Mgr Bienvenu MANAMIKa Archevêque de Brazzaville
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LA MÉMOIRE BIAYENDA


 
 
 
 

LA FAMILLE

Carême 1975

Il est de coutume chaque année, au temps du Carême, que votre Évêque s’adresse à vous, pour vous aider
à orienter ce temps de prières, de pénitence et de conversion dans le sens d’une plus grande fidélité à la
volonté de Dieu.
Je voudrais, cette année, aborder avec vous le problème de LA FAMILLE.

1 / - LA FAMILLE CONGOLAISE EN PLEINE ÉVOLUTION

Vous constatez comme moi, l’évolution profonde que subit actuellement la famille dans notre pays.

Les parents se plaignent : « Nos enfants nous échappent ...Ils n’écoutent plus personne ... Ils ne travaillent plus... ». Les cas de jeunes filles enceintes avant le mariage se multiplient, qui aboutissent souvent à des avortements et à des stérilités, quand ce n’est pas à des suicides. Les infidélités et les mésententes sont de plus en plus nombreuses dans les foyers, qui aboutissent au divorce, même après un mariage religieux.

Divorce dont les enfants sont les premières victimes : tiraillés entre des parents séparés et vivant dans l’insécurité. Abandonnés à eux-mêmes, quel foyer pourront-ils fonder plus tard. Tout cela s’accompagne d’une diminution du nombre des mariages religieux, par crainte de s’engager définitivement dans la situation du mariage que l’on sent instable et par manque de compréhension de la valeur du sacrement et des richesses qu’il apporte au foyer.

Cet ébranlement des valeurs familiales a ses causes dans l’évolution que subit notre société tout entière. La famille n’est plus groupée au village autour du « mbongui », où les anciens étaient les gardiens des traditions et où le mariage avait pour but essentiel la prolongation de la race. Les jeunes, de plus en plus nombreux, sont venus habiter en ville. Le lien avec le village où demeure la grande famille, sans disparaître pour autant, s’est quelque peu relâchée.

Le travail salarié et en particulier le travail salarié de la femme, l’accès des jeunes à la culture, qui se sentent de ce fait supérieurs à leurs parents, les voyages, les lectures, la radio, le cinéma qui apportent les exemples bons et mauvais des cultures étrangères… tout cela a profondément marqué la conception et le mode de vie de la famille, les relations entre conjoints, ainsi qu’entre parents et enfants. Même si au village se maintient la conception traditionnelle de la famille, celle-ci n’en est pas moins marquée par cette évolution.

Et pourtant la famille est et restera toujours la cellule de base de toute société. Ceux qui - à certains époques - l’ont oubliée, y sont vite revenus devant les conséquences graves de cette méconnaissance. Elle est et restera le lieu où se réalise et s’épanouit l’amour des conjoints, lequel aboutit au don de la vie et le lien où s’épanouira l’enfant dans l’affection et l’éducation de ses parents.

Il nous appartient de guider cette évolution et non la subir ; de sauvegarder les valeurs traditionnelles et de promouvoir celles qui étaient méconnues.

II / -LE PLAN DE DIEU SUR LA FAMILLE

Dieu qui a créé l’homme et qui veut que l’homme réussisse sa vie, peut, seul, nous dire comment celui-ci peut la réussir et pourquoi il a créé pour lui la famille.

La Bible, au livre de la Genèse, nous révèle la pensée de Dieu :

1) « DIEU CRÉA L’HOMME A SON IMAGE … IL LES CRÉA HOMME ET FEMME » (G,n 1, 27)

Dieu n’est pas un célibataire égoïste. Dieu est une famille, une famille où l’on s’aime, il est Trinité : Père, Fils et Esprit.

Jésus, que son père, à son Baptême, qualifie de « Fils bien-aimé » (Mat. 3, 17), nous révèle combien il aime son Père : « Il faut que le monde sache que j’aime mon père > » (Jn. 14, 31), dit-il au moment de donner sa vie pour le salut du monde. Et Saint Jean, dans sa première épître, nous dit que « Dieu est Amour » (1 Jn. 4,7) : au sein de la Trinité, le Père aime le Fils, le Fils aime le Père, et de cet Amour procède l’Esprit-Saint, qui est l’Amour vivant du Père et du Fils.

