier le jeune.

Régissant le mariage il choisit le mari, et en cas de décès une femme n’hérite pas de son époux. Ainsi la femme, en particulier la jeune femme, est une perpétuelle mineure.

- La polygamie, en mettant des femmes en concurrence, est organisée elle aussi au détriment de la femme.

- Enfin, on remarque une influence maléfique et partout présente des sorciers.

2-3 Des « pierres d’attente existent cependant » :

- La loi de l’hospitalité est absolue,

- On exige du chef des qualités morales,

- La solidarité du clan permet de monter ensemble. Comme dit l’adage. « Wa ba na kanda, ka mputu’ako ». « Tant qu’on a une famille (kanda) on n’est pas pauvre ».

Cette société traditionnelle si bien organisée pourrait en rester à son « statut quo ».

Mais en accueillant la venue de l’école elle va heureusement évoluer et aller dans le sens du développement.

« L’école, foyer de développement, est certainement l’un des antidotes les plus puissants avec la Religion chrétienne authentiquement vécue, pour exorciser les vaines croyances, se débarrasser d’inutiles tabous dont est bardée la vie traditionnelle et se libérer d’un bon nombre de blocages mentaux qui entravent la marche vers le progrès et le développement. J’ose dire que l’école déblaie le chemin et donne à I’initié ce qu’on pourrait appeler la clé du trésor caché ».

Mais quel modèle d’école faut-il donc choisir ?

3. Avec I’arrivée des blancs la société traditionnelle commence à se déstabiliser

3-1. Les résistances du début.

Les missionnaires fondent les premières écoles dans une société où « chacun a sa place et son rôle au service de tous ».

- Dans les débuts les familles hésitent à envoyer leurs enfants. Un père explique : « J’ai 5 garçons, 3 pour l’école et 2 pour ta maison ». Les filles, elles, ne sont pas envoyées à l’école, elles sont trop précieuses pour seconder leur mère.

La scolarisation commençant petitement, la transformation de la société se fera, par le fait-même, très lentement. C’est seulement à l’indépendance « qu’un congolais sur quatre » se trouve sur le banc de l’école.

« Les premiers élèves, constate Biayenda, veulent être des fonctionnaires avec un traitement mensuel (et non pas un traitement gagné par le travail de la terre). Ce traitement est reçu « en retour d’un travail des écritures accomplis dans un registre de bureau (c’est moins fatiguant et moins salissant ! ) ». Autre phénomène : avec la création de ces auxiliaires des français commencent l’exode vers la ville. Ainsi l’école change l’éducation de notre jeunesse ».

3-2. « L’école c’est la mort du village et l’abandon de la terre ».

Biayenda trouve ces écoles imparfaites. Les critiques sont faites dans des domaines pédagogiques et psychologiques. Des « carences pédagogiques » sont importantes « On ne fait pas l’histoire de notre pays, mais on parle de nos ancêtres les gaulois et de leur exploit, Cela indique un enseignement dépendant de l’extérieur tout comme l’économie dépend de la « mère poule ». Certes, on fait connaître le monde et les autres. C’est nécessaire pour faire éclater le cercle trop restreint du clan, mais dans un même temps, « on ne donne pas une « mystique », capable de pousser à la recherche et à la valorisation de ce qui a ce des rapports avec la terre et la vie du paysan. On fait même le contraire ».

Parmi « les carences psychologiques », la plus visible est provoquée par le passage du commandant. Celui-ci, « toujours impeccablement habillé », voyage en « tipoye », ne touche à aucun outil, à par le papier et le porte-plume, ne contribue pas à valoriser le travail de la terre » Le travail obligatoire des enfants dans les plantations contribue aussi involontairement à faire de l’école, une école agricole.

R. Dumont le rappelle : « L’époque coloniale connut l’école rurale avec ses jardins et ses arbres. Les gosses y travaillent souvent au seul profit du maître et celui-ci les y envoyait volontiers à titre de punition ; c’était le moyen de les dégoûter définitivement de la terre ». (R. Dumont : « L’Afrique est mal partie » Ed. du Seuil p.75).

4. Au début de l’indépendance

4-1. Deux phénomènes marquent cette période : La scolarisation des enfants et l’émancipation de la femme.

