vendredi 22 novembre 2024
"Le Cardinal Émile Biayenda n’est pas mort pour une ethnie"
Profitant du séjour à Brazzaville de la cadette du Cardinal Émile Biayenda, la révérende Sœur Solange LOZI, venue participer à la commémoration du 30e anniversaire de la mort de son frère aîné, le vénéré Cardinal Émile Biayenda, le Mardi 13 Mars dernier, nous nous sommes entretenus avec elle et notre entretien a tourné autour de l’homme Biayenda et du processus de sa Cause, déjà amorcé par l’Église. Voici l’intégralité de notre entretien.
La Mémoire Biayenda : Ma Sœur, voici aujourd’hui 30 ans, jour pour jour que votre frère aîné, notre Pasteur, le Vénéré Cardinal Émile Biayenda a rejoint la « Maison du Père ». Quels sentiments avez-vous au moment où le peuple de Dieu commémore son anniversaire ?
Sœur Solange LOZI : Merci au journal « La mémoire Biayenda » pour votre invitation au moment où le peuple de Dieu commémore le 30e anniversaire de la mort du Cardinal Émile Biayenda. Je suis habitée par des sentiments de reconnaissance, d’action de grâce envers le Seigneur pour toutes les merveilles qu’il accomplit en la personne du Cardinal Émile Biayenda, depuis sa mort. La joie, la confiance et la paix m’habitent continuellement parce que je sens toujours sa présence auprès de moi. Je sais que le Seigneur ne nous abandonnera pas malgré nos infidélités, nos manques d’amour, de pardon et de tolérance.
Je suis contente d’être à Brazzaville et de célébrer ce 30e anniversaire avec l’Église de Jésus-Christ qui est au Congo-Brazzaville et je peux chanter la miséricorde du Seigneur envers son peuple.
La M.B. : La génération née après 1977, n’a pas connu le Cardinal Émile Biayenda. Que répondriez-vous si l’on vous demandait de leur parler de votre frère ?
Sr S.L. : A la génération née après 1977 et qui ne connaît pas le Cardinal Émile Biayenda, je dis ceci :
Notre Cardinal était et reste une personne très proche de nous, attentif et soucieux de l’avenir de chaque jeune. Une personne très simple et qui nous écoute, qui aime beaucoup la jeunesse et il vous demande de vous mettre à son école : douceur, humilité, réconciliation, pardon et respect de l’autre.
De ne pas nourrir en vous la vengeance, mais la tolérance et le pardon, parce que lui a toujours pardonné à tous ceux qui l’ont fait souffrir. Il vous demande donc, de bâtir un monde de paix, d’amour, de ne pas avoir honte, ni peur de témoigner votre foi là où vous êtes. Il vous demande de témoigner par votre honnêteté, l’intégrité dans votre vie et la conscience professionnelle.
Il vous demande de ne plus tenir les armes pour supprimer la vie de vos compatriotes ; il vous encourage à vous mettre au travail pour gagner honnêtement votre pain quotidien. Pour me résumer, je peux vous dire que le Cardinal est l’ami des jeunes.
La M.B. : Pourriez-vous vous souvenir de votre dernière rencontre avec votre frère ? Qu’est-ce que vous êtes vous dit ?
Sr S.L. : Je n’oublierai jamais ma dernière rencontre avec mon frère. Elle avait eu lieu le 17 septembre 1976. Comme je devais voyager le même jour pour la Suisse, j’étais venue lui dire au revoir. Nous avons causé longuement, puis il m’a remis sa carte photo format identité en me disant : « prends ma photo et garde-la avec toi ». Je lui ai dit merci. Nous avons prié tous les deux, il m’a bénie ; il m’a embrassée trois fois (geste qu’il ne faisait jamais à moi). Puis, je lui ai demandé : « Viendrais-tu à l’aéroport ce soir ? ». Il m’a répondu : « Je verrai si cela me sera possible », à ma grande joie, il était là jusqu’au moment où j’avais fini les formalités d’enregistrement de mes bagages. Il m’embrassa et partit.
La M.B. : Il n’y a pas d’autres faits dont vous pouvez faire état ?
Sr S.L. : Il est toujours très délicat de parler et de témoigner d’une personne qui a vécu au milieu de nous en menant une vie toute simple, sans recherche de lui-même. Étant sa petite sœur avec neuf ans d’écart, en âge, j’ai du mal à exprimer mes sentiments envers ce frère que j’ai beaucoup aimé, estimé, admiré. J’ai conscience que je ne pourrai pas dire pleinement ce que j’ai vécu avec lui, mais je vais essayer.
Le 5 mars 1973, s’adressant en français au Cardinal Émile BIAYENDA, Archevêque de Brazzaville âgé de 46 ans, à son escorte de prêtre et fidèles congolais, le Pape déclarait notamment :« si les méritants pasteurs qui vous ont précédé, si les premières communautés chrétiennes du Congo, à peine centenaires, avaient participé aux mémorables cérémonies du récent consistoire, ils auraient été à la fois étonnés et enthousiasmés de voir le jeune Archevêque de Brazzaville déjà au collège cardinalice et l’Église d’Afrique si visiblement participante aux responsabilités du Pasteur universel ». (Semaine Africaine - mars 1973).
