Mgr Bienvenu MANAMIKa Archevêque de Brazzaville
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LA MÉMOIRE BIAYENDA


 
 
 
 

Cardinal Émile BIAYENDA, le Théologien

Bien sûr, me dira-t-on, notre Cardinal n’a pas fait un doctorat en théologie, mais pour avoir été un grand universitaire, il a fait la théologie et mieux encore, il est théologien à travers tout ce qu’il nous a laissé. Quand des recherches plus approfondies seront engagées, le Cardinal sera cité comme théologien dans tous les domaines de la théologie de l’Église d’Afrique et de l’Église universelle.

Je me permets d’ouvrir ce chantier du « Cardinal Émile Biayenda, le théologien » parce que j’ai eu le privilège de lire ses homélies datant du début de son ministère sacerdotal jusqu’à son ministère de pasteur de l’Église de Brazzaville. J’ai lu aussi ses retraites prêchées ici et là, ses conférences spirituelles données à travers l’Europe et l’Afrique, ses lettres pastorales, ses exhortations adressées aux fidèles et ses interventions pendant les sessions internationales (synodes, symposium).

Ces lignes ne reflètent donc pas un travail définitif, mais un point de départ, un brouillon que je propose pour faire jaillir d’autres idées en honneur de notre Bon Cardinal.

Mon approche de l’œuvre du Cardinal se fera toujours dans un esprit bien critique. C’est une exigence fondamentale de toute pratique théologique. Le Cardinal Émile Biayenda, en tant que pasteur théologien, savait bien aussi « qu’on ne peut pas annoncer l’évangile sans analyse critique, sans prise en compte des fractures qui marquent la société ». La théologie est une science et elle exige que sa pratique corresponde à la réponse de foi qu’elle cherche toujours à donner. La théologie, c’est la « Fides quaerens "intellectum" », c’est-à-dire la foi qui cherche à comprendre. Ce principe fondamental de la science théologique se vérifie dans l’homme et l’œuvre du Cardinal Émile Biayenda. Ces œuvres (homélies, exhortations, écrits, etc.) si elles ne portent pas cette étiquette d’"œuvres théologiques" elles sont des " œuvres de théologie " car elles portent la marque d’une foi qui a cherché à comprendre et surtout à faire comprendre.

Comme on peut le dire, sans risque de se tromper, le Cardinal Émile Biayenda, n’a jamais été un rêveur dont le cœur serait rempli de nostalgie. Il n’a pas été un courtisan ni un flatteur de l’homme politique et du puissant. Face à cette société marxisante, il a toujours voulu dire le Christ dans son pays. Ceci se vérifie bien à travers son enseignement oral et écrit. Le Cardinal Émile Biayenda, le théologien, a voulu comprendre le mystère de Dieu avec son peuple. « A tous nos frères croyants, du Nord, du Centre et du Sud, en souvenir du Président Marien Ngouabi, nous demandons beaucoup de calme, de fraternité et de confiance en Dieu, Père de toutes races et de toutes tribus, afin qu’aucun geste déraisonnable ne puisse compromettre un climat de paix que nous souhaitons tous ». Théologien toujours pratique, il a voulu, enfin, transfigurer le monde congolais avec la grâce de l’Esprit Saint, en union avec son peuple.

Dans ce travail, je voudrais livrer d’abord quelques chapitres de sa théologie et au fur et à mesure que nous avancerons dans cette année, je vais développer les thèmes théologiques du Cardinal.

L’Église et l’engagement des fidèles dans la théologie du Cardinal

L’Église a été au cœur de son enseignement et ses vues ecclésiologiques sont bien celles de Vatican II. Dans sa théologie, l’Église est vraiment "Mater et Magistra". Elle est là comme signe d’unité, de paix, de justice et pour cela, elle est une vraie Mère et elle doit enseigner tous ses enfants pour qu’elle émerge dans la société congolaise.