Et pourtant les Trois Personnes Divines, unies par leur Amour infini, ne sont qu’Un seul et même Dieu : « Moi et le Père, nous sommes Un > » (Jn. 10, 30). C’est à l’image de la Trinité « Mystère d’Amour » et « Mystère d’Unité » que Dieu a voulu créer l’homme : « famille ». Famille dans laquelle le père aime la mère, la mère aime le père, et cet amour qui les unit est tellement fort qu’il devient un être vivant : l’enfant, c’est l’amour vivant du père et de la mère. Si les parents aiment tellement leur enfant, c’est bien parce qu’il exprime, d’une manière vivante, l’amour qui les unit entre eux. Unité et fécondité, tels seront donc les 2 buts que Dieu fixe à la famille humaine, et la Bible nous l’exprime en ces termes :

« L’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un » (Genèse 2, 24) ;

« Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre », (Genèse 1, 28).

2)-« L’HOMME QUITTERA SON PÈRE ET SA MÈRE » (Genèse 2, 24)

Fonder une famille, c’est d’abord quitter une autre famille à laquelle on appartenait et qui nous a conduits à l’âge adulte, non pour nous garder égoïstement à son service, mais pour nous permettre de réaliser le plan de Dieu. Certes, on ne pourra jamais oublier ses parents, ni même ses frères et sœurs, et plus les membres de sa famille. Dieu l’a rappelé par Moïse dans ses Commandements : « Honore ton père et ta mère ... » (Exode 20,12). Mais le lien conjugal contracté par le mariage doit prévaloir sur le lien familial. Par le mariage, l’homme et la femme s’appartiennent d’abord l’un à l’autre et à leurs enfants, avant d’appartenir chacun à sa propre famille. Faute de quoi, l’amour est partagé, il n’est pas total, et le foyer est déjà menacé de division. C’est là un enseignement du Seigneur que nous oublions trop.

« IL S’ATTACHERA A SA FEMME, ET A DEUX ILS NE FERONT PLUS QU’UN » (Genèse 2, 24)

« Il s’attachera à sa femme » : l’amour ne peut être partagé entre plusieurs épouses, car l’amour tend à faire l’unité entre deux êtres. La polygamie n’a jamais été inscrite dans le plan de Dieu.

« A deux, ils ne feront plus qu’un » : rester deux tout en étant un, voilà bien la grande richesse de l’amour.

Il y a des foyers où l’on est « deux » mais on n’est plus « un » : chacun vit de son côté, sans dialogue ; chacun gagne et utilise son argent ; chacun a ses activités, ses amis ; chacun conserve bien sa personnalité, mais il n’y a plus d’unité.

Il y a par contre des foyers où l’on est « un », mais on n’est plus « deux ». Le mari commande et la femme obéit ; le mari ne demande jamais l’avis de son épouse, il décide tout par lui-même, et la femme n’a aucune initiative, elle reste comme un enfant qui ne devient jamais adulte. L’unité du foyer existe, mais il y a un des époux, qui pour ainsi dire, a disparu.

Il faut rester deux : accepter que l’autre soit différent, n’ait pas les mêmes goûts, les mêmes désirs, les mêmes manières de voir les choses ; respecter sa personnalité différente de celle de son conjoint.

Tout en étant un : de ces deux personnalités différentes par le sexe, l’éducation, le tempérament, il faut faire un unique foyer. C’est dans l’amour et par le dialogue que se fait cette unité : l’amour qui fait découvrir toutes les richesses de l’autre, toutes ses qualités, parce que dans la confiance, l’autre se révèle, livre ses secrets ; l’amour qui fait prendre conscience de la manière dont les deux époux peuvent se compléter l’un l’autre ; l’amour qui fait chercher le bonheur de l’autre, qui veut le faire grandir ; le dialogue qui, à partir de deux points de vue différents, aboutit à une idée commune qui dévient la pensée du foyer.

