jeudi 21 novembre 2024
Il y a 53 ans que les paroissiens de St Jean Marie Vianney de Mouléké étaient surpris de voir arriver dans son enceinte, un groupe de gendarmes. Ceux-ci rentrent au presbytère et perquisitionnent la chambre de M. l’Abbé Émile. Prêtres et fidèles pensent que c’est un rebondissement de l’affaire des poules volées. Le Curé s’est mis longuement à leur expliquer cette affaire, eux ont bien fouillé la maison cherchant on ne sait quoi. Puis, de fouille lasse et bredouille, ils repartirent avec le jeune abbé Émile Biayenda. Sa détention en prison durera 44 jours. Au troisième anniversaire en 1968, il relate ces tristes événements dans un document intitulé « Anniversaire », depuis la ville de Lyon en France alors qu’il est étudiant.
Le mardi 9 février 1965, les forces de l’ordre reviennent et arrêtent M. l’Abbé Émile Biayenda. Des chrétiens tiennent compagnie au Père Rameaux jusqu’au soir. Puis, ils y passent la nuit. Comme M. l’Abbé Émile n’est pas toujours de retour le lendemain, une délégation de chrétiens se rend là où il était détenu. Monsieur Ernest Matente s’en souvient : « Nous sommes allés le visiter en prison après la messe paroissiale. Il n’était pas du tout fâché et ne se plaignait pas outre mesure. Cependant, on sentait qu’il était assez épuisé, certainement par la torture. Il nous disait seulement qu’il était innocent et qu’il fallait prier pour le pays ».
Pendant ce temps, dans les familles de la paroisse, la désolation est grande et partagée par tous les âges. Madame Esther Miayoukou Bassinga, d’heureuse mémoire, petite fille de la famille qui vivait en face de la paroisse, nous raconte : « Quand il fut arrêté et emprisonné, ce fut un véritable choc pour notre famille et pour toute la paroisse. Papa et maman en furent très affectés et nous avec eux. À la maison, nous avions organisé une sorte de veillée de prière. Nous avions une photo du Saint Curé d’Ars, Jean-Marie Vianney, tenant un panier. M. l’Abbé Émile nous l’avait donnée et nous trouvions que notre Curé était comme ce Curé d’Ars. Nous avions prié et pleuré contre l’arrestation de notre prêtre ».
Les autorités politiques attribuent un pouvoir dangereux, pour le régime en place, aux adeptes de la Légion de Marie dont M. l’Abbé Émile Biayenda est directeur spirituel et aumônier national. Il est accusé d’avoir distribué des tracts contre le Président Alphonse Massamba-Débat et son régime politique.
La situation est grave, l’Archevêque de Brazzaville, Mgr Théophile Mbemba multiplie les démarches pour obtenir la libération des hommes d’Église emprisonnés. Il engage surtout les chrétiens à la prière incessante.
Le dimanche 21 février 1965, dans sa lettre circulaire adressée au clergé et aux fidèles de son diocèse, et qui a été lue dans toutes les églises, Mgr Théophile Mbemba demande que dans chaque paroisse soient organisées des veillées de prières pour implorer le Seigneur de faire régner la Paix dans le pays. Dans cette lettre on peut lire ceci : « Notre cher Congo est en train de traverser des jours d’épreuves. Épreuves pour l’Église du Christ, qui connaît, en ces jours, des souffrances qu’elle n’avait jamais encore endurées depuis sa fondation au Congo ».
Monsieur l’Abbé Émile Biayenda, Curé de la paroisse St Jean-Marie Vianney et Aumônier de la Légion de Marie, est arrêté le matin du mardi 9 février 1965, en même temps que le Père Robyr, un missionnaire du Saint Esprit de nationalité suisse.
Entre temps, M. Albert Baby écroué, pour on ne sait quelle raison, a affirmé à des agents de l’ordre qu’il peut trouver un témoin capable d’apporter des éléments significatifs au dossier de M. l’Abbé Émile Biayenda. Un dimanche soir, habillé en policier, en compagnie d’autres agents de l’ordre, à bord d’une voiture Renault 4L blanche, il vient faire arrêter le jeune Antoine Makela, âgé de 9 ans, dans la Rue Itoumbi, à minuit. Il est écroué au Commissariat central, interrogé longuement sur ses liens politiques présumés avec M. l’Abbé Émile Biayenda, menacé, brutalisé, et soumis à plusieurs scènes d’intimidation, comme par exemple, lui poser un pistolet sur la poitrine, la balle engagée.
Il ne résiste pas longtemps à ce traitement, il cède et avoue comme vraie le faux témoignage dont il devait être l’auteur : « Oui !, je connais M. l’Abbé Émile Biayenda, je sers d’intermédiaire pour apporter ses tracts contre Massamba-Débat à ses complices ». En récompense, il lui est donné de voir dans une salle de torture quelques prisonniers. Il y reconnaît M. l’Abbé Émile et le chef coutumier Samba. Il est relâché à la fi n de la semaine, un samedi vers 14h30, et remis à son frère aîné Donatien Loumouamou.