C’est bien à cette période que le laïcat a pris conscience de sa place dans l’Église du Congo. Les fidèles laïcs ont compris que toute l’Église est Peuple de Dieu. Grâce à ce laïcat qui avait reconnu la valeur de son baptême, l’Église de Brazzaville a tenu ferme dans sa mission d’évangélisation. « Nous vous invitons, à revenir sur certains aspects de notre Message d’Owando » (24 novembre 1976).

« L’évangélisation, l’annonce du Christ Sauveur suppose de notre part, un engagement de foi réel dans nos milieux de vie. Les uns et les autres, baptisés, religieux, religieuses, prêtres et évêques, nous sommes invités à mieux témoigner du lien intime qui existe entre l’évangélisation et l’unification des hommes dans les communautés chrétiennes et humaines » (Homélie de Noël 1976).

Conscient, bien avant que l’expression soit donnée par des théologiens professionnels, que le "Peuple de Dieu est théologien" lui aussi, le Cardinal n’a jamais oublié de parler de la vocation des laïcs à l’apostolat et de leur participation à la vie et à la gestion de l’Église. « L’Église est faite pour étendre le règne du Christ à toute la terre. Elle fait ainsi participer tous les hommes à la rédemption et au salut.

Il y a dans l’Église diversité de ministère, mais unité de mission » (A. L. n° 29). Le laïcat de Brazzaville a été formé selon la théologie de Vatican II. « On parle beaucoup, aujourd’hui, disait le Cardinal, du sacerdoce baptismal du peuple chrétien. Ce sacerdoce baptismal veut dire que chaque chrétien est "médiateur’’ de l’humanité avec le Christ et par le Christ. Mais ce sacerdoce, le laïc l’exerce selon la spécificité de sa vocation et de son état de vie. Il lui suffit de bien accomplir, en chrétien, ses devoirs.

Le bien qu’il produit intercède pour l’humanité et l’élève auprès du Père. L’Esprit Saint travaille en chaque homme et par là chaque homme selon son charisme élève le monde et intercède pour le monde » (Homélie de l’ordination de M. l’Abbé Anatole Milandou, Kinkala 23 juin 1974). Le "Peuple de Dieu" qui est théologien dans "l’Église Mater et Magistra’’ devait être enseigné avant d’enseigner.

Le Cardinal, pasteur de son peuple a montré le rôle et la place de la Parole de Dieu dans la vie du fidèle laïc. Il a enseigné qu’en famille, on lise la Parole de Dieu et demandé que le catéchisme biblique de l’Archidiocèse soit bien enseigné aux catéchumènes, pour qu’ils aient le goût d’écouter et de mettre en pratique cette Parole de Dieu dans la société congolaise de l’époque baignant dans l’idéologie marxiste athée. « Nous sommes, aujourd’hui, au 32ème dimanche ordinaire de l’année liturgique B, disait-il un jour.

En effet, l’Église qui s’est ravisée lors du Concile Vatican II a décidé de livrer à la méditation du peuple de Dieu beaucoup plus de textes bibliques qu’auparavant… Si chaque dimanche, nous méditons sur une variété de trois lectures, le désir primordial de l’Église est celui que tout chrétien puisse, chez lui, en semaine, se familiariser encore avec cette parole, nous devons relire, chez nous notre Bible… Pour y aider, depuis l’année dernière et désormais nous avons, pour notre Diocèse, fait éditer un Ordo et un Calendrier dans lequel sont indiquées les lectures » (Homélie du 7 novembre 1976).

Le Christ et Marie dans la théologie du Cardinal

C’est dans l’Église et par la parole de Dieu qu’elle nous propose que nous découvrons le Christ et tissons des liens profonds avec lui. Marie, sa mère, nous est présentée par son Fils, une fois que nous l’avons découvert lui, Jésus. « Fils, voici ta mère ! Mère, voici ton Fils ».