« Deux en un », nous retrouvons l’image de la Trinité : « Un seul Dieu en Trois Personnes ». « Trois » aussi dans le foyer puisqu’il y a l’enfant. Les Trois Personnes Divines sont différentes, mais il y a entre Elles une Unité totale. C’est à l’image de Dieu que les époux s’efforceront de réaliser l’unité de leur foyer dans l’amour. Bien plus leur amour qui les pousse à rester « deux tout en étant un », sera devant les hommes le signe, l’image de l’amour de Dieu. En regardant un foyer où les époux s’aiment profondément, on pourra comprendre quelque chose de l’amour de Dieu.

« SOYEZ FÉCONDS, MULTIPLIEZ-VOUS, REMPLISSES LA TERRE » (Genèse 1, 28)

Le résultat de cet amour qui unit les époux ce sera l’enfant. L’enfant est l’amour vivant du père et de la mère, de cet amour qui est tellement fort qu’il devient un être vivant ; de cet amour qui devra continuer à s’exprimer à travers toute l’éducation de l’enfant, à tel point qu’un enfant qui aura manqué d’affection, sera un enfant perturbé. C’est bien là le drame des enfants conçus hors mariage, ou des enfants dont les parents sont séparés ou divorcés. Conçus ou éduqués sans amour, se développant dans l’insécurité, ils risquent d’être des caractériels et des inadaptés sociaux. Ceux qui donnent la vie ne se rendent pas assez compte combien leurs actes engagent l’avenir de leurs enfants. Donner la vie, c’est s’engager à conduire dans l’amour d’un père et d’une mère celui que l’on a mis au monde jusqu’à ce qu’il soit capable de se diriger lui-même, c’est-à-dire jusqu’à l’âge adulte.

Le foyer doit être le lieu où s’épanouissent dans l’amour de leurs parents les enfants qui sont nés de ce même amour. Est donc condamnable la pensée de ceux qui disent : « Nous avons des enfants, mais nous n’avons pas fait le mariage religieux : nous pouvons donc nous séparer ». Non ! Vous avez donné la vie, vous vous êtes engagés par le fait même à élever vos enfants.

III/ - LE SACREMENT DE MARIAGE

Jésus ne fera que confirmer la pensée primitive de Dieu, exprimée dans la Bible : « N’avez-vous pas lu que le créateur, au commencement, les fit homme et femme et qu’il dit : c’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair » (Mt. 19,5) et il rappellera l’indissolubilité du mariage : «  Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni  » (Mt. 19, 6), montrant ainsi que cette indissolubilité remonte aux origines même de l’humanité, qu’elle fait partie de la nature même du Mariage : on ne s’aime vraiment que si c’est pour toujours. Si l’amour des époux est à l’image de celui de Dieu, il ne peut être que définitif, l’amour de Dieu est irréversible.

St. Paul donnera comme modèle de l’amour entre époux, l’Amour que le Christ a eu pour l’Église : « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église et s’est sacrifié pour Elle » (Éphésiens 5,25).

C’est d’un amour total, définitif et allant jusqu’au sacrifice, que le Christ a aimé son Église, tel doit être l’amour qui aime les époux chrétiens : image de l’amour du Christ pour son Église et image de l’Amour qui unit les Trois Personnes Divine au sein de la Trinité.

Comment s’étonner dans ces conditions, que le Christ ait voulu faire de cet Amour un Sacrement, source de grâce. Et qu’ainsi, par le sacrement du Mariage, cet amour ne soit plus seulement l’image, le signe de l’amour de Dieu, mais qu’il le réalise.

L’échange sacramentel des consentements entre les époux devient donc source de grâce, c’est-à-dire, de vie divine, comme le seront tous les actes d’amour de leur vie conjugale. Chaque fois que les époux se donneront l’un à l’autre, c’est l’amour même de Dieu, c’est-à-dire la Vie divine, qu’ils se communiqueront. En s’aimant, ils se donneront Dieu l’un à l’autre. Tous les actes du foyer - aussi simples soient-ils - accomplis par amour, font des époux chrétiens davantage des fils et des filles de Dieu. Combien d’époux pourtant chrétiens, en retardant ou simplement en négligeant le Sacrement de Mariage, se privent ainsi d’une source aussi riche de vie divine ! Ces foyers voudraient recevoir le Christ dans l’Eucharistie, mais ils se privent de Dieu qui leur serait donné par le Sacrement de Mariage.

