Mgr Bienvenu MANAMIKa Archevêque de Brazzaville
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LA MÉMOIRE BIAYENDA


 
 
 
 

Émile Biayenda, un Saint Prêtre

Dans certains cas, l’attentive bienveillance et le courage apostolique de ce prêtre touchent à l’héroïsme. L’Abbé Émile Biayenda est un pasteur dévoué et pur. Le témoignage que nous avons reçu, en avril 1996, d’une femme de la Côte-d’Ivoire, illustre, de manière saisissante, ces qualités. Nous le reproduisons en intégralité.

Témoignage écrit le 11 avril 1966, de Madame
Simone Kaya Lamizana, Abidjan (Côte-d’Ivoire).

« Avec le temps, je reconnais que mon témoignage est bien modeste et n’engage que moi... Cependant j’écris ce que j’ai ressenti et que je ressens encore grâce à celui que j’appelle : « Le bon Père Émile Biayenda ».

Nous devions être en février 1963, à Brazzaville où j’étais assistante sociale et jeune maman de mon deuxième enfant quand j’ai vu le curé de Mouléké. Le Secours Catholique français avait fait don de cannes et de fauteuils roulants pour ceux qui souffraient de séquelles de poliomyélite. Le père Émile Biayenda représentait l’Église catholique lors de la cérémonie de distribution de ces objets bien attendus par les bénéficiaires. Bien que familière des Religieux européens et congolais de la cité, à cette date j’ignorais jusqu’au nom du Père Émile Biayenda. Je le rencontrai donc ce jour là, pour la première fois, à l’occasion de ce partage.

Dès la salutation et les premiers mots échangés, j’ai été frappée par l’impression que m’a fait le Père Émile Biayenda. Cette impression était celle de voir en lui un prêtre de la lignée du curé d’Ars, Saint Jean-Marie Vianney dont j’avais lu la vie. Je n’ai jamais retrouvé dans aucun autre prêtre cette similitude totale avec ce Saint Curé d’Ars que je vénère. Pourtant je connais quelques nobles serviteurs de Jésus-Christ pour qui j’éprouve respect et auxquels je pense toujours avec émotion.

J’ai vu un Saint prêtre à Brazzaville ! Et je crois que cela doit me consoler de toutes mes peines. A la fin de la cérémonie qui a permis notre rencontre, j’ai appris que le père Émile Biayenda était curé de la Paroisse de Mouleke, un quartier, tout là-bas, au bout de Brazzaville.

Mon mari alors jeune responsable de son pays, occupait des fonctions qui l’emmenaient à voyager fréquemment. Or l’atmosphère était de plus en plus tendue et il m’arrivait de me trouver seule avec mes bébés. Un soir de juin 1963, la visite d’un ministre me fit plus peur que les autres fois. Mon mari était en voyage. Cette personnalité étant un familier, je n’avais pas cru nécessaire de retenir Ta (monsieur) Maurice notre cuisinier qui était prêt à partir. A 20h passé, mon bébé, notre première fille de 5 mois dormait dans la chambre. Je restai avec notre aîné de 3 ans. Notre visiteur loquace et dandinant légèrement était devenu menaçant et brutal. Je dus courir autour de la table de la salle à manger en me protégeant d’abord avec ma chaise. L’homme était ivre et proférait des grossièretés et des menaces contre mon époux, en même temps qu’il tentait de me saisir.

Un moment, mon petit garçon de 3 ans essaya de me défendre en avançant vers le bonhomme en disant, les poings levés : « c’est ma maman, hein !.. ». Vite, je pensais : qu’allons nous devenir, mon brave petit gars, avec ce forcené ? Mais j’étais décidée à ne pas nous laisser toucher par ce malveillant que l’alcool avait égaré. Je me battis avec ma chaise tant et si bien que l’indésirable s’en alla dans la nuit noire. Il était de ceux dont la conduite faisait trembler le premier gouvernement du Congo Indépendant et sur des fondations de plus en plus fragiles.

Si mon agresseur n’était pas parti, je l’aurais frappé avec ma chaise ou n’importe quel objet. Et si un ministre sortait blessé de chez moi ? Cette pensée me fit mesurer le danger que nous courions, mes petits et moi. Je n’étais qu’une étrangère ici, mes beaux parents vivaient à Pointe-Noire et ma famille était à Abidjan qui me parut bien loin à ce moment-là.

Nos amis de Brazzaville riraient de mon aventure, pensais-je. A qui aller ? Nous ne pouvions rester là ce soir, mes bébés et moi. La peur au ventre, je cherchais où aller trouver du secours. Brusquement, je me souvins de ce Père Émile Biayenda, mon Saint curé congolais. C’était lui qu’il me fallait trouver. Vite, je courus mettre mon bébé endormi dans son panier que j’allais poser à l’arrière de la voiture, son frère sans rien dire monta à côté à sa place habituelle. Je ne pris même pas la peine d’éteindre les lumières et je ne fermai ni porte ni portail. Dans ma petite voiture, je fuyais cet endroit où j’avais peur. Je fouillais dans ma mémoire, et par les rues sombres et désertes, je finis par arriver à Mouleke.

Je pénétrai dans la cour d’une Église en construction. Une petite maison d’où s’échappait un peu de lumière m’attira. Au bruit de ma voiture, la porte s’ouvrit et je fus pour la deuxième fois en face du Père Émile Biayenda. C’est en excellent frère aîné qu’il m’aida à sortir mes enfants de la voiture. Dans sa maison où il posa le panier du bébé sur un banc, il nous fit asseoir autour d’une table. Il tint mon petit garçon sur ses genoux. Là notre hôte m’écouta parler.

