jeudi 21 novembre 2024
Pour autant qu’il s’en souvienne, l’Abbé Olivier Massamba-Loubélo fait remonter de sa prime jeunesse des souvenirs émanant du Cardinal Émile Biayenda. Pour en arriver à nous faire cerner la dimension sublime d’homme de Dieu qu’il a été, car « la vie et la mort du Cardinal Émile Biayenda sont deux réalités qui se tiennent intimement »… Sachons-le davantage par l’interview suivante réalisée grâce à l’Internet.
déclare l’Abbé Olivier Massamba-Loubelo
La Mémoire Biayenda : Le Cardinal Émile Biayenda, notre vénéré pasteur vous l’avez connu. Pouvez-vous rappeler les circonstances de votre première rencontre et de quoi parliez-vous ?
Abbé Olivier Massamba-Loubelo : L’enfant que j’étais scrutait du regard et écoutait avec un étonnement teinté d’admiration ce prêtre qui venait de rentrer d’Europe et qui, tout en faisant défiler des diapositives de son séjour en France, nous racontait une tranche dramatique de sa vie. Sa voix graveleuse ajoutait encore à l’émotion qui m’étreignait au récit des tortures qu’il avait endurées juste quelques années auparavant, au début de la période de basculement politique et social du Congo, en 1963, que d’aucuns ont appelé « Révolution ».
En 1969, l’abbé Émile BIAYENDA venait de rentrer de Lyon en France et l’abbé Antoine Firmin MALOUMBY, directeur du Petit séminaire St Paul de Mbamou, l’avait invité pour quelques jours dans cette maison de formation.
Ce soir-là, la séance de diapos était une distraction pas comme les autres parce que, même si nous ne le percevions que vaguement, nous avions le sentiment d’avoir devant nous un prêtre qui était un témoin précieux de l’histoire récente du Congo.
La M.B. : Après avoir écouté le récit de son arrestation, qu’est-ce qui vous a le plus frappé ?
A.O.M.-L. : Ce qui m’avait le plus frappé personnellement, c’était le fait que lorsqu’il racontait sa propre histoire, il n’y avait en lui aucun ressentiment, aucune teinte de haine vis-à-vis de ses tortionnaires qui lui avaient fait subir, en plus des chocs électriques, le supplice de la noyade : ils le tenaient suspendu par les pieds au-dessus d’un tonneau rempli d’eau et ils lui enfonçaient la tête dans l’eau dans le but de lui faire avouer sa prétendue collusion avec les ennemis de la Révolution.
La M.B. : Parmi tous ces faits relatés, est-ce qu’il y a encore autre chose à laquelle il aurait fait allusion ?
A.O.M.-L. : Pendant son séjour en prison, ses tortionnaires lui avaient arraché son chapelet mais, nous dit-il, il avait encore ses dix doigts qu’il utilisait pour la prière à Marie en faveur de ceux qui le faisaient souffrir injustement.
La M.B. : Monsieur l’Abbé, l’année dernière, si j’ai bonne souvenance, j’avais lu dans le journal « La Semaine Africaine », que vous étiez comme étonné de la journée du 21 mars 1977 dont les gens ne parlent même pas. Que dites-nous de cette journée funeste ?
A.O.M.-L. : Huit ans plus tard, je me retrouvais en face d’Émile BIAYENDA qui était devenu Archevêque de Brazzaville et avait été fait cardinal depuis quatre ans. Ce 21 mars 1977, le moins qu’on puisse dire c’est que le Congo était dans une grande incertitude politique : le Président de la République, Marien NGOUABI, venait d’être assassiné trois jours plus tôt. Sur les antennes de la radio nationale, un message était diffusé en boucle, disant que le Cardinal BIAYENDA était la dernière personnalité à avoir été reçue à la résidence du Président peu de temps avant la tragédie. Même le plus simple des Congolais pouvait comprendre que quelque chose était en train de se tramer sur le dos du Cardinal BIAYENDA. Ce matin du 21 mars, lorsqu’il arrive au Grand Séminaire LIBERMANN, à Kinsoundi, quelques grands séminaristes de son diocèse l’abordent et lui partagent leur inquiétude sur la situation politique du pays ainsi que sur sa sécurité personnelle.
Ce, compte tenu de la rumeur savamment entretenue de son implication dans l’assassinat du Président. Nous lui avons suggéré de s’éloigner quelque temps de Brazzaville pour se mettre à l’abri d’un mauvais coup. Sereinement, il nous a répondu qu’il n’était nullement dans son intention de s’éloigner de la ville, car s’il partait, cela accréditerait l’idée qu’il était impliqué dans l’assassinat du Président. Ensuite, il mettrait en danger la vie de nombreux chrétiens innocents sur qui on ferait payer sa fuite. « S’ils veulent venir me prendre, il vaut mieux qu’ils viennent me trouver chez moi », a-t-il conclu.
La M.B. : La vie et la mort d’Émile BIAYENDA ne s’entremêlent-elles pas curieusement avec l’histoire récente du Congo ?
