vendredi 21 mars 2025
Comme tout bon pasteur, le Cardinal Émile Biayenda savait prendre soin des brebis du Seigneur, confiées à sa charge. Dans sa pédagogie d’éducateur de la foi des fidèles laïcs, Émile Biayenda était préoccupé par les problèmes de l’éducation des jeunes. C’est ainsi que dans sa lettre pastorale pour le Carême de 1973, il traitait de l’éducation de la jeunesse.
La lettre commence par une analyse de la situation, les faits majeurs qui, en 1973, caractérisent la jeunesse au Congo. Elle recherche les causes de ces faits. La principale est la disparition du « mbongui ».
En effet, le « Mbongui »était une école de formation aux valeurs humaines. C’est dans ce cadre que l’enfant apprenait la sagesse et les coutumes ancestrales. Il y découvrait aussi tous les liens de parenté, de famille et de son clan. L’enfant était fier d’appartenir à une famille, d’en recevoir aide et assistance, d’y assurer une fonction primordiale : celle de transmettre la vie : « wa ba na kanda, ka mputu’ako ».
C’est au « mbongui », écrit le Cardinal, que « l’enfant recevait conseils et avis. Le mbongui c’était "l’âme" du village et c’est au mbongui que l’enfant recevrait la plus grande part de son éducation ».
Malheureusement, poursuit le Cardinal, le « Mbongui »n’existe plus : « Que nous le regrettions ou non, nous sommes bien obligés de constater que le mbongui a disparu ». Cette disparition du « Mbongui »est très regrettable. Car, note Émile Biayenda, « avec le mbongui disparu, c’est une méthode d’éducation, c’est un certain nombre de coutumes qui disparaissent aussi ». En réalité, la disparition du « Mbongui »est, pour le Cardinal, l’une des causes importantes liées aux difficultés inhérentes à l’éducation des enfants. Certaines autres causes sont psycho, socio-économiques.
Parmi ces causes, le Cardinal souligne : la dépravation des mœurs, les changements sociaux, la recherche du confort, la modernité et toutes les composantes de l’urbanisation : « Les causes de toutes ces transformations sont donc nombreuses. Nous vivons une époque de transition : tout un passé disparaît, toute une manière de vivre, de penser, d’agir se fait petit à petit qui réclame de chacun d’entre-nous une attention et une réflexion pour pouvoir répondre à nos responsabilités d’éducateurs » ?
Sur ces entre faits, Émile Biayenda attire l’attention de tous les éducateurs, invités à prendre ce problème de l’éducation des jeunes à bras-le-corps, en y réfléchissant en conséquence : « celui qui ne se met pas tout de suite au travail, celui-là n’est pas un vrai congolais, celui-là n’est pas un fils de l’Église ».
Pour faire la lumière sur ce problème, le Cardinal souligne quatre points saillants, à savoir : l’aide de Dieu, la responsabilité des parents, la responsabilité de l’État, la responsabilité de l’Église.
Le Cardinal Émile Biayenda reconnaît que la procréation est une épreuve et une souffrance : « Mettre au monde un enfant, n’est-ce pas une épreuve, une souffrance ? Et quelle souffrance, celle qui dure toute une vie ! Vous le savez mieux que moi, vous parents qui cherchez à élever vos enfants le mieux possible : l’éducation est une rude épreuve, une tâche délicate, difficile.
L’éducation est un véritable enfantement et qui dure toute la vie, c’est une épreuve, comme le dit si bien Saint Paul, Dieu nous donne dans cette épreuve, et les moyens de résoudre nos problèmes d’éducation et la force de les surmonter ». C’est en cela que se comprend l’assistance divine, l’aide divine envers les éducateurs dans leur noble tâche.
En vérité, c’est aux parents qu’incombe en priorité, le droit de définir le type d’éducation propice pour leurs enfants. Sans perdre de vue que toute personne a droit à l’éducation et que celle-ci concourt à « l’épanouissement de la personne humaine et au renforcement du respect des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales ».
Cependant, l’éducation ne se limite pas à la maison. Elle se poursuit à l’école et à la paroisse. Finalement, « l’éducation, c’est toute la vie de l’enfant, c’est la maison, c’est la paroisse, c’est le mouvement de jeunes, c’est le terrain de sport : L’éducation, c’est aussi les parents, les enseignants, les responsables des mouvements de jeunes, c’est nous tous ensemble unis dans une tâche commune, celle de donner à ces enfants leur plein épanouissement qui fera d’eux des personnes conscientes, libres, responsables et sachant vivre en société ».
Cette société se trouve régie par un certain nombre de principes fondamentaux, qui règlementent la vie des citoyens. L’organe qui en a la compétence requise, c’est l’État. Le Cardinal d’affirmer, si bien, que « le rôle de l’État est très important : il est le gardien du bien commun, cela aussi, il faut le dire.
