Mgr Bienvenu MANAMIKa Archevêque de Brazzaville
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LA MÉMOIRE BIAYENDA


 
 
 
 

La coutume : une habitude, un usage passé dans les mœurs (2)

Par l’Abbé Émile BIAYENDA, 1968

Suite du précédent numéro dans lequel l’auteur a subdivisé en croyance superstitions en passant par le kindoki, Nzambi’a Mpungu.

I- Les croyances superstitieuses

Lorsque l’idée m’est venue de rechercher quelques unes des causes internes de freinage et de blocage du développement économique chez nous, c’est sans hésitation aucune, aux croyances superstitieuses dans lesquelles vivent depuis des millénaires nos ancêtres et nous-mêmes que j’ai pensé.

Ce sont vraiment elles en dehors de toutes les autres causes extérieures qui sont la force et la raison d’être de tant d’atavisme et de persistance dans les normes de conduite traditionnelle.

Au fond, avec ce chapitre sur les croyances, nous somme là devant ce phénomène de l’instinct de la conservation de la vie, de la lutte pour la vie des petits contre les grands, des puissants contre les faibles. C’est le problème de l’ambigüité de la vie humaine et de la mort que vainement les hommes livrés à eux seuls cherchent à résoudre. C’est toutes les conséquences de l’ignorance que de tout son poids a pesé et pèse encore sur la société africaine traditionnelle. Quoi qu’il en soit pourtant, ni l’harmonie, ni une certaine conséquence logique ne manquent dans ces croyances. Essai d’explication du mal, justice, barrière et prévention contre le mal, médecine, punition ou extirpation contre le mal : tout s y trouve.

Du « kindokisme » (sorcellerie) au « kundu » (ensorceleur) et au « nkisisme » (fétiche) tout s’enchaîne, s’ordonne et se tient.

Nous essayerons d’étudier quelques unes de ces croyances de base à travers ce qu’elles engendrent :

a) - Le kindokisme et ses corrélatifs qui sont le kundu ; le bunganga ou nkisisme et leurs conséquences.
b) - Les croyances mystiques, source et raison d’être de certaines sectes non chrétiennes comme le Kinbanguisme, le Matsuanisme, le Ngunzisme…

1) LE KINDOKI (sorcellerie)

Le kindoki, en français, la sorcellerie, que ceux qui étudient ce phénomène appelle le kindokisme est une des croyances la plus aberrante et la plus répandue dans la société africaine et pour notre cas, dans celle des Bakongo.

A travers des siècles et depuis de longues générations les gens vivent dans cet étau, les uns en exploités et les autres en exploiteurs. Tout le monde parle de la sorcellerie, lui attribue les mots dont les hommes et les choses sont victimes, tout le monde la déteste, mais personne ne peut en donner des preuves convaincantes « mystère mia nsi = ya beto ba ndombi » (mystère du pays de autres les, noirs), disent-ils. Et l’on continue à conformer son jugement et sa conduite.

La société traditionnelle africaine, nous l’avons dit, a ses mages et ses sages dans les anciens. Ce sont eux qui détiennent la clé de la science et connaissent les « mystères » (secrets) qui régissent la société. Personne ne doit contester leur schèmes de jugement, ainsi que les explications qu’ils donnent sur les fais divers qui arrivent et qui peuvent avoir des conséquences fâcheuses sur les hommes ou les choses. C’est qu’il existe toute une catégorie de gens qui en profitent. Quand on connait vraiment les structures de la société africaine traditionnelle, on peut mesurer combien c’est pesant, rétrograde le crédit des gens à la sorcellerie.

« Le païen des pays primitifs (entendons l’homme de la société traditionnelle africaine), écrit le Père Auzanneau dans un article de la sorcellerie, se croit à la merci des influences néfastes de forces occultes, de puissances malignes qui le menacent dans sa vie, dans sa famille, dans ses biens : en un mot qui mettent en péril son salut temporel lequel consiste dans la continuité et l’accroissement de sa famille ». Plus loin, le missionnaire continue : « Pour lui au long des jours nulle sécurité. La crainte du sorcier particulièrement empoisonne l’existence du païen d’Afrique équatoriale française. Cette disposition à la terreur offre d’ailleurs un champ d’exploitation tout indiqué pou les malins, qui servent ainsi leur influence et y récoltent des profits ; la sorcellerie l’entretient pour en vivre ».