A l’époque où la propagande marxiste niait la divinité du Christ et cherchait à démontrer la fausseté des évangiles, le Cardinal nous a laissé une christologie bien contextualité. Son enseignement christologique cerne bien la messianité de Jésus. Cette messianité est douloureuse et la glorification qu’il a connue après sa passion, sa mort en ressuscitant d’entre les morts est la preuve de sa filiation divine. C’est ce chemin que tout baptisé est appelé à suivre. « En effet, disait-il, Noël doit nous rappeler non seulement la naissance du Christ, mais l’œuvre divine entière restaurée par un nouveau dynamisme qui nous achemine à la manifestation totale du Seigneur. Tout comme les bergers et mages, nous devons apprendre à nos frères congolais la Bonne Nouvelle : un Sauveur nous est né. C’est le Verbe de Dieu, la vraie lumière qui éclaire tous les hommes en venant en ce monde…  » (Homélie de Noël 1975).

Le Cardinal Émile Biayenda a beaucoup parlé de Marie, il aimait prêcher sur Marie, la Mère de Dieu et des hommes. Ancien animateur de la Légion de Marie, il se sentait à l’aise, en abordant ce sujet. Partout, il a parlé de ce qu’est Marie pour les chrétiens, pour toute l’Église. Dans sa mariologie, il a su dire ce que « le saint Concile se propose de mettre avec soin en lumière, d’une part le rôle de la Bienheureuse Vierge dans le Mystère du Verbe incarné et du Corps mystique, et d’autre part, les devoirs des hommes rachetés envers la Mère de Dieu, Mère du Christ et Mère des hommes… » (L.G.n°54). Ces deux convictions de l’Église font la base de la Mariologie de notre Cardinal.

A l’époque, où, tout ce qui relevait de la religion était critiqué et rejeté, le Cardinal Émile Biayenda a parlé avec clarté du rôle de Marie dans le Mystère du salut et du culte de Marie par les chrétiens. « Je ne saurais terminer mon homélie, disait-il un jour, sans invoquer le nom béni de celle qui nous a donné Jésus sur cette terre, Marie, Mère du Christ, et notre Mère dans l’Église. C’est à elle que fut confiée la garde de l’humanité sauvée par son Fils. Elle est le signe par lequel Dieu nous annonce et nous donne le salut… » (Homélie à l’occasion du 11ème anniversaire du couronnement du Pape Paul VI, juin1974).

Le Cardinal Émile Biayenda et la théologie de la fraternité :
l’œcuménisme

Promouvoir la restauration de l’unité entre tous les chrétiens a été l’un des buts principaux du Saint Concile Œcuménique de Vatican II (cf. U.R. n°1). Le Cardinal a su présenter, tout au long de sa vie de pasteur, cette préoccupation de l’Église. Grand artisan du Mouvement œcuménique au Congo, il a été ainsi un promoteur de la théologie de la fraternité que l’Institut Catholique de l’Afrique de l’Ouest (ICAO) à Abidjan va faire éclore dans ses recherches dans les années 80-90, pour mettre l’Afrique toujours encline aux conflits violents et armés à l’abri des guerres et de la théologie de la libération de l’Amérique Latine.

« Au milieu de ce vaste Mouvement pentecostal de la marche des nations vers la Mystérieuse Montagne pour y recevoir l’unique Loi et entre l’unique Oracle qui unit, au milieu de cette marche irréversible des peuples à la lumière du flambeau du Christ, l’Esprit Saint répandu sur toute chair, le rassemblement œcuménique des chrétiens apparaît comme le stade premier de la prise de conscience du devoir d’unité des hommes et du scandale des divisions parmi les bâtisseurs du monde. A ce stade, le rassemblement est en train de s’opérer au seul son du nom de Jésus : "qu’au nom de Jésus, tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et aux enfers", que ceux qui se réclament de ce nom béni commencent à se reconnaître "frères" et "fils d’un même père" pour que le monde croie que le Christ est venu pour cela ! » (Homélie du 11ème anniversaire du couronnement du Pape Paul VI, juin 1976).

En conclusion, ceci n’est qu’un résumé de l’œuvre théologique du Cardinal.« Le Cardinal Émile Biayenda, le théologien » c’est un chantier qui vient d’être ouvert, nous y reviendrons avec force détails pour mieux rendre hommage à notre Pasteur bien aimé : le Bon Cardinal Émile Biayenda.

Abbé Jacques Bouekassa

 


 
 
 
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