Mgr Bienvenu MANAMIKa Archevêque de Brazzaville
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LA MÉMOIRE BIAYENDA


 
 
 
 

Émile Biayenda, un pasteur défenseur de la liberté de culte

Cardinal Émile Biayenda

L’année 1971, ainsi ouverte, abrite à Brazzaville, du 8 au 10 février, les assises de l’Assemblée Plénière de la Conférence Épiscopale du Congo. A côté de Nosseigneurs Jean-Baptiste Fauret (Pointe-Noire), Théophile Mbemba et Emile Biayenda (Brazzaville), Firmin Georges Singha (Fort-Rousset), viennent s’asseoir les Vicaires Généraux : Guy Pannier, Jean Morizur et Louis Badila. Le Père Clément Piers, Principal des Spiritains au Congo est aussi associé ; le Délégué apostolique est venu de Bangui. Les assises n’ont pas manqué de consolider la volonté des trois diocèses et des missionnaires au Congo à veiller sur la formation des laïcs pour qu’ils assument de plus en plus la responsabilité de leur vie chrétienne. Des orientations précises sont données ici et là par les conseils presbytéraux, approuvées par les évêques et mises en application. Après bien des essais de définition dans le passé, cette année va voir décrit clairement le « Dibundu », la communauté chrétienne.

Le diocèse de Pointe-Noire est-il dit se montre pionnier dans l’implantation des « mabundu » : « Le Dibundu est une communauté de prière, de foi et de charité qui s’exprime par l’apostolat et la prise en charge de la vie de l’Église, soit au niveau du village ou du quartier, soit au niveau d’un groupe sociologique. Il n’est pas un mouvement dans l’Église, mais une des expressions (ou une des réalités) de l’Église au niveau du quartier ou village, ou d’un groupe sociologique ». La notion du dibundu sociologique a souvent été un point de contradiction, mais de façon générale, la recherche sur les mabundu a pris de l’essor. Il le fallait, car « Les circonstances politiques et les diverses orientations officiellement marxistes du gouvernement pouvaient faire naître des inquiétudes sur la possibilité pour les missionnaires étrangers de rester longtemps encore au Congo. Il fallait absolument que l’Église puisse continuer à vivre, même avec un minimum de prêtres congolais ? ». Ce que le Père Guy Pannier dit surtout de Pointe-Noire n’est pas moins vrai ailleurs dans le pays. Sous diverses formes, le régime marxiste va s’affirmer moins tolérant de la liberté de culte, le Parti Congolais du Travail et ses organisations de masse devenant le fer de lance de la vie politique congolaise.

Alors que M. Claude Ernest Ndalla est Premier Secrétaire du Parti, le mardi 23 février 1970, l’État-major de l’Armée Populaire Nationale (A.P.N.) écrit aux évêques. Il leur notifie que désormais il n’y aura plus de culte (messes et autres liturgies) dans l’enceinte des casernes. C’est la veille du mercredi des Cendres de cette année. La lettre a été reçue, l’imposition des Cendres n’a pas eu lieu dans les casernes. C’est un début de bras de fer entre l’armée et l’Église ; Monseigneur Biayenda en est conscient.

Le jeudi 25 février, il va lui-même rencontrer un Commandant de l’État Major Nationale, au Camp militaire 15 août. Il lui demande que soit levée la mesure interdisant les cultes dans les chapelles des casernes. L’échange est cordial, mais l’État major ne cède pas. Le Commandant demande poliment à l’Église d’accepter la décision... D’autres priorités appellent l’Archevêque Coadjuteur.

Du 2 février au 10 mars, il entreprend la visite pastorale des paroisses de Voka et Mbanza-Nganga avec leurs vastes secteurs d’activités.

En plus des activités strictement religieuses constitutives d’un tel parcours, des communautés chrétiennes, sans renoncer à l’accueil chaleureux des chrétiens, catholiques comme évangéliques, surtout dans ces zones de Mousana et Boko, Monseigneur Biayenda doit, tour à tour, régler des litiges graves.