- Le Congo est parmi les pays scolarisés à grande proportion.

Biayenda n’emploie pas l’expression d’une « scolarisation considérée comme un phénomène de masse », mais la réalité est là.

- L’émancipation de la femme. « Cette réhabilitation de la femme dans notre société est due à la scolarisation et à l’influence chrétienne (égalité de l’homme et de la femme devant Dieu) qui produit un désir de promotion ». Cette émancipation se réalisera plus facilement lorsque la femme sera en ville. On ne notera jamais assez l’importance de ce passage du « fond de la Campagne à la ville ». Elle est quelque peu dégagée de l’étau clanique. Elle passe de la famille étendue, le clan, à la famille restreinte, composée simplement du père, de la mère, et de leur enfant (dans J. F. Vincent Afrique document’ 0.194).

Dans la mesure où les filles continuent leurs études « elles ont toutes les chances de se marier plus tard avec des jeunes gens instruits, bien évolués et désireux de fonder un foyer moderne.

Enfin en terminant leurs études, s’offre à elles les possibilités d’exercer un métier salarié et donc d’égaler en quelque sorte l’homme, voire même de rivaliser avec lui » (p.99).

4-2 Les conséquences de la scolarisation de masse.

L’école intensifie un conflit de génération entre « jeunes et vieux ». Les collégiens se sentent mal à l’aise dans leur milieu d’origine où les aînés commandent et « ils cherchent à s’en affranchir » (p.119).

De leur coté « les vieux reprochent aux jeunes d’être effrontés, vantards, têtus, bandits, orgueilleux, malhonnêtes, irrespectueux crâneurs, ennemis du travail de la terre » (p.119). Dans un même temps le brassage de populations provoqué par l’école est loin d’être négatif. ll donne une ouverture et fait sortir du clan.

L’apprentissage de la langue française réalise aussi l’unité de la langue là où il y a 50 dialectes différents, mais il fait oublier la langue maternelle au préjudice de son génie philosophique, théologique, artistique et moral (p.118). Aussi face à ces contradictions, Biayenda propose-t-il une autre école.

5. Une école différente utilisant la pédagogie africaine traditionnelle

Les anciens écoliers désertent les villages et perdent le sens du travail manuel ; ils sont bien souvent des chômeurs s’entassant dans les villes. Aussi Biayenda propose-t-il de s’attaquer à la racine de ce mal moderne en réformant l’école. ll faut réconcilier les écoliers avec le travail en réorganisant les horaires et les programmes des heures seront donc libérées pour permettre aux élèves de faire un travail agricole « Qu’il y ait un champ, un jardin à cultiver et dont tes fruits doivent profiter à l’ensemble de ta communauté scolaire » (p.143).

L’Abbé Biayenda va même plus loin et propose de faire travailler les élèves à des « tâches d’intérêt public : routes, ponts, fabrication de briques, aménagement de sites et de sources, installation de lieux d’aisance », comme le font les travailleurs adultes. Cette proposition généreuse semble, faut-il le dire, peu réaliste, car elle rappelle des exemples récents de travail des enfants avec leurs dérives. Elle ne sera pas retenue.

Pour les élèves plus âgés il propose tout simplement des formations professionnelles en menuiserie, maçonnerie, forge, imprimerie, comme cela se faisait dans les écoles missionnaires « Ainsi, conclut-il, il n’y aura pas de hiatus ente les livres et les égalités manuelles et terriennes.

L’école ne deviendra plus une entreprise sociale anti-paysanne, mais bien au contraire un lieu où l’on s’initiera à en connaître |es secrets pour une meilleure rentabilité. Ce n’est ni plus ni moins qu’une mise en œuvre de la pédagogie traditionnelle africaine où I’enfant apprenait tout sur le tas même de la société ambiante » (p.143).

La thèse et les suggestions de l’Abbé Biayenda garderont un caractère confidentiel et seront inconnues au Congo. Et pourtant curieusement, par un processus tout à fait original que nous indiquerons, la suggestion de consacrer quelques heures d’école à l’agriculture se réalisera dans une seule école de Brazzaville : l’École Spéciale.

 




 
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