L’emprise de la sorcellerie sur les individus est tellement grande qu’on la voit encore persister à leur corps défendant chez ceux qui ont accepté de la combattre. « La crainte des sorciers, c’est A.E.F. comme je ne sais quel oiseau lugubre qui percherait sur les épaules des Noirs. Crainte tenace, crainte universelle. Même ceux qui mettent le plus d’empressement à se déguiser en Blancs ; même ceux dont le cerveau a été quelque peu façonné par une fréquentation plus prolongée de l’école et des livres ; même nos collaborateurs dans l’Évangile, les catéchistes qui sont dans les villages les porte-paroles du missionnaire, et qui aiment tant à se barder de crucifix, de médailles, d’insignes de toutes sortes, même tous ceux là n’arrivent pas facilement à se débarrasser de la hantise des sorciers et de leur industrie réputée formidable ».

Rien à redire à cette constatation. Le cas des catéchistes devenus féticheurs sont nombreux. On a vu et l’on voit encore des hommes politiques chrétiens et éminemment réputés pour leur instruction, pratiquent le fétichisme. Dans un tribunal de haute instance d’un pays donné, n’a-t-on pas jugé et condamné une personne qui avait été accusé d’être un sorcier se métamorphosant en panthère pour nuire ?

2– Mais pourquoi une telle attirance et une croyance si forte à la sorcellerie ?

On peut penser que cela provient de l’idée de Mukongo a :
a - Sur Dieu, Créateur, infiniment bon ;
b - Sur l’expérience du mal, des maladies, de la mort et des infortunes de toute sorte de la vie ;
c - De la question qu’il se pose sur l’origine et la cause de tout cela ;
d - Il sait par ailleurs qu’il existe des hommes bons et hommes mauvais ; que les uns et les autres par lien clanique, amical ont des relations d’ascendance et de descendance réciproques.

Il pense que l’homme qui survit au-delà de cette vie continue dans sa nouvelle existence de faire le bien ou le mal aux autres vivants de la terre. Que surtout des hommes méchants vivant encore en société peuvent par des actes magiques se servir des esprits mauvais pour nuire à la société.

A ces motifs, ajoutons bien sûr l’ignorance, le manque d’instruction, l’intrigue des profiteurs, le poids du paganisme et du sous-développement. C’est ce que nous allons tenter de décrire à présent.

a) Nzambia Mpungu (l’Être suprême)

Le nom existe bien avant l’arrivée des premiers missionnaires. « Dès le début du 16e siècle, tous les documents en font foi, les indigènes comme les missionnaires emploient pour désigner le Dieu des chrétiens le seul vocable Nzambi » (cf. : Van Wing, les études Bakongo, Desclée, p. 296) – A ce nom on a toujours ajouté l’épithète de Mpungu (Etre suprême), c’est-à-dire, Dieu éternel, Seigneur Tout-Puissant.

Car Nzambi désigne en certains cas quelqu’un de bien aimé, de pieuse mémoire, qui fut bon, puissant de son vivant et qui n’est plus, qui est mort, mais continue de vivre invisible dans l’au-delà. Ainsi l’on dira : Nzambi za tata, Nzambi za mama, Nzambi za mouatou : feu mon père, feu ma mère, fau un tel. Aux petits morts en bas âges, on n’applique pas cette formule.

Ce Nzambi est le créateur de toute chose

Le père Van Wing étaye cela par un certain nombre de devinettes dans lesquelles je me retrouve avec aisance. Ainsi : « Dans l’étang que Nzambi a fait, on ne se baigne que sur les bords ; Qu’est-ce donc ? – Le feu. La forêt que Nzambi a plantée repousse toujours. Nommez-la. - Les cheveux ».

Nzambi Créateur de toute chose, voire même du fétiche en tant que remède qui guérit et de la tradition dont la pratique pas es hommes est condition de leur bonheur

Nzambi et les hommes

Nous venons de Nzambi ; nous retournerons vers lui. A la mort d’un membre de famille on dit : « Nzambi bongele », (Nzambi l’a pris). A la naissance d’un bébé la maman dit : « Nzambi tu kabidi nzenzeto ya mona » (Nzambi nous a fait don d’un nouveau né). On sait qu’après cette vie, on se présentera aux yeux de Nzambi. On sait qu’il nous donne tout : « Nzambi tu geni buesso, tu segele ». (Nzambi nous a fait la bonne aubaine ou bien ne nous a pas souri).