Que ce soit la protection des bâtiments scolaires, que ce soit pour les mouvements de jeunes, que ce soit surtout pour l’établissement des programmes, la formation des enseignants, des éducateurs, son rôle est de premier ordre et il attend de chacun d’entre-nous une collaboration loyale, sincère, efficace dans le seul souci de servir le bien commun ».
Il apparaît clairement que nous sommes tous agents de l’éducation des enfants : parents, citoyens et chrétiens. Ainsi que le stipule Émile Biayenda : « Famille, société civile, Église, voilà les trois forces qui concourent à la formation, à l’éducation des enfants ».
Seulement, ces trois organes d’éducation des enfants doivent se compléter et collaborer en bonne intelligence. Plutôt que de se replier sur soi. Étant entendu que nous devons bannir ce que le Cardinal appelle « le cloisonnement », c’est-à-dire « chacun chez soi, chacun pour soi : la famille sans ouverture avec la société civile et l’Église, la société civile sans collaboration, avec la famille ou l’Église, l’Église elle-même sans dialogue avec la famille ou l’État. Cet état de fait n’est pas chrétien, ce n’est pas l’Évangile ».
Il en va de l’intérêt des enfants à bien éduquer, pour leur épanouissement intégral. En tout état de cause, les enfants sont « membres d’une famille, ils sont aussi citoyens de notre pays, ils sont aussi fils et filles de l’Église. Ils réclament donc de nous une collaboration, franche, loyale, désintéressée ».
Par voie de conséquences, les différents éducateurs doivent se serrer les coudes pour une franche collaboration, dans le strict respect du domaine d’activités de l’autre. Raison pour laquelle, le Cardinal exhorte les éducateurs en ces termes : « Je vous invite donc à partager vos responsabilités d’éducateurs, à collaborer à tous les niveaux, selon les moyens et les aptitudes de chacun, pour que nos enfants, nos jeunes puissent profiter à plein de la diversité de nos compétences et découvrent dans cette collaboration entre tous, ce sens du bien commun si important pour un homme qui veut être responsable ».
A vrai dire, la collaboration entre éducateurs ne sera effective que dans la mesure où chacun des partenaires saura « ce que l’autre a à apporter, ce qu’il pense, ce qu’il croit, ce qu’il fait », conclut le cardinal Émile Biayenda.
Par ailleurs, en sa qualité de pasteur, de guide, d’éducateur, le Cardinal professe que Dieu est le « Premier, le Grand, le Seul Éducateur ». De ce point de vue, nul ne peut se dire bon éducateur, aussi longtemps qu’il n’a pas puisé sa pédagogie en Dieu, Maître du Temps et de l’Histoire, Dieu seul est capable de façonner le cœur et l’intelligence de l’homme.
La Bible en dit long, et Jésus Christ est l’incarnation du véritable pédagogue et éducateur parmi les hommes. En témoigne la méthode psychopédagogique que Jésus a mise en exergue pour l’instruction civique et la formation spirituelle de ses apôtres. Tant il est vrai qu’avec un cœur tendre, compatissant et plein d’amour, Jésus s’est révélé humaniste.
Le Pape Paul VI dans son message de Noël de 1970, cité par Émile Biayenda, de dire : « il ne peut y avoir d’humanisme vrai, fécond, sans Jésus-Christ ». Il en résulte que Jésus-Christ incarne toutes les vertus dont nous avons besoin pour accomplir l’œuvre d’éducation des enfants et des jeunes à nous confiée.
Cela va sans dire que nous devons donc prier sans cesse, implorer la grâce divine, par l’intercession de notre Seigneur Jésus-Christ. C’est ce que nous recommande le Cardinal. « Il est vraisemblable que si nous portons plus souvent notre responsabilité de parents, d’éducateurs devant Dieu dans la prière, nous serions plus à même de faire face à nos tâches d’éducateurs ».
Somme toute, le Cardinal Émile Biayenda avoue que l’éducation est un enfantement : « enfanter un homme conscient, libre, responsable, social, capable d’aimer, voilà l’œuvre d’éducation que nous avons tous à réaliser ensemble : Famille État Église dans le respect mutuel de nos droits et de nos devoirs, dans la seule volonté de former des hommes ». Ces hommes à former devront être libres, capables d’aimer et de passer leur vie à ne faire que le bien, comme le Seigneur Jésus.
Le Cardinal Émile Biayenda termine sa lettre de Carême de 1973, sur l’éducation des jeunes, par une recommandation aux parents, aux éducateurs, aux catéchistes, aux jeunes eux-mêmes en ces mots : « (…), nous devons d’être à la fois fidèles à un passé qui nous modèle encore, et c’est dans ce sens que nous devons recréer ce « Mbongui »de nos ancêtres, et à la fois ouverts à un avenir dont nous ne pouvons pas connaître toutes les données, mais que nous devons préparer par l’ouverture d’esprit, l’initiative que nous saurons inculquer à nos enfants ».
Abbé Séraphin KOUALOU-KIBANGOU
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