Le 9 mai 1973, jour de son retour de Rome après son Cardinalat, le voyant habillé tout en rouge, je me suis mise à pleurer sans bien comprendre pourquoi. Au lieu de me réjouir comme les autres, une pensée avait traversé ma tête : ce rouge signifie « martyr »... Je fus triste durant toute la cérémonie de réception. Depuis ce jour, j’ai eu la conviction que mon frère était « Autre » et qu’il mourrait martyr.
Le soir du 18 mars 1977, alors que j’étais en Suisse, j’apprenais par la télévision que le Président Marien NGOUABI avait été assassiné... ; « Mon frère est en danger ! ». Le lendemain, mes consœurs de communauté me demandèrent pourquoi j’avais poussé ce cri. Je leur répondis simplement qu’avec la mort du Président mon frère risquait sa vie. C’est ce qui arriva le 22 mars 1977.
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La M.B. : Qu’est-ce qui vous a encore le plus frappé en lui ?
Sr S.L. : Sa simplicité, son esprit de réconciliation et de pardon, son amour pour les parents, la famille : Papa est mort le 29 janvier 1973 à Maléla-MBOMBE, le 3 juillet de la même année, mon frère avait fait exhumer maman qui était enterrée à Pangala le 19 septembre 1942 (ce village est à 9 km de Maléla-MBOMBE) pour la mettre à côté de son époux, papa SEMO, ainsi, nous pouvons les visiter au même endroit quelle délicatesse, et quel amour.
La M.B. : A Quel moment avez-vous appris la triste nouvelle ?
Sr S.L. : J’ai dit plus haut que, le 17 septembre 1976, j’étais partie lui dire au revoir parce que je voyageais pour la Suisse (Fribourg). C’est donc dans cette ville que la triste nouvelle de sa mort m’est parvenue.
Le Père Robyr, son compagnon de prison, en 1965, c’est donc lui qui, ayant appris cette nouvelle, téléphona au Père Durcy qui était dans la même ville que moi de venir me l’annoncer à la communauté. Imaginez la suite...
La M.B. : Le peuple de Dieu attend l’aboutissement de sa Cause de béatification et de canonisation qui traîne déjà trop, quel message pouvez-vous leur transmettre ?
Sr. S.L. : Je ne peux pas dire que la Cause de béatification et de canonisation du Cardinal Émile Biayenda traîne. Dieu lui-même sait le pourquoi de cette lenteur. Mais sachons que nous sommes entre ses mains et pour lui, mille ans sont comme un jour et un jour est comme mille ans.
Mon message au peuple de Dieu est celui-ci :
Le Seigneur nous demande par son serviteur Biayenda de nous convertir, de bâtir la paix, de faire tomber tous ces murs de haine, de tribalisme, de vengeance, et de le prendre comme modèle ; de permettre aux jeunes d’avoir leur place dans la société, de développer tout ce qui peut épanouir tout Congolais.
Le processus de béatification et de canonisation ne peut se réaliser que, grâce aux efforts à nous tous, à savoir : poser des actes concrets et sincères, de réconciliation, d’amour, de paix, de dialogue, de pardon, de conversion, d’unité nationale. Ceci est très exigeant, mais c’est le passage obligé pour permettre au Seigneur d’exalter son serviteur.
Que tout le peuple Congolais, sache que le Cardinal a donné sa vie, versé son sang pour tout le peuple Congolais sans exception : Nord, Centre, Sud, Est, Ouest. Il n’est pas mort pour une ethnie. Il veut que tout son peuple le connaisse et découvre l’amour de Dieu à travers lui.
La M.B. : Vous lisez notre journal, auriez-vous quelques suggestions à faire ?
Sr. S.L. : C’est régulièrement que je lis le journal « La Mémoire », grâce à ya Grey qui me l’envoie au Cameroun où je suis en mission.
Ma suggestion est celle-ci, que tous ceux qui ont choisi le Cardinal comme modèle dans leur vie de baptisé se mobilisent pour soutenir le journal « La Mémoire », par des cotisations périodiques pour permettre à celui-ci de faire connaître tâ Biayenda et de remplir sa mission dans l’Église et dans le monde.
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La M.B. : Votre dernier mot ?
Sr S.L. : Je remercie le journal « La Mémoire » pour le travail qu’il réalise et de m’avoir permis de passer ces quelques instants avec lui.
Je vous demande de continuer de faire ce travail dans un grand esprit d’amour pour soutenir la foi des lecteurs, qui à travers ce journal découvrent qui était le Cardinal.
Bon courage et je vous soutiens.
Propos recueillis par Grégoire YENGO-DIATSANA
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