A Voka et Boko, les autorités narguent l’Église par des actes de provocation. Soutenus par le sous-préfet de Boko, les paysans regroupés en coopérative agro-pastorale dirigée par le Frère marianiste André Saulnier, accusent le religieux d’avoir vendu des véhicules et engins destinés aux paysans. Le sous-préfet a, pour cela, confisqué ceux qui sont à la paroisse Notre-Dame Auxiliatrice de Voka. Monseigneur Biayenda va, lui-même, à Boko, pour rencontrer le sous-préfet. Hélas, celui-ci est absent, étant parti à Brazzaville.

A Boko, un fonctionnaire, un agent spécial, selon le vocabulaire de l’époque, avec la complicité du même chef de District, « s’est accaparé d’une parcelle de la paroisse pour construire sa maison, bien qu’il peut le faire sur l’endroit en face. Tout le monde s’en indigne, mais lui crâne et va construire. « Seigneur, que de temps nous connaissons !... » écrit Mgr Biayenda dans son cahier journal.

A Louingui, Monseigneur Biayenda vient prier avec les chrétiens et se rendre compte de leurs activités ; il espère aussi rencontrer, échanger et tenter de convaincre son confrère, Monsieur l’Abbé Noël Mifounini, qui vient de quitter le ministère sacerdotal et s’est fait professeur de collège dans cette localité. L’intéressé n’a pas voulu répondre au rendez-vous, il est absent. Monseigneur Biayenda lui laisse une lettre pour un prochain entretien.

A Kingoma, où les communautés chrétiennes catholiques et protestantes se sont fortement mobilisées pour accueillir l’illustre visiteur. La messe aux allures œcuméniques et les réjouissances sont intenses, le litige de la coopérative est de nouveau au rendez-vous. Monseigneur Biayenda se donne le temps d’apaiser les inquiétudes des 19 foyers qui y travaillent en coopérative de jardinage. Ils sont fortement indignés de ce que leurs collègues de Voka et Boko se rebellent contre le Frère André Saulnier.

L’arrivée à Mbanza-Nganga, constitue une boucle : c’est ici qu’il a appris, il y a presque une année (en 1970), sa nomination à l’épiscopat. La cérémonie d’accueil manifeste le savoir-faire des Abbés Maurice Mbindi, curé et grand liturgiste, Denis Ngambanou, vicaire et organiste fécond. Les chrétiens y vont de toute leur débordante spontanéité. Monseigneur Biayenda vit les faits avec la même intensité : « A l’entrée dans la concession de la Mission, le monde attend : les deux confrères : Messieurs les Abbés Maurice Mbindi et Denis Ngambanou ; des enfants de chœur, des adultes, des écoliers. Baiser de la Croix, aspersion, encensement et montée avec chants jusque dans l’Église : oraison à la Sainte Vierge, salutation, remerciement et bénédiction. A la résidence, chansons, vin d’honneur et repas ».

Le lendemain, après la messe dominicale et son copieux repas sous le baobab, le responsable des prêtres diocésains, au milieu des représentants des différentes communautés chrétiennes, s’active aux « mises au point pour dissiper et expliquer des malentendus. On dit : qu’on veut scinder la paroisse en deux, que le Curé ne s’entend pas avec le Vicaire, on s’explique, on se réconcilie, on prend de nouvelles résolutions. On rend grâce à Dieu ».

La visite portera ensuite l’évêque jusqu’à Kinkambu, Mankussu, Kimpete et Mayombé, des villages de la frontière avec le Congo-Kinshasa. Le mercredi 10 mars, le pasteur revient à Brazzaville, heureux d’avoir visité et pris soin du troupeau. Le combat pour défendre la liberté de culte de l’Église, pour l’unité et la paix occupe de grandes portions du calendrier de Monseigneur Biayenda.

