vendredi 27 septembre 2024
Sœur Marie Thérèse Nkouka, qui a personnellement fréquenté le Cardinal Émile Biayenda, garde de cet homme de Dieu, plusieurs souvenirs, depuis son ordination presbytérale en 1958, son élévation au rang d’évêque, puis Cardinal, jusqu’à son assassinat, le 22 mars 1977, dans les conditions encore ignorées. Cette religieuse de la Divine Providence de Ribeauvillé, suggère d’ailleurs ce que l’on peut faire l’an prochain, à l’occasion du 30e anniversaire de ce douloureux événement, dans l’interview dont voici l’exclusivité.
La Mémoire Biayenda : Révérende Sœur, vous avez connue le Cardinal Émile Biayenda, pouvez-vous nous relater les circonstances de votre rencontre ?
Sœur marie Thérèse Nkouka : C’était en juin 1958. J’étais alors une toute petite juvéniste de 12 ans, qui venait de commencer sa formation au juvénat des Sœurs de la Divine Providence de Ribeauvillé à Ouenzé, paroisse Sainte Marie. L’Abbé Émile devait être ordonné prêtre à la Cathédrale et c’était pour moi la première fois que j’assistais à une Ordination sacerdotale. Pour mes compagnes et moi, c’était donc à la fois un sujet de joie et d’étonnement, de voir un séminariste noir devenir prêtre, à telle enseigne que je n’ai gardé de cet événement que cet aspect : joie et admiration alors que moi, je commençais à peine mon aventure, c’est-à-dire ma formation.
Je ne connaissais pas particulièrement l’Abbé Émile comme je connaissais par exemple les Abbés Maurice MBINDI, qui était de ma paroisse de Voka, Barthélemy BATANTU, qui y venait avec lui, pour nous enseigner ses premiers chants de la Schola Populaire et surtout, mon oncle paternel l’Abbé Louis BADILA.
La M.B. : Émile Biayenda, à l’époque abbé, a travaillé à Ouenzé à la Paroisse Ste Marie, quelles impressions avait-il laissé dans cette paroisse ?
Sr M. Th. Nk. : Ma joie et mon étonnement étaient encore plus grands, d’apprendre que le nouveau prêtre était affecté à la paroisse Ste Marie où je faisais ma formation. J’étais jeune, j’étais petite et j’étais en admiration devant ce grand, qui était ami de mon oncle Badila. Ce dernier n’était pas encore prêtre. Je me rappelle la première Messe qu’il était venu célébrer à la paroisse : L’Évangile de ce dimanche était celui de Zachée, je m’en souviens bien et l’Abbé prononçait ce nom biblique avec son accent lari : Zaachée !
Ce que je n’oublie pas non plus, c’était la célébration de la messe par l’Abbé Émile.
Je pouvais vivre cela quand il venait célébrer dans notre chapelle communautaire. Au moment de la Consécration, il était littéralement rivé sur la Sainte Hostie pendant de longues minutes. Je voyais en lui quelqu’un qui croyait !
Par ailleurs, l’Abbé passait dans les classes de l’école Immaculée Conception où il enseignait le catéchisme. Les Sœurs qui ont travaillé avec lui m’ont toujours affirmé qu’il était très humble : il leur demandait conseil sur la manière d’enseigner, cela m’a toujours émerveillée. Je l’ai aussi entendu confier à notre Mère Supérieure (Mère Edouard ) que chaque jour, avant de quitter sa chambre le matin, il était très matinal, il tenait à avoir prié tout son bréviaire de Matines à Complies car, le bréviaire était obligatoire pour tout prêtre. Cela aussi m’a laissé un souvenir plein d’admiration pour l’Abbé Émile, prêtre de Jésus-Christ.
La M.B. : A l’époque, aviez-vous l’habitude de le côtoyer, si oui comment le trouviez-vous ?
Sr M. Th. Nk. : Pendant son ministère à Ste Marie, je n’ai pas eu de relations personnelles avec l’Abbé Émile ; j’étais une petite fille en formation, et me trouvais simplement en face d’un aîné, un prêtre que je regardais comme un modèle.
La M.B. : Nous avons appris que l’Abbé Émile Biayenda était confondu au président Youlou, après la chute de celui-ci. Comment cela était-il arrivé ?
Sr M. Th. Nk. : C’était un 23 mars 1965, fête de l’Annonciation, dans la communauté des Sœurs de Ouenzé, nous recevons la visite inattendue de l’Abbé Émile et du Père Robyr, Spiritain ; ils venaient de sortir de prison. Accueillis au réfectoire, ils partageaient à toutes les Sœurs réunies, le terrible récit de leur incarcération et de leurs tortures. A l’époque, il n’y avait pas de mur qui nous séparait de l’avenue dénommée aujourd’hui Mgr Benoît Gassongo. Le lendemain, samedi, à 14h30, heure de notre prière communautaire, alors que nous étions à la chapelle, arrive un « militaire » à la porte de la chapelle. Après un premier moment de panique, et calmée par la Supérieure, nous entendons de la bouche du « militaire » ces paroles qu’il adresse durement à cette dernière : « Ma Mère, vous cachez un prêtre ici ! ».
A la réponse étonnée et négative de la Mère, le militaire qui était en fait un gendarme, insiste et rétorque : « Si, vous cachez l’ex-Président de la République ici ; nous en avons été informés ; vous devez mettre votre maison à notre disposition pour un contrôle systématique ».
En fait, nous ignorions que le Président Abbé Fulbert YOULOU s’était évadé de prison, le même jour que celui de la sortie des deux prêtres, et d’autre part, que toute notre concession était déjà encerclée par la Gendarmerie, depuis l’école, jusqu’à la communauté.
C’est seulement à la fin de cette terrible expédition que nous avons compris qu’une femme, passant dans l’avenue à côté de nous, le jour de la visite des deux prêtres et ayant aperçu un Abbé noir, en avait conclu que c’était l’Abbé Fulbert Youlou ; elle était allée en informer son mari, certaine de cueillir les 5.000.000Fcfa promis à celui qui ramènerait, mort ou vif, la tête de l’ex-Président. Elle avait chargé officiellement son mari pour qu’il avise les « militaires », et c’est lui qui les accompagnait, en civil, dans toute l’opération de fouille du domaine des Sœurs de Ribeauvillé, à Ouenzé, opération qui a duré de 14h30 à 18h, évidemment sans succès !
Plus tard, l’Abbé Émile, informé de cette mésaventure, nous a traduit sa grande tristesse. Mais il fut rassuré que rien de tragique ne se soit passé.
La M.B. : Abbé, Évêque puis Cardinal Émile Biayenda, de ses trois étapes laquelle vous a marqué le plus ?
Sr M. Th. Nk. : Comme je l’ai dit plus haut, j’ai fréquenté personnellement Tata Émile quand il était Archevêque de Brazzaville, puis Cardinal. En 1972, il m’a donné l’autorisation de me présenter à nouveau dans la Fonction Publique, comme enseignante, après l’interruption due à la nationalisation des écoles en 1965.
En 1975, il m’envoya représenter notre Église aux assises du S.R.A.M. (Secrétariat de l’Office International de l’Enseignement Catholique Régional pour l’Afrique et Madagascar) à Yaoundé au Cameroun, pour aller y exposer sur l’évangélisation de la jeunesse en milieu marxiste.
En effet, depuis, ma présence au lycée du Drapeau Rouge en 1972, le Cardinal aimait à me voir souvent chez lui pour que je lui dise comment marchait cette nouvelle expérience, d’une présence de l’Église dans l’École Publique. A l’occasion de ces partages, je me trouvais en face à la fois d’un frère et d’un père. Il écoutait, il demandait conseil, il donnait son avis, émettait ses inquiétudes et ses espoirs par rapport à la jeunesse du Congo. Voici une phrase que j’ai gardée de lui à ce sujet : « Sœur Marie-Thérèse, je suis convaincu que ces jeunes que vous côtoyez ainsi, ne sont des loups qu’en apparence ; au fond, au-dedans, ils sont souvent des agneaux. Continuez donc à les aimer, à les éduquer ».
Si aujourd’hui, je me vois tellement impliquée dans la jeunesse, surtout en difficulté, c’est en grande partie suite à nos échanges avec lui. Dans sa dernière grande homélie, prononcée, un mois avant son assassinat crapuleux, à l’occasion des premiers vœux de Sœurs Marie-Jeanne NDISSA et Marie-Brigitte YENGO, à la Cathédrale, je l’entends encore reprendre à son compte de Pasteur ces paroles d’Isaïe : « Qui enverrai-je …. ? » Et il ajoutait avec insistance : « Qui enverrai-je… auprès des enfants, des jeunes, des vieillards… ?... », « Me voici, répondit le prophète, envoie-moi » (Is.6,8).
Mais je ne peux oublier une période de sa vie, alors qu’il était encore étudiant à Lyon (France) après son incarcération. Il allait souvent en Alsace, la région où est née la Congrégation des Sœurs de la Divine Providence de Ribeauvillé à laquelle j’appartiens ; il passait donc à Ribeauvillé, notre maison-mère. C’est là que nous avons eu la joie de le rencontrer, en août 1968, avec Sœur Angélique M’Sounda. Pour lui, c’était un bonheur de retrouver ses petites sœurs qu’il n’avait plus revues depuis trois ans !
La M.B. : Quel a été le thème principal qui revenait souvent de ses orientations pastorales et pourquoi ?
Sr M. Th. Nk. : Les homélies du Cardinal étaient si denses qu’il était difficile de les synthétiser autour de thèmes préférentiels. Ce qui est certain, il ne voulait oublier personne, il plaidait la cause des faibles, des veuves et des orphelins. Il voulait des saints prêtres. Il voulait une Église vivante. Développer tout cela faisait que, ses homélies étaient souvent longues.
La M.B. : A l’annonce de la tragique nouvelle, avez-vous été à la messe, du 22 mars 1977, au soir, présidée par le Vicaire général en la Cathédrale. Que ressentiez-vous à cette époque comme émotion à ladite messe ?
Sr. M. Th. Nk. : Je n’étais pas à la messe du 22 mars 1977. C’était le couvre-feu à cause de la mort du Président Marien NGOUABI et habitant alors Mouléké, nous n’étions informées des tristes événements que le lendemain.
La M.B. : Aviez-vous un souvenir particulier sur la personne de Émile Biayenda dont l’image ne vous quitte guère ?
Sr M. Th. Nk. : Pour moi, l’Abbé Émile était un bon prêtre, simple et affable.
L’image qui ne me quitte pas, se passe en 1975. Un jour, le Cardinal se déplaça lui-même pour venir me voir à Mouléké. C’était un soir vers 18h. Ne m’ayant pas trouvée sur place, j’étais allée accompagner dans le quartier, une petite fille, qui s’était égarée chez nous, le Cardinal demanda aux Sœurs qu’elles lui donnent un « bazebilamba » pour m’attendre, car, il venait m’apporter une bonne nouvelle : Papa, catéchiste du diocèse depuis 1940, avait été désigné, pour participer à un pèlerinage des catéchistes à Rome !!! Quelle simplicité et quel amour ! Mgr BIAYENDA, incarnait le Pasteur préoccupé du bien de tous, accueillant les plus simples, les plus petits, la vieille maman venant lui apporter des arachides, qu’elle venait de récolter, le jeune qui l’abordait…
La M.B. : Le Cardinal Émile Biayenda se révèle bien par ci par là à des gens. Peut-on savoir, s’il vous est déjà apparu, en vision, en songe. Si oui, quel message vous a-t-il donné ?
Sr M. Th. Nk. : Du Cardinal défunt, je n’ai qu’une relation purement intérieure et spirituelle : je m’adresse volontiers à lui pour implorer son intercession.
La M.B. : La célébration du 30ème anniversaire de la mort du Cardinal Émile Biayenda, c’est dans quelques mois, que pouvez-vous suggérer aux organisateurs de cet événement, si l’on vous consulte ?
Sr M. Th. Nk. : Je voudrais suggérer que la vérité soit faite, sur ce qu’on appelle aujourd’hui le Mont Cardinal BIAYENDA. Sait-on vraiment ce qui s’y est passé en1977 ? Pour moi, le récit réel de sa mort tragique reste un mystère à élucider, en dehors des révélations à ce sujet afin que lumière soit faite enfin, sur le martyre de notre vénéré Pasteur.
Une autre suggestion : éviter de rendre déjà un culte officiel à notre Cardinal pour hâter le processus de béatification et de canonisation de notre Pasteur par exemple, éviter de chanter des chants adressés à la personne du Cardinal, car Rome est très regardante pour ces détails.
La M.B. : Vous lisez de temps en temps, le journal "La Mémoire-Biayenda", si l’on vous demandait de donner vos impressions, que diriez-vous à propos ?
Sr M.Th.Nk. : J’adresse mes vives félicitations, mes fraternels encouragements à l’équipe de « La MÉMOIRE-BIAYENDA ». J’aime lire ce petit document, qui nous montre tant de visages de notre vénéré Pasteur et cela avec des moyens, il me semble, bien modestes.
Puisse notre Cardinal qui a vécu la pauvreté du Christ vous faire un grand sourire.
La M.B. : Votre mot de la fin, révérende.
Sr. M. Th. Nk. : Pour moi, Émile Cardinal BIAYENDA est auprès du Seigneur et sa vie est imitable pour chacun de nous car, nous voulons tous être des saints.
Propos recueillis par
Grégoire YENGO DIATSANA
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