Il ne montra ni étonnement, ni impatience. Puis simplement, il m’offrit de l’eau à boire. J’étais apaisée et mon fils s’endormait. Alors, le bon Père Émile Biayenda offrit de nous raccompagner. Il nous réinstalla, lui même, dans notre auto et nous suivit à bord de la sienne : une deux chevaux ( 2 CV), je crois.

Chez nous, il reprit le panier et nous précéda dans la pièce grande ouverte et toute éclairée. Après une rapide inspection, il me dit d’aller coucher les enfants.

Ce que je fis. Je trouvai le Père entrain de relever les chaises renversées. Puis, il ferma les fenêtres et les portes. Il s’assit un instant. J’étais totalement calmée, après qu’il m’ait dit que je n’avais plus rien à craindre ; et que lui même allait passer un moment dans mon jardin avant de retourner chez lui. Il me pria d’aller me coucher et m’assura qu’il serait là le matin avec quelqu’un. Je ne compris pas ce que voulait dire ce dernier mot mais tranquillisée, j’obéis et allai me coucher.

Le Cardinal Biayenda et Mgr Roch Auguste Nkounkou

Le Père avait-il prié ? Je ne sais pas ; ce dont je suis sûre c’est que j’ai dormi comme un bébé cette nuit-là. Et mes enfants qui se réveillaient habituellement à 6h du matin, étaient encore endormis à 8 heures du matin, quand de grands coups me réveillèrent en même temps que la voix de Ta Maurice qui disait « Madame, l’heure est passée il y a un Mon-Père qui ... » Je me suis alors souvenue de notre expédition nocturne à Mouléké. Le bon père Émile Biayenda m’attendait dans le jardin, un bon sourire aux lèvres, la soutane blanche. Je ne rêvais pas. Il m’emmenait bien "quelqu’un" comme il me l’avait promis. « Voici notre gardien » me dit-il : « Dominique est baptisé depuis Pâques 1962. C’est un jeune des Plateaux Batékés . Il n’a pas l’habitude de la ville. Je vous confie l’un à l’autre ». Je n’avais jamais vu quelqu’un dans un tel accoutrement à Brazzaville. C’était un gaillard plutôt grand, tout en muscle, avec à l’épaule, un carquois de flèches et un arc. Il me rappela quelques gardiens d’Abidjan de cette époque-là.

D’un regard, Dominique et moi, nous nous sommes adoptés. Je n’ai plus jamais eu peur de qui que ce soit et pourtant les occasions n’ont pas manqué. Le Père Émile Biayenda prit la peine d’indiquer à Dominique où se tenir quand viendraient des visiteurs et il avait ajouté : « Même quand son mari est là ! ». Les choses étant entendues, le Père nous salua et partit dans le grand jour. Je ne l’ai plus jamais revu mais son souvenir ne me quitte pas.

Cette sécurité qu’il a su me donner avec simplicité et disponibilité - comment l’oublier ? Ce protecteur compte beaucoup dans ma vie. Il avait su me donner la confiance et la sécurité que seul mon papa m’inspirait dans ma jeunesse. Bon Père Émile Biayenda ! Dominique fut un excellent gardien. Il fut de ceux qui nous ont accompagné à la gare lorsque nous avons été obligés de quitter Brazzaville, en novembre 1964, avec une petite fille de 3 mois (de plus).

De loin, nous parvenaient les nouvelles de nos frères en souffrance à Brazzaville, nos enfants grandissaient. La 4ème avait pu voir ses grands-parents congolais. J’ai laissé éclater ma joie lorsque j’ai appris que le Père Émile Biayenda était nommé Évêque de Brazzaville. J’ai applaudi le Cardinal car j’étais convaincue que nul mieux que lui ne méritait la pourpre ni ne pouvait assurer mieux que lui les charges de pasteur de l’Église persécutée comme c’était le cas. J’ignorais qu’il allait mériter le martyr. Mais je me réjouissais de voir le Cardinal Émile Biayenda un jour à Abidjan. Un mois de juillet, il était venu à l’ICEAO d’Abidjan alors que j’étais malheureusement absente. Cependant, je priais et espérais le voir un jour chez nous à Abidjan ».

L’abbé Émile Biayenda, curé de St Jean-Marie Vianney de Mouleke, est un prêtre qui sait que l’homme est pécheur, qu’il peut aussi se convertir. Il l’espère ; et il ne porte aucun jugement sur les égarés. De temps en temps, l’abbé Émile est complètement épuisé par le travail apostolique. Il est obligé de garder le lit pour quelques heures. Parfois c’est un mal de dent qui a raison de lui ou encore une diarrhée ou une épidémie de grippe qui ravage ce secteur de la ville. Tout se passe dans la prière, l’enthousiasme et le souci de bien accomplir sa mission.

L’amitié de beaucoup de prêtres africains et des missionnaires étrangers lui est due sans hésitation. Aumônier de la Légion de Marie, il parcourt toutes les paroisses de Brazzaville et de son vaste territoire diocésain. Dans un pays qui vient d’opter pour le marxisme-léninisme, cet apostolat ne va pas passer inaperçu et rester impuni. Et si on faisait cause commune, les mécontents internes de l’Église et les ennemis affichés de l’extérieur ? Il suffit, par la suite, de frapper le berger pour disperser les brebis, s’en faire un butin d’apothéose. Émile Biayenda ouvre, dès 1965, sa page de martyr de la foi au Congo-Brazzaville. Il l’écrira, sans jamais trébucher, de février 1965 jusqu’en mars 1997 !

Abbé Albert NKOUMBOU
(Biographie critique du Cardinal Émile Biayenda
à faire paraître)

 


 
 
 
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