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LA MÉMOIRE BIAYENDA


 
 
 
 

« Notre Ami, Émile Biayenda était un prêtre très pieux, d’une très grande spiritualité, à l’âme missionnaire, généreux »

Témoignage de M. Gilbert Blardone

Gilbert Blardone, âgé aujourd’hui de 96 ans est le Directeur Émérite de l’Institut de Sciences Sociales Appliquées (ISSA) de l’Université Catholique de Lyon où le jeune abbé Émile Biayenda a étudié. Gilbert Blardone, à l’époque Directeur d’études et ami du Cardinal Émile Biayenda a tenu nous envoyer son témoignage sur ce dernier.

Puisque vous vous intéressez à la vie, à la mort martyr le 22 mars 1977, et à la Béatification de mon Ami, Émile, Cardinal Biayenda. Si vous me permettez que je vous appelle : Chers Amis : Le très beau livre d’Adolphe Tsiakaka, lui aussi originaire du Congo Brazzaville, vous dit tout sur la vie, l’œuvre et la mort martyr du Cardinal Émile Biayenda. Je me contenterai donc aujourd’hui, avec vous, de rappeler quelques moments vécus avec Émile à Lyon L’arrivée et les études à Lyon.

M. Gilbert Blardone

Je vis arriver pour préparer une licence en théologie et un doctorat de sociologie, plus précisément de sciences sociales appliquées, un prêtre de 38 ans. Il venait du Congo Brazzaville recommandé par son archevêque Mgr Théophile Mbemba qui me signalait son mauvais état de santé dû à des tortures subies à Brazzaville et son désir de poursuivre ses études de théologie et de sociologie. Pendant plusieurs années, Émile a souffert de violents maux de tête qui ne l’ont pourtant pas empêché d’étudier et de réussir, suite à des mauvais traitements subis.

Durant quatre ans de 1965 à 1969, l’abbé Biayenda fut un étudiant d’un sérieux exemplaire intéressé par tout ce qu’il apprenait, la théologie, mais aussi la philosophie, la sociologie, l’économie, les sciences politiques… Il aimait particulièrement, dans toutes ces matières, ce qui pouvait lui être utile pour son apostolat futur. Comme directeur de l’Institut de Sciences Sociales Appliquées (ISSA) de l’Université Catholique de Lyon, je l’ai suivi personnellement et lui ai enseigné l’économie, notamment, internationale et du développement, ce qui le passionnait. Il comprit tout de suite qu’un pays ne pouvait se développer de nos jours que si tous ses acteurs, et notamment ceux qui constituaient son peuple, se sentaient concernés par l’activité économique, les relations sociales et en bénéficient. C’est pourquoi, chaque paroisse, communauté active, a son rôle à jouer dans le développement d’un pays. Que ce soit en Europe, en France ou au Congo.

C’est cette vision d’une économie par le peuple et pour les besoins du peuple qui éclairera sa thèse de Doctorat en Sciences Sociales «  Coutume et développement chez les Bakongo du Congo-Brazzaville  ».

Comme étudiant tous ses professeurs étaient unanimes : Émile Biayenda, un étudiant sympathique, au sourire accueillant, prêt à collaborer avec les autres, s’ils le souhaitent. Un étudiant sérieux, aimé de ses professeurs, respecté par ses condisciples, totalement consacré à ses études, avide de connaissances, mais d’une extraordinaire simplicité ce qui, dans ses rapports aux autres, faisait son charme ; un prêtre très pieux, d’une très grande spiritualité, à l’âme missionnaire, généreux. