lundi 2 décembre 2024
Les militaires s’éloignent des civils, se disent quelque chose entre eux, reviennent vers la victime innocente, et... Les choses vont très vite, Kondi poignarde le Cardinal qui tombe sans crier. On ne sait pas trop pourquoi il prend encore son fusil et tire une rafale en l’air. Tout est accompli !...
« Quand il eut pris le vinaigre. Jésus dit : « C’est achevé » et, inclinant la tête, il remit l’esprit » (Jn 19,30).
Dès que le corps du Cardinal Émile Biayenda touche le sol, une vraie panique saisit les militaires, qui se mettent à reculer. « On ne touche pas à ce corps, non, on y touche pas ! » Les civils n’en reviennent pas : « Quoi ? Vous voulez l’abandonner ici, alors qu’il est innocent et vous l’avez tué ? Non, il faut le ramener ! ». Le chef du commando calme les uns et les autres et ordonne aux civils de mettre le corps du Cardinal Biayenda dans le coffre. Ce qui est fait. Sur le chemin de retour, un des militaires propose qu’on jette le corps du Cardinal assassiné dans la rivière Djiri. Les deux civils protestent, une fois de plus.
Au cimetière d’Italo, le convoi s’arrête. Les militaires qui ne veulent pas, à tout prix, avoir un contact physique avec leur victime, obligent les deux civils à procéder, à la hâte, à l’inhumation.
Un des caveaux accueille le corps encore tiède du bon Cardinal Biayenda. Était-il mort totalement ou laissent-ils là un homme en coma profond, qui mourra étouffé ?
« Or il y avait un jardin au lieu où il avait été crucifié, et, dans ce jardin, un tombeau neuf, dans lequel personne n’avait encore été mis. A cause de la préparation de la Pâques des Juifs, comme le tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus » (Jn 19,41-42).
La camionnette prend le chemin de retour dans la ville ; un gardien du cimetière a vu la scène, mais s’apercevant qu’il s’agissait des militaires, il n’a pas osé s’approcher. Il se passe tellement des choses horribles dans ce cimetière depuis la mort du Président Marien Ngouabi. Personne du convoi ne l’a vu. Les autres militaires, en fraction à l’entrée de la ville, sont toujours-là. La camionnette de la mort s’arrête. La vérité plante ses bornes sur son parcours. Vers 19h 30, ceux du barrage voient la lumière des phares d’un véhicule qui vient s’arrêter devant eux. Ils se rendent compte que c’est la Land-Rover de tout à l’heure. Ils lancent une sommation aux occupants, les mettent en cible avant de les faire descendre tous. Le chef de bord, un Sergent. Le Sergent Mamoye appelle l’Adjudant en faction au barrage derrière la camionnette et lui confie les raisons de leur retour. Celui-ci revient et ordonne de laisser passer la Land-Rover et ses victorieux passagers. Quelques minutes après leur départ, l’Adjudant informe les autres sur la mort du Cardinal Émile Biayenda.
« Par contrainte et jugement il a été saisi. Parmi ses contemporains, qui s’est inquiété ; Qu’il ait été retranché de la terre des vivants ;
Qu’il ait été frappé pour le crime de son peuple ? On lui a donné un sépulcre avec les impies. Et sa tombe est avec le riche. Bien qu’il n’ait pas commis de violence. Et qu’il n’ ait pas eu de tromperie dans sa bouche.
Yahvé a voulu l’écraser par la souffrance ; S’il offre sa vie en sacrifice expiatoire, il verra une postérité, il prolongera ses jours,
Et par lui la volonté de Yahvé s’accomplira » (Is 53,8-10).
Aux premières heures du 23 mars 1977, alors que les veilleurs à l’Archevêché n’attendent plus que le lever du jour et la fin du couvre-feu pour engager d’autres recherches, le téléphone sonne pour M. l’Abbé Louis Badila. Il est 3 heures passé de quelques minutes. Il décroche, écoute et fixe longuement la photo du Cardinal Biayenda qui est accrochée au mur et s’écrie, perdu : « Non ! Ce n’est pas possible ! Pourquoi toi ? Toi, qui es incapable de faire le moindre mal ! Oh, Seigneur Jésus, aie pitié de nous ». Tous ceux qui veillent avec lui ont compris que le Bon Cardinal Émile Biayenda n’est plus de ce monde. M. l’Abbé Louis Badila reprend le téléphone et commence une interminable série d’appels, pour informer les paroisses, les communautés religieuses et ceux qu’il pouvait avoir à cette heure. Le couple Placide est de ceux-là, comme nous l’a confié sa conjointe, d’heureuse mémoire. A 3 heures du matin passées, un coup de fil nous réveille ; M. l’Abbé Louis Badila, en pleurs nous donne l’information : « Le Cardinal a été assassiné, le corps est retrouvé…Toute la maison est en pleurs… ».