Pour vivre d’un amour qui soit à l’image de l’Amour même de Dieu, il faut aux époux une véritable conversion. Il ne suffit pas de se « mettre en règle » en venant à l’église recevoir un sacrement, il faut changer sa manière de se comporter. Aimer son conjoint comme le Christ nous aime, c’est partager avec lui, dialoguer, décider ensemble, se confier l’un à l’autre, se comprendre, se respecter et chercher le bonheur l’un de l’autre ; vivre dans une parfaite fidélité, et au besoin même se pardonner. Tout cela s’apprend, tout comme l’éducation des enfants. Préparer son mariage, c’est donc s’entraîner un peu à la fois à aimer comme le Christ nous a aimés ; c’est changer sa manière de concevoir et de vivre sa vie conjugale.

IV / - COMMENT VIVRE LE PLAN DE DIEU AUJOURD’HUI

De ce rappel que je viens de faire sur la pensée de Dieu au sujet de la famille et du mariage, je voudrais maintenant tirer quelques applications pratiques.

Je vous ai déjà parlé longuement de l’éducation des enfants (Lettre Pastorale du Carême 1973) et Mgr MBEMBA vous avait parlé en 1971 de la condition des veuves, je ne reviendrai pas sur ces points, mais il y a d’autres problèmes qui, aujourd’hui, se posent à la conscience.

1) LIBERTÉ DU CHOIX DES ÉPOUX

Autrefois, la coutume voulait que les parents choisissent le conjoint qu’ils donneraient à leur enfant. Ils choisissaient d’abord la famille dans laquelle ils allaient faire l’union et, après entente entre les deux familles, les jeunes étaient unis. Ceux-ci, confiants qu’ils étaient dans la valeur du choix de leurs parents, acceptaient leur décision.

Aujourd’hui, la tendance serait inversée, les jeunes prétendent se choisir librement, récusant le plus souvent les conseils de leurs parents : « On est libre, disent-ils, de choisir qui on veut pourvu que le cœur y soit ».

Force nous est de constater que les mariages engagés de cette manière sont souvent moins solides que les premiers. Pourquoi ?

C’est que l’amour est souvent aveugle, on ne voit que les qualités de celui qu’on aime. « Puisqu’on s’aime, tout ira bien », pense-t-on. Mais un peu à la fois, les défauts apparaissent, les difficultés de compréhension se font jour ; et l’amour des premiers jours, qui n’a pas toujours été entretenu, ne parvient pas à les surmonter.

Aux jeunes, je dirai donc : « Écoutez vos parents, ils ont l’expérience que vous n’avez pas, ils vous aiment et vous connaissent bien. Oui, vous devez être. Oui, vous devez vous marier dans l’amour, mais écouter aussi la voix de la raison, car l’amour est souvent aveugle ».

Aux parents, je dirai : « Ne démissionnez pas, c’est important les conseils que vous pouvez donner à vos enfants, mais respecter leur liberté, et surtout soyez désintéressés, cherchez vraiment le bonheur de vos enfants. Dieu vous les a confiés pour les aider à devenir à leur tour des pères et mères de famille ; vous ne devez pas chercher à profiter d’eux ».

2) LE DIALOGUE

Beaucoup de difficultés seraient épargnées aux foyers si les époux avaient l’habitude de dialoguer. Malheureusement le plus souvent ce dialogue n’existe pas.