A.O.M.-L. : Si je rappelle ces événements, ce n’est nullement dans l’intention de raviver une douleur ni de demander des comptes à qui que ce soit. Mais, c’est pour essayer de faire découvrir aux chrétiens du Congo que la vie et la mort du cardinal BIAYENDA sont deux réalités qui se tiennent intimement : il est mort comme il a vécu, dans le don généreux de sa personne à tous ceux qui venaient à lui. Mystère insondable de la vie et de la mort qui ne s’approche en vérité que dans la contemplation de la croix du Juste parmi les justes : Jésus- Christ. Cela veut dire que les explications politiques ou sociologiques n’épuisent pas la compréhension de la mort du serviteur de Dieu Émile BIAYENDA.
Il nous faut aller au-delà des explications humaines, trop humaines, entrer donc dans la Lumière de l’Esprit de Dieu pour que nous essayions d’entrevoir qu’une parole divine nous est dite à travers la vie et la mort du Cardinal BIAYENDA et que nous avons besoin de prophètes pour nous en livrer le sens profond.
La vie et la mort d’Émile BIAYENDA qui s’entremêlent curieusement avec l’histoire récente du Congo sont, à mon sens, l’héritage de l’Église au Congo, particulièrement des prêtres qui sont constamment appelés par Jésus à manifester dans leur vie et leur ministère la vertu du pardon et la grandeur du don de soi pour que ceux auxquels ils sont envoyés découvrent la nouveauté radicale de l’Évangile qui est à contre-courant de notre logique d’hommes incapable de nous faire sortir du cercle vicieux de la violence et du ressentiment.
La M.B. : Pour vous qui était Émile Biayenda ?
A.O.M.-L. : Émile BIAYENDA est un témoin fidèle de Jésus ; il reproduit dans sa vie et dans sa mort l’exemple de son Maître dans une confiance absolue. C’est pour cela que la nuit de la passion du bon Cardinal comme l’ont vite appelé les fidèles chrétiens peu après sa mort, n’est pas le fin mot de l’histoire de cet homme ni une abomination pour le Congo tant que l’Église travaille à faire du don de la vie du Cardinal BIAYENDA un appel pressant à la conversion des cœurs, au pardon et à la réconciliation, au respect de la vie humaine et au partage mutuel de nos richesses spirituelles, culturelles et matérielles.
Témoin fidèle, il l’a été dans l’exercice de sa charge pastorale en tant qu’évêque du diocèse de Brazzaville. Sa simplicité légendaire, il sut la mettre au service du peuple de Dieu avec un grand sens de l’accueil et de l’écoute des petites gens. Il arrive même que dans les structures ecclésiales le pouvoir monte à la tête de ceux qui exercent l’autorité ; ils deviennent alors hautains comme ces chefs que fustige le prophète Ezéchiel : « Malheur aux pasteurs d’Israël qui se paissent eux-mêmes…Vous n’avez pas fortifié les brebis chétives, soigné celles qui étaient malades, pansé celles qui étaient blessées…Mais, vous les avez régies avec violence et dureté ».(Ez. 34, 2-4).
Tout cardinal qu’il était, Émile BIAYENDA ne faisait jamais étalage d’une quelconque dignité sociale ; au contraire, il a vécu humble et pauvre. C’est ce qui faisait de lui le frère de tous ceux qui l’approchaient.
La M.B. : Un dernier mot pour clôturer notre interview ?
A.O.M.-L. : Heureux ceux qui ont vécu avec lui, ceux qui l’ont connu ou qui l’ont simplement croisé sur son chemin de vie et de martyre. Ils ont été en contact avec un grand homme et un ami de Dieu qui nous donne une leçon de vie à la suite de Jésus : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ».(Jean 15, 13). Qu’ils essayent, comme lui, d’imiter Jésus, dans la vie ordinaire. Heureux ceux qui, ne l’ayant ni connu ni croisé, s’engagent à servir humblement, à pardonner et à faire la réconciliation et la paix dans notre pays où des saints peuvent éclore et mûrir au milieu de situations humaines apparemment désespérées.
Propos recueillis par
Grégoire YENGO DIATSANA
L’Économe Générale de la Congrégation des Sœurs de la Divine Providence de Ribeauvillé était à Brazzaville
La Sœur Marie Ange, de nationalité Alsacienne, Économe Générale de la Congrégation des Sœurs de la Divine Providence de Ribeauvillé a séjourné à Brazzaville auprès de ses consœurs. Au terme de son séjour en terre congolaise, le vendredi 15 février dernier, elle a tenu à visiter l’appartement où vécut le Cardinal Émile Biayenda, car depuis l’Alsace, elle avait les échos de ce vénéré pasteur.
Au sortir de cette visite, la sœur Marie Ange que nous avons abordée, nous exprime ses sentiments en ces termes. « J’apprécie que tout ce que je viens de visiter soit resté en état de simplicité. En tout cas j’en suis émue ». A la question de savoir : comment a-t-elle connu le Cardinal Émile Biayenda, elle répond : « c’est par l’intermédiaire de nos sœurs de la congrégation qui ont travaillé dans ce pays. En Alsace, j’ai une consœur qui l’a vu tout jeune garçon. On nous disait qu’il était un homme simple, et cette simplicité, je l’ai senti même dans le lieu où il a vécu ».
G.Y.D.
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