Le jeune Antoine Makela, de confession religieuse protestante, originaire de Vinza, s’exprimait en langue sundi-laadi, de façon fort belle, pendant qu’il venait jouer au football à la paroisse. Le Curé de St Jean-Marie Vianney, ayant remarqué l’accent original du garçon, le rattrapait et le faisait parler par amusement. M. Albert Baby le savait.
Trois mois plus tard, le jeune Antoine Makela sera encore arrêté par des agents de la Défense civile, durant une partie de football avec ses copains. Il sera amené de l’autre côté de la rivière Djoué, promené dans les salles de torture, surtout à « la piscine », et mis en état d’attente du dernier voyage. Il aura la vie sauve grâce à un certain Ange Diawara, qui viendra donner l’ordre aux bourreaux de ne plus le toucher… Trois ou quatre mois plus tard, à la Cour des mineurs, alors qu’un avocat lui est affecté, il déclarera au Procureur qu’il avait été obligé de témoigner contre l’Abbé Émile Biayenda par excès de brutalité des bourreaux.
Il déclara également tout ce qu’il avait vécu et vu d’horrible à la prison Makala-OMS.
Le procès-verbal signé, il sera relâché pour toujours et le dossier classé. C’est ce jour-là, qu’il entendra M. Albert Baby déclarer aux juges : « J’ai été contre l’Abbé Émile, à cause de sa trop grande discipline à la paroisse de Mouleke, où il m’a bastonné. Le petit Makela est le cadet d’une jeune femme que j’ai voulu épouser et que sa famille m’a refusé ».
En 1975, le Cardinal Émile Biayenda, fera chercher le jeune Antoine Makela, élève en classe de seconde au Lycée Drapeau Rouge (Chaminade) ; il le recevra avec son frère Donatien Loumouamou, à la résidence épiscopale. Après un échange franc et des conseils, il lui donnera l’absolution pour son faux témoignage et la bénédiction pour qu’il soit pieux et en paix. C’est ainsi qu’il osé nous livrer ce témoignage en 2000.
Cette parenthèse narrative nous a encore fait demeurer en prison le bon Curé de St Jean-Marie Vianney de Mouleke. Il convient d’y revenir maintenant.
M. l’Abbé Émile Biayenda reste en prison jusqu’au mardi 24 mars 1965, soit 44 jours d’incarcération. Le séjour aux enfers commence au Commissariat central, non loin de l’Hôtel de ville (Mairie).
Voici les principales tortures subies :
Mercredi 10 février, nuit de tortures à la balançoire ;
Vendredi 12, nuit de tortures, noyade (enfermé dans un sac à arachides) ;
Samedi 13, torture par courant électrique ;
Dimanche 21, torture par courant électrique.
Samedi 27 février, il est monté à la Maison d’arrêt et le dimanche 28, il participe pour la première fois, depuis son arrestation, à une messe.
Au troisième anniversaire de ces tristes événements, alors qu’il est étudiant à Lyon, il écrit : « On nous envoya un mandat de dépôt à la Maison d’arrêt. Là, aucune brutalité. Je logeais à l’infirmerie et le Père Robyr avec d’autres détenus également. Le lendemain, dimanche 28 février 1965, l’abbé Cyrille Yengo, aumônier de la prison vint pour la sainte Messe. Jamais plus dans ma vie, je n’assisterai avec tant d’émotion et de paix intérieure, de réconfort, de don de soi tout entier au Christ qu’à cette messe-là. Je pleurais presque durant toute la cérémonie. On lit les textes de prières prescrits par l’Évêque et que l’on récitait depuis le 9 février dans toutes les églises pour la paix. Je communiais pour la première fois depuis la dernière messe du mardi 9 février 1965. Ce fut avec beaucoup de foi et de ferveur ».
Le mercredi 3 mars, « Mercredi des Cendres », une messe d’action de grâces est célébrée en prison. Le curé de St Jean-Marie Vianney ne sera plus torturé, mais il reste en prison. Il faut attendre le mercredi 24 mars 1965, à 11h30, pour qu’il retrouve la liberté. Il est très atteint, affaibli dans sa chair, mais non pas dans sa foi chrétienne et sa vie de témoin de Jésus-Christ.
Aucune rancune dans son cœur, seulement de la gratitude envers la volonté de Dieu. Dans sa lettre à Geneviève (d’Europe), il écrit : « Ce qui m’est arrivé avec un autre collègue dans le sacerdoce du 9 février au 24 mars 1965, j’espère que cela vous est tombé sous les yeux en parcourant les journaux. Je n’en dirai rien ici. Remercions seulement le Seigneur, dont la volonté a fait que depuis le 24 mars nous sommes de nouveau en liberté. Dans les épreuves le Seigneur continue son travail ».
Abbé Albert Nkoumbou
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