Les lois que Nzambi a enseignées sont sanctionnées par lui : leur violation constitue « un mal contre Nzambi » et entraîne « des châtiments, (des masembo) de Nzambi ». Trop de fautes dans une famille peuvent bloquer quelqu’un et lui devenir un danger de mort (massumu ma m’kengui), d’où l’usage de confession de péchés utilisés par les Bakongo quand un membre de famille est malade.

Les Bakongo sont pleinement conscients que le pouvoir des parents sur leurs enfants leur vient de Nzambi et que leur parole sur eux en bien ou en mal est toujours efficace.

Nzambia Mpungu est un Être invisible pour nous les hommes. Jamais les anciens ne l’ont présenté par aucun objet matériel. Le culte revêt toujours un aspect social : le culte privé tient toujours une place assez réduite dans la société traditionnelle.

C’est au chef de famille que revient d’organiser, d’entente avec le « devin-guérisseur », les cérémonies et les clauses culturelles auxquelles prennent part tous les membres ou une partie de la famille. Le culte peut s’adresser soit aux mânes des ancêtres, servant de médiateur entre vivants et Nzambia Mpungu.

Dans le culte des ancêtres, on vénère les esprits de « ceux qui ont précédé » parce qu’ils se trouvent en relation constante avec les vivants et servent d’intermédiaires pour atteindre Nzambia Mpungu, l’Être suprême, le Dieu tout-puissant, mais toujours infiniment bon. « Directement aucune offense n’outrage Dieu, Être absolument parfait et loin de nos démêlés temporels. Il n’intervient qu’à titre d’arbitre, comme un père qui séparent ses enfants qui se disputent ou se battent. En quelque sorte il est désintéressé de nos affaires. C’est la théologie à rebours que tout cela, sans doute, néanmoins, c’est la théologie de tout peuple primitif. La vraie notion de Dieu et de ses attributs nous est révélée par le christianisme qui seul éclaire tout homme venant en ce monde ».

Dieu ne veut que du bien aux hommes. La mort qui est un extrême malheur pour l’homme et qui est pourtant une étape nécessaire par sa nature même ne frappe pas à temps et à contre temps quand elle est envoyée de Dieu. « Mu Nzambi na Nzambi nga babingi tué ». (S’il ne tenait qu’à Dieu, nous serions beaucoup plus nombreux que nous le sommes ». – « Bandoki ba tu meni ») - Ce sont les sorciers qui nous détruisent, raisonnent les Bakongo.

b) Oui, le Mukongo a l’expérience du mal, des maladies, des infortunes de toutes sortes et de la mort, qu’il ne peut attribuer à Dieu, est convaincu que c’est l’œuvre des sorciers, c’est-à-dire des hommes mauvais qui sont de connivence avec les esprits nuisibles peuplant le monde invisible.

« Les maladies ne sont pas considérées comme des faits ayant une explication dans le cours normal de l’action et de la réaction des causes naturelles. Toute maladie jusqu’à preuve du contraire est due à l’action directe ou indirecte du ndoki : sorcier ou d’un mauvais esprit ».

« Rien n’arrive, fait également observer le Père Auzanneau, qui soit l’effet d’une cause naturelle. A l’origine des maladies, des fléaux, des deuils, se tient un être malveillant, une puissance maligne » – Enfin ceci : « Rien ne lui est naturel, tout est fruit d’influences occultes répandues par le monde. Sous un ciel aux ouragans terribles, des générations et des générations ont subi de telles tyrannies de la part des hommes, que toute la race est restée accablée sous un fatalisme qui interdit les longs espoirs.

« La magie, la sorcellerie, le « démonisme » avec ses manifestations troublantes mainte fois constatées pas des hommes sérieux ; font vivre le noir sous une sorte d’envoûtement : l’air qu’il respire, l’eau qu’il boit, la plante, l’herbe qu’il cueille, l’arbre qu’il grimpe, sous lequel il se couche, sa case, sa natte, son siège, le sentier où il s’engage, sont peut-être possédés par de génies prêts à lui nuire. Il les redoute, comme il en arrive à se demander si lui-même n’est pas sans le savoir l’agent d’une puissance maléfique.

« Essayer de prouver à un noir que par exemple son enfant est mort de broncho-pneumonie : il vous laissera parler, vous écouter, mais son siège est fait ; il sait bien lui que si son enfant est mort, c’est que quelqu’un lui a mangé l’âme ».

A suivre

Abbé Émile BIAYENDA
Extrait de sa thèse de doctorat :
« Coutume et développement chez les Bakongo du Congo Brazzaville »

 


 
 
 
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