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samedi 22 mars 2025


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LA MÉMOIRE BIAYENDA


 
 
 
 

La coutume : une habitude, un usage passé dans les mœurs

Par l’Abbé Émile BIAYENDA, 1968

L’Abbé Émile Biayenda a présenté une thèse de doctorat portant sur « Coutume et développement chez les Bakongo du Congo-Brazzaville ». A travers de larges extraits ci-dessous, le chercheur définit le phénomène et en dégage le rôle et le poids dans la société.

Il semble bien d’introduire cette étude sur la coutume et le développement par une réflexion sur la coutume elle-même, en montrant l’importance qu’elle peut avoir face à ce dernier et en envisageant pour plus de vérité cela dans une ère géographique et ethnologique précise : celles des Bakongo du Congo-Brazzaville.

Ce qui nous permet d’annoncer :

  1. Que la coutume est un phénomène universel ;
  2. Qu’elle a une importance face au développement, car elle peut être un frein ou au contraire un soutien au développement ;
  3. Que nous voudrions étudier ce problème de la coutume en relation avec le développement dans une ère géographique précise, définie : celle des Bakongo du Congo-Brazzaville.

1- La coutume est un phénomène universel

Avant de faire une application quelconque de la coutume sur des situations concrètes, nous voulons en premier lieu parler un peu d’elle-même, et nous faire ainsi une idée notionnelle et terminologique.

En effet, c’est celle qui commende divers états de fait que nous rencontrerons tout au long de notre étude. La coutume porte, commande, protège les institutions et s’efforce de les maintenir dans leur « statu quo » se déclarant ainsi souvent l’ennemie jurée de tout changement.

a) Signification et définition de la coutume

Que signifie la coutume ? Quel contenu renferme ce mot ? Quelle importance et quel rôle joue-t-elle dans nos sociétés africaines et plus pertinemment chez les Bakongo ? – Autant de questions et autant de pistes sur lesquelles nous voulons porter notre attention.

Si nous ouvrons le « Larousse », la coutume est définie comme une habitude, un usage passé dans les mœurs. Chaque pays, dit-il, a ses coutumes. Et, par extension, ce mot désigne la règle de droit tirant sa valeur de la seule tradition. Quant au droit coutumier, c’est la loi non écrite, mais consacrée par l’usage.

La coutume est un phénomène universel, car c’est ce qui dicte à un peuple sa ligne de conduite à travers son existence. C’est l’unité de base irréductible du rôle des institutions et des cultures. C’est le comportement généralisé, standardisé et qui sert comme d’un moule, d’un modèle ou d’un guide pour distinguer en toute société, ce qui est conduite admissible et ce qui ne l’est pas.

b) Coutumes : jalons indicateurs

La coutume est comme un ensemble de jalons qui indiquent aux personnes ce qu’elles doivent faire en telle ou telle circonstance donnée. Elle est ce qui a guidé les populations quand chacune était refermée sur elle- même, sans tutelle, ni concours à l’extérieur. C’est la Loi-Providence et naturelle sur les hommes. A ce point de vue, elle n’est que très digne de louange, d’éloges et de respect pour avoir pendant des siècles porté des générations entières. Aussi, bien que, « autres temps, autre mœurs », on ne peut faire prendre une nouvelle orientation à un peuple donné sans compter et prêter attention à ce qu’il a été hier, c’est-à-dire, par rapport à sa coutume.

Après la célébration nuptiale, l’abbé Émile Biayenda fait une photo avec les mariés accompagnés de quelques parents

C’est le père Mveng qui définit aussi la coutume comme « un ensemble de normes, de conventions réglant les comportements individuels, collectifs, interpersonnels ou sociaux d’un groupe humain donné ». Il explicite sa définition en ajoutant que « ces normes sont imposées au nom d’une tradition ou de motivations qui échappent souvent à l’ensemble des membres. Elles sont figées par le temps et par l’usage, aussi leur reproche-t-on leur manque d’adaptation, leur arbitraire, leur irrationalité ».