L’épouse ignore ce que fait son mari où il est parti, quand il rentrera, qui a rencontré, ce qu’il a fait. Certaines ne savent même pas où travaille leur mari, quelle est sa profession, à plus forte raison ce qu’il gagne et ce qu’il fait de l’argent. Heureuse est-elle quand elle reçoit assez d’argent pour les achats du ménage. Le mari prend lui-même les décisions qui concernent le foyer, sans en parler à son épouse. Celle-ci, dans ces conditions, ne se sent pas considérée, pas aimée, et elle en souffre profondément. Ignorant ce que fait son mari, elle imagine toutes sortes de choses, en arrivant vite à le soupçonner. Réciproquement, la femme ne parlera plus à son mari, elle s’organisera de son côté avec sa famille, préparant un peu à la fois la rupture du foyer.

A la base de ce manque de dialogue, il y a un manque de confiance : le conjoint qui a révélé à sa famille certains secrets du foyer, la femme qui ne se sent pas en sécurité chez son mari et se demande si un jour elle ne sera pas renvoyée, les interventions abusives de la famille dans le foyer, qui sèment la division, ou la parenté qui réclame de l’argent. On a vu des foyers qui ont commencé leur vie conjugale par un généreux dialogue, mettant tout en commun et qui, un peu à la fois, ont cessé de tout dire, de mettre en commun ce qu’ils gagent et ont vécu comme deux êtres séparés sous le même toit. Ils n’étaient plus « un ».

Et pourtant, qui d’entre vous ne désire avoir un véritable « ami ». Un ami à qui l’on peut ouvrir son cœur, dire ses secrets, ses difficultés, qui vous comprend, qui ne vous juge pas, mais qui cherche à vous aider, en qui on a pleinement confiance, parce qu’on sait qu’il ne vous trahira pas. Un tel ami, on ne voudrait jamais le quitter, on voudrait toujours vivre avec lui. Alors je vous le demande : Votre conjoint est-il pour vous cet ami ?

Une telle amitié, qui doit régner dans tous les foyers suppose beaucoup d’humilité : ne pas se croire supérieur à son conjoint, accepter qu’il puisse aussi avoir des idées valables, qu’il puisse avoir raison. Elle suppose une volonté d’arriver à une position commune sur tous les points qui touchent la vie du foyer. Elle suppose le respect de l’autre pour le prendre tel qu’il est avec ses qualités et ses défauts : devenir « un » en restant « deux ».

Cette amitié suppose aussi le souci de faire grandir l’autre, de le faire progresser, de l’aider à développer ses qualités, à parfaire sa formation. Dans cet ordre d’idée je ne saurais trop encourager la participation à tous les moyens de formation : centres sociaux, P.M.I., cours du soir et qui permettront aux époux de se valoriser.

Si l’on découvre chez son conjoint un défaut, on l’aidera à le dominer au lieu de se contenter de le lui reprocher ; cela demandera beaucoup d’humilité pour celui qui doit reconnaître ses torts, et beaucoup de patience et d’amour, car on ne se transforme pas en un instant.

L’amitié, ce sera enfin pardonner : « on ne s’aime vraiment que lorsqu’on a eu à se pardonner ». L’amour de Dieu pour l’homme ne s’est-il pas manifesté essentiellement dans le pardon qu’il lui a accordé ? Pardonner, c’est oublier la faute, retrouver l’amitié comme si la faute n’avait jamais eu lieu. C’est aussi se sentir solidaire de la faute de l’autre : « il ne serait peut-être pas tombé si je l’avais aidé plus, si je l’avais plus aimé ». Alors nous portons ensemble les conséquences de la faute dont nous nous sentons tous les deux responsables, et ensemble nous nous efforçons de la réparer et de remonter la pente.

Faut-il ajouter que le dialogue ne doit pas se réaliser seulement entre les époux, mais qu’il doit aussi se faire avec les enfants ? Quand ils seront petits, à cet âge de découverte, il s’agira surtout de répondre à leurs questions sans éluder la vérité. Mais en grandissant, ils ont besoin de trouver dans leurs parents des conseillers qui respectent leur personnalité naissante, qui les comprennent et dont ils se sentent aimés.