Les autorités militaires et policières alertées, depuis l’enlèvement, sont informées sur le crime aussitôt après le passage de la camionnette à « Sans soucis », et le retour du commando à Mpila. S’il est vrai que, là et ailleurs, le crime fait danser bon nombre de personnes, la grande majorité désapprouve et en veut à ceux qui ont mis en route un tel commando.
Au commissariat central de Police, les agents sont divisés depuis l’annonce de l’enlèvement. Ils se regroupent, ici et là, par clans ou tribus, pour commenter et apprécier la crise. La méfiance a gagné tout le monde...
Des policiers sont désignés, par la hiérarchie en place, pour renforcer l’équipe de patrouille qui devait sillonner la ville le reste de la nuit. Ils circulent dans une voiture Peugeot 504 familiale difficilement pour le reste, car le mot de passe n’apaise pas tant les militaires des barrages. La patrouille se retrouve finalement au Cimetière d’Itatolo, avec une camionnette Land-Rover occupée par des militaires. Un des occupants, un jeune, a les poignets pris dans des menottes.
Par la suite, on saura que les militaires qui avaient été dans le commando avaient refusé de revenir à Itatolo, seul ce jeune s’était porté volontaire pour conduire l’équipe. En quittant Brazzaville, des autorités avaient donné l’ordre au Commandant Paul Nkouma, de ramener vivant le jeune homme qui servait de guide ; Ce qui fut fait.
Les deux véhicules éclairent, de leurs phares, le lieu de l’inhumation. Le corps du Cardinal Biayenda est là, enterré jusqu’au niveau du thorax, le bras droit semi-tendu verticalement, le bras gauche replié obliquement au niveau de la poitrine.
Tous stupéfaits hésitent et ne savent plus que faire. Le Commandant Nkouma ordonne l’exhumation et la mise du corps ensablé dans la camionnette. La nuit est lourde d’angoisses, chacun veut être dans la voiture la mieux sécurisée. Le voyage de retour est terrifiant, personne n’ose parler. Les premières lueurs de la journée balaient l’horizon, pendant qu’une fine pluie commence à arroser la ville.
Voilà ce qu’il en est de « La nuit où il fut livré ! ».
Nous avons relu la nuit de Jésus son Maître. La nuit où il fut livré, il avait plusieurs possibilités, plusieurs propositions, plusieurs choix pour faire face à la trahison de Judas, tourner le dos à la haine des autorités, esquiver le terrible destin. Il aurait pu sauter au cou du traître, le rouer de coups et le livrer, lui aussi, à la vindicte du groupe de ses amis. Il aurait pu se créer une milice avec ses amis et ses anges, prendre le maquis et revenir faire la peau aux princes du pouvoir. Il aurait même pu prendre cavale, les deux jambes à son cou et fuir très loin en exil, échapper au filet des autorités et à leur menace de mort. Il aurait pu, par exemple, intenter un procès contre ses bourreaux, plaider sa cause, se déclarer non coupable, alerter l’opinion internationale, faire appel à la justice des hommes, ou supplier la vengeance de Dieu contre ses accusateurs.
Non ! La nuit où il fut livré, condamné injustement, sur fond de haine tribale, de haine contre l’Église catholique et les autres confessions chrétiennes du Conseil Œcuménique du Congo, de haine contre sa personne et son combat pour l’unité et la paix, contre les souffrances des réfugiés Cabindais, contre tant d’injustices dans ce pays, sur les traces de son Maître et Seigneur Jésus-Christ, le Cardinal Émile Biayenda a librement fait son choix : avancer au large, vers la mort.
Il savait que Moïse fuyant en Madîan a été rattrapé par Yahvé, au Buisson ardent (Exode 2 et 3) ; que le prophète Élie, prenant peur face à Achab, sera rattrapé par Yahvé, au mont Horeb (1 Rois 19) ; de même, Jonas n’a pas pu esquiver sa mission prophétique pour Ninive (Jonas 1 et 2) ; Job et ses amis nous ont appris qu’il est inutile d’intenter un procès contre Dieu ( live de Job). La nuit où il fut livré, Jésus s’est donné en service et en salut pour tous, par l’Eucharistie d’abord (Luc 22,19) et la mort sur la Croix. La nuit où il fut livré, à Gethsémani, Jésus a dit oui à sa mission : faire la volonté de son Père, jusqu’au bout (Marc 14,26). La nuit où il fut livré, le Cardinal Émile Biayenda, innocent et le cœur en paix, est entrée dans les Noces de l’Agneau. Il est mort martyr de sa foi chrétienne, au Congo, le Mardi 22 Mars 1977.
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