Ces normes sont imposées au nom d’une tradition « il faut agir ainsi parce que l’on a toujours faits ; c’est la coutume ». Elle impose des tabous, des comportements, des schèmes de pensées et un chemin tout fait sur lequel il fait bon marcher si l’on veut être de tel clan, de telle famille, de telle catégorie et de tel sexe. Cela se vit en société, comme un poisson vit dans l’eau où un oiseau s’élance dans l’espace. On se familiarise avec les exigences de la coutume un peu comme le nouveau-né le fait avec les gestes de téter le sein de sa mère.

c) Poids des coutumes

Les exigences de la coutume sont à coup sur plus tyranniques au village, au sein du clan, que partout ailleurs. On est frappé d’entendre à travers toutes les situations et les événements quotidiens combien tout ce qui arrive est jugé en fonction de la coutume et des croyances traditionnelles.

Cependant, les mondes nouveaux qui se découvrent, les contacts plus élargis entre individus deviennent des remparts derrière lesquels l’homme moderne africain se cache pour échapper à l’emprise de la coutume. Comme celle-ci prend son origine chez les ancêtres et qu’elle est une institution vécue par les vivants comme elle avait été par les morts, au fur et à mesure que la société africaine s’ouvre à d’autres sociétés, la coutume tend à perdre pied devant ces nouveautés pour se replier dans les villages où il y a encore des anciens capables de la comprendre, d’en tirer profit et de lui vouer le respect qui lui est dû.

C’est tant mieux en quelque sorte, car « les coutumes comme les religions païennes remplissent une fonction psychologique et sociologique : elles permettent aux personnes de se comprendre, de se valoriser, de s’intégrer, de supporter leur condition, de maîtriser leur angoisse, d’atteindre à un équilibre satisfaisant, en elle-même et au sein du groupe.

Au fur et à mesure qu’on avance dans l’histoire, des souvenirs se perdent et la rigueur de la coutume aussi. Les gens le sentent très bien : à la mort de chaque ancien, c’est un livre d’histoire vivant et inédit sur notre antiquité qui se referme pour jamais. Ainsi pouvait écrire cet auteur rapportant le décès d’un chef coutumier de chez nous, Abraham Matouba, né vers 1859 et mort le 27 décembre 1967 : « Le moins qu’on puisse dire, qu’avec la mort de Matouba Abraham disparaît un document vivant de l’histoire congolaise ».

d) Conséquences de l’acculturation

N’empêche que l’apport des civilisations étrangères, notamment occidentales, et leur contact avec le monde africain ont crée et continuent de créer deux types d’homme dont la vie dichotomique sur plusieurs domaines est cause de tourments et d’une multitude d’instabilités au sein de nos sociétés.

Sur des structures anciennes créées et basées sur la coutume, l’administration coloniale a posé ses superstructures, ignorant ou laissant subsister ce qui était avant, mais sans lui accorder aucune chance de survivre. En réalité, c’est une nouvelle vie qui s’est construite, sans aucun rapport de l’une à l’autre. Alors, l’autorité coloniale est plaquée sur l’autorité ancestrale ; croyances ancestrales sur croyances nouvelles ; culture traditionnelle sur culture étrangère ; économie de marché, de monnaie et d’échange sur économie traditionnelle autarcique ; contrat matrimonial étatique, civil, religieux, sur contrat matrimonial coutumier, famille coutumière sur famille de conception européenne occidentale ; médecine africaine du féticheur sur médecine de thérapeutique européenne ; deux types d’homme : euro-africaine ; deux citoyennetés, africaine et européenne, etc.

« Il est vrai que nous dormons au Congo et vivons à Paris ». Cette réflexion du lecteur d’un hebdomadaire local dit long. C’est le résumé de toute une situation dans laquelle vivent beaucoup d’africains actuellement.

« La colonisation a entraîné des modifications aussi bien parmi les chefs de village que parmi les chefs de cantons supérieurs : « des chefs de paille » ont dissimulé le titulaire véritable qui cherchait à fuir les ennuis nés du contact avec l’étranger ; des révocations ou des nominations abusives ont écarté du pouvoir trop de caractères indépendants et y ont installé des politiques rusés ou soumis. Qui sont ces chefs, quelle est leur attitude vis-à-vis du progrès, quelle est leur compétence, quelle est l’étendue de leur pouvoir ? » C’est un ancien administrateur des colonies qui se pose ces questions.

Abbé Émile BIAYENDA
Extrait de sa thèse de doctorat :
« Coutume et développement chez les Bakongo du Congo Brazzaville »

 




 
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