Mais comment ce dialogue avec l’épouse et cette éducation des enfants qui grandissent, peuvent-ils se faire si le père est toujours absent de la maison ? Les enfants ont besoin de la présence de leur père, tout autant que de celle de leur mère. Que le père de famille n’ait pas honte de jouer avec ses enfants, de s’intéresser à leurs problèmes ; qu’il n’ait pas honte non plus d’aider sa femme dans les travaux du ménage. Comment les enfants pourront-ils refuser d’aller puiser l’eau ou de laver les assiettes s’ils ont vu le papa le faire lorsque la maman était fatiguée ?

3) LA FAMILLE

Un des gros obstacles au dialogue, provient de la situation qui est faite à la femme et même au mari par leurs proches parents.

Dans son foyer bien souvent, la femme ne se sent pas libre, elle se sent comme une étrangère dans la maison du mari. La famille du mari ne perdra pas une occasion, de le lui faire sentir : « tous ces biens, ce n’est pas à toi, quand ton mari ne sera plus là, on viendra tout prendre ». La femme subit, mais si le mari ne parvient pas à mettre de l’ordre vis-à-vis de sa famille, après 10 ou 15 ans d’épreuve, ne sera-t-elle pas tentée de divorcer.

Si elle a eu 2 ou 3 enfants avec son mai, elle se retrouvera parfois avec 10 ou 12 personnes à nourrir : frères, neveux ou cousins, et il faudra parfois aussi les habiller et payer leurs études. Le mari, s’il a un salaire, dira qu’il ne peut donner plus pour la nourriture, car ses sœurs viennent lui réclamer des pagnes et sa famille lui demander sans cesse de l’argent.

Si hélas, le mari vient à disparaître, sa famille vient prendre sa case et tous ses biens. La femme est jetée dehors, dépouillée de tout avec ses enfants, même si elle a contribué à la construction de la case et à la l’acquisition des biens du foyer. Si la femme se plaint de toute cette situation, on l’accuse d’être contre sa belle-famille, d’entêter son mari, de vouloir accaparer les biens de son mari pour ses propres enfants et de le pousser à délaisser les enfants de sa famille. Alors on la menace ... et la pauvre femme, sans moyen de défense, si elle n’est pas soutenue par son mari, capitule devant les exigences de la famille. N’a-t-on pas vu une veuve à qui pourtant la famille avait donné la succession de son défunt mari, venir remettre quelques temps après l’argent et tous les biens, en disant : « depuis que j’ai cet argent et ces biens, je me sens malade, c’est parce que j’ai pris ce qui vous revenait ». Tant est forte la force de la coutume et la peur de la sorcellerie.

Le mari d’ailleurs n’échappe pas non plus à cette insécurité et à ces pressions de la famille. S’il tarde à payer la dot, il sera menacé lui-aussi. S’il n’aide pas assez sa famille ou si la femme ne plaît plus à la belle-famille et qu’il refuse de la renvoyer, ce seront toujours les mêmes menaces qui pèseront sur lui.

Mais le plus souvent les menaces sont pour la femme, et c’est elle qui se sent étrangère dans le foyer de son mari.

Comment s’étonner alors qu’entre mari et femme, le dialogue soit difficile, qu’il n’y ait pas de confiance, pas d’assurance pour l’avenir et que chacun soit tenté d’organiser sa vie et son côté ! La femme se sentant irresponsable dans un foyer où elle n’est pas chez elle, se désintéressera de la vie de la famille et n’y prendra aucune responsabilité.

Comment s’étonner également que dans le cas où la femme gagne un salaire, elle se refuse à le partager avec le mari et à participer aux dépenses du foyer, préférant remettre tout ou une partie de ce salaire à sa famille, qui l’accueillera le jour où son mari viendra à disparaître. Salaire d’ailleurs que sa famille saura bien réclamer en disant : « on t’a élevée, on a souffert pour toi... S’il te renvoie, tu seras bien contente de nous trouver ». Sans sécurité dans son foyer, la femme cherchera donc à assurer elle-même et avec sa famille sa propre sécurité. Elle s’achètera une parcelle sans le dire au mari ; construira sa case, et le jour où une petite difficulté surgira avec le mari, elle sera toute prête à lui dire : “ Tu peux me renvoyer, j’ai ma case et j’ai mon salaire ; je peux me débrouiller sans toi ». Qui ne voit qu’une telle situation favorise le divorce ?