Le samedi 20 mars 1971, sous une pluie battante, en compagnie des Abbés Louis Badila et Isidore Malonga, il va à Mpila, pour y rencontrer une fois de plus les autoritaires militaires et demander des explications sur l’interdiction de célébrer les cultes dans les chapelles des casernes du 15 août, de Mpila et de la Base (Maya-Maya). Il n’en revient pas plus informé qu’avant. Monseigneur Biayenda appelle à la concertation les responsables des autres Églises chrétiennes du Congo : Évangélique, Salutiste, Kimbanguiste. Chaque responsable se faisant accompagner d’un secrétaire, une délégation de huit personnes est prête.

Le vendredi 26 mars 1971, Monseigneur Émile Biayenda est à la tête de cette délégation qui est reçue, à 13h 00, en audience par Son Excellence le Commandant Marien Ngouabi, Président de la République Populaire du Congo, le Commandant Marien Ngouabi. Celui-ci est seul durant l’entretien. A son cahier-journal, l’évêque note ce qu’ils ont dit au Président : « Nous sommes venus, en tant que responsables des 4 Églises existantes dans la République Populaire du Congo. Nous venons vous mettre au courant des choses que nous entendons ou des actions entreprises à notre endroit en tant que croyants.

Les réponses comme toujours ont été constructives, malheureusement la réalité et les actes ne les reflètent pas ».

La déception qu’exprime cette dernière réflexion ne va pas tarder à se vérifier. Le lendemain, avec monsieur l’Abbé Michel Thiriez, un fidei donum français, Monseigneur Biayenda se rend à Mpila pour demander au lieutenant Ondelé l’autorisation de reprendre le culte dans la chapelle de ce camp. Celui-ci s’y refuse tant que le demandeur n’apporte pas une note signée par le Commandant Joachim Yhombi. Au cours de l’après-midi, Monseigneur Biayenda arrive à joindre le Commandant Yhombi par téléphone. Celui-ci lui promet qu’il donnera l’ordre aux gardiens d’ouvrir la chapelle demain dimanche pour la messe.

Le dimanche matin, avec M. l’Abbé Thiriez, Monseigneur Biayenda se rend à Mpila, décidé d’y célébrer la messe lui-même. En y arrivant, ils constatent que la porte et la barrière sont couvertes par des drapeaux rouges, où l’on peut lire «  Abats les réactionnaires provocateurs des troubles  » et sur un autre «  Vive l’armée populaire, fer de lance de la Révolution  ». Que faire ? Le récit de la solution est de Monseigneur Biayenda : « Sans rien dire, ni nous arrêter, nous continuons notre chemin jusque chez le Commandant Yhombi au camp du 15 août. Il m’avait, en effet, répondu, la veille au téléphone, qu’il donnait ordre aux soldats de nous laisser accès libre à la chapelle pour le culte.

Nous sommes chez le Commandant ; l’un des enfants va l’en avertir. Il fait attendre. Sans doute a-t-il téléphoné, car dix minutes environ sont passées quand arrive une jeep où sont deux militaires. Ils nous saluent et nous invitent à aller à Mpila où la chapelle est libre d’accès. Ils prennent les devants et en route ? A l’arrivée, l’un des militaires dit à ses collègues d’ouvrir la chapelle et de laisser célébrer le culte « C’est l’ordre du Commandant en Chef » ; c’est-à-dire du Commandant Marien Ngouabi, Président de la République. Les drapeaux rouges avec slogans ont été enlevés avant notre arrivée.

On nettoie la chapelle, on installe l’autel. Deux sœurs africaines de Ouenzé sont là. La sainte messe peut, enfin, ce dimanche, s’y célébrer, en présence d’une cinquantaine de personnes : des enfants, quelques adultes femmes et trois soldats en tenue civile. Bien merci, Seigneur, pour les démarches qui ont ainsi tourné en notre faveur, pour votre gloire. » écrit monseigneur Biayenda dans son cahier journal.

Abbé Albert Nkoumbou
Extrait de son livre à paraître


 
 
 
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