Comment s’étonner que des jeunes époux qui s’aiment et veulent rester unis, aient tendance à prendre leurs distances et à chercher à aller vivre loin de leur famille !

Pourtant, si ce problème présente de graves inconvénients, il contient aussi des valeurs qu’il ne faudrait pas perdre. En particulier : il n’y a pas d’enfant abandonné : un enfant qui n’a pas à manger chez ses parents, en trouvera toujours chez un oncle ou chez un cousin. Une certaine redistribution des richesses s’effectue à travers la famille : celui qui gagne plus aidant celui qui gagne moins. Mais ce système ne favorise-t-il pas aussi la paresse et le parasitisme de celui qui ne veut pas faire effort pour travailler et vit aux dépens d’un frère ou d’un cousin ?

Cette prédominance de la famille sur le foyer est contraire au plan de Dieu, comme nous l’avons rappelé plus haut : «  L’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et ils feront à deux un seul être  » (Gn. 2, 24) ; «  Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni  » (Mt. 19, 6).

Que les parents comprennent aussi qu’il y a d’autres valeurs dans le foyer que la procréation et la continuité de la lignée. Que l’amour des époux, lequel s’exprime à travers leur union et à travers toute leur vie conjugale, que leur épanouissement, que l’éducation des enfants sont aussi des valeurs qu’il faut respecter et dont les époux eux-mêmes sont les premiers responsables. Qu’ils comprennent que le père et la mère se perpétuent à travers eux et qu’après la mort de l’un ou l’autre parent, leurs biens doivent revenir au conjoint qui reste et aux enfants, et qu’il est indigne de fils de Dieu, de traiter, comme cela se fait trop souvent, la veuve et les enfants du défunt.

Certes, il est souhaitable que l’État légifère sur ces points et en particulier sur le problème de la succession ; qu’il fasse en sorte que la veuve et les enfants soient respectés dans leurs droits. Et que ceux qui ont pris conscience de cette exigence de justice et qui s’efforcent de la mettre en pratique, soient soutenus par la Loi.

Mais les meilleurs lois risquent de demeurer lettre morte, si elles ne sont pas accompagnées d’un changement des cœurs. Il faut de bonnes lois, mais il faut aussi de bonnes gens pour les appliquer.

Que les chrétiens prennent donc position quand ces problèmes se posent dans leur propre famille. Le frère est-il décédé ? : « Je refuse de prendre ce qui lui appartenait, cela revient à la veuve et aux enfants, et je n’accepterai pas que la veuve soit maltraitée et humiliée ».

Une nièce se marie-t-elle ? : « Je n’accepterai qu’une dot symbolique. Pour la cérémonie, je n’accepterai pas que beaucoup d’argent soit dépensé, cela endetterait ce jeune foyer qui commence sa vie conjugale ».

Un neveu m’est-il confié ? : « Je l’élèverai comme mes propres enfants »...

C’est par des exemples de ce genre, qu’un peu à la fois, la mentalité changera, et alors les lois pourront être appliquées, bien plus, elles seront souhaitées par tous.

4) FOYERS SANS ENFANT

S’il est un problème particulièrement pénible, c’est bien celui des foyers sans enfant. Ils portent lourdement dans leur chair et dans leur amour la Croix du Christ. Il est certain que si le seul but du mariage était de donner la vie, ces foyers ne pourraient tenir. Mais le témoignage de vieux foyers qui ont vécu toute leur vie sans enfant, dans une fidélité réciproque, nous montre - si cela était nécessaire - qu’il y a aussi dans un foyer d’autres valeurs que l’enfant.

L’enfant, nous l’avons dit, est la conséquence, l’aboutissement de l’amour des parents, il n’en est pas le point de départ. Il est un élément important dans la vie du foyer, il n’est pas le seul. Que deviendrait l’enfant si les parents ne s’aimaient pas ?

Que ces foyers sachent que ce n’est pas une honte de ne pas avoir d’enfant, que ce n’est pas un péché ; qu’ils ne sont pas maudits.

Que les familles acceptent cette situation douloureuse, sans chercher à détruire ce foyer qui, par ailleurs, peut être très riche d’amour. Qu’elles n’invoquent pas les fétiches ou les malédictions pour justifier cette épreuve. Qu’elles ne cherchent pas à imposer une deuxième femme qui briserait l’unité et l’amour de ce foyer.

Que ces foyers surtout se rappellent qu’il y a d’autres manières par lesquelles leur amour peut être fécond. S’ils ne peuvent aimer et élever leurs propres enfants, ils pourront peut-être élever ou contribuer à l’éducation d’autres enfants, soit en les adoptants, parce que leurs parents seraient déficients, soit en se consacrant à travers des parrainages, des organisations ou des œuvres à toutes les formes d’éducation. Leur amour sera également fécond par le témoignage et l’aide qu’ils pourront apporter aux autres foyers. Il y a une fécondité spirituelle qui n’est pas moins riche que la fécondité humaine.

Qu’ils n’oublient pas surtout que leur amour, signe efficace de l’Amour de Dieu, est porteur de grâce et qu’en se donnant l’un à l’autre, la grâce de Dieu par l’échange de leur amour, ils se placent au niveau même de la fécondité de Dieu.

V / - CONCLUSION

Je ne saurais trop encourager les foyers chrétiens, à participer à tout ce qui se fait pour les aider à mieux comprendre et à mieux vivre leur vie conjugale. Au sein des groupes de foyers, ils découvrent toutes les richesses du mariage et s’entraident à les vivre, cherchant ensemble des solutions à leurs problèmes. Les foyers exercent ainsi les uns sur les autres une véritable action éducative.

Je me réjouis également et j’encourage tout ce qui se fait pour préparer au mariage les jeunes qui vont commencer leur vie conjugale. Il ne suffit pas de leur donner une information sur le Sacrement de Mariage. C’est toute leur vie conjugale qui doit être imprégnée de l’esprit de l’Évangile. Cette tâche d’éducation convient particulièrement à des foyers chrétiens. Au cours de réunions ou par des contacts personnels, ces foyers pourront aborder avec ceux qui préparent leur mariage, tous les problèmes de la vie conjugale et de l’éducation des enfants.

Cette éducation ne doit d’ailleurs pas commencer à la veille du mariage. Les parents doivent préparer leurs enfants à toutes les réalités de la vie. Ils doivent commencer très tôt en répondant simplement, mais clairement, aux questions de l’enfant. Ils doivent poursuivre cette éducation jusqu’au moment du mariage. Trop de parents négligent cette éducation et s’étonnent ensuite des conséquences qui en découlent.

Certes, je me réjouis de ce que, dans les cours d’enseignement religieux, comme dans les écoles, on se préoccupe de ce problème compte tenu surtout de la carence de beaucoup de parents. Mais encore, faut-il qu’il s’agisse d’une véritable éducation et non d’une simple information. Il s’agit d’apprendre à des jeunes ce qu’est un véritable amour, le sens et la grandeur du don de la vie, de la découverte et de la relation à l’autre. Encore une fois, qui mieux que des parents éclairés, vivant intensément ces réalités - sont plus qualifiés pour donner cette éducation ?

Enfin, que les époux ne cessent pas, au cours de leur vie conjugale de parfaire leur formation. Les cours de ménagers, les cours de couture, les cours de soins aux enfants, sont autant de moyens d’améliorer la vie du foyer et de devenir capables de donner aux enfants une meilleure éducation et une meilleure santé.

Que de maladies et même que de décès seraient évités, si les mamans apprenaient à mieux soigner leurs enfants !

En cette Année Sainte. Année de la Réconciliation, je prie le Seigneur qu’il garde vos foyers dans la paix et l’unité de Son Amour.

+ Émile, Cardinal BIAYENDA, Archevêque de Brazzaville,
Brazzaville, le 12 Février 1975

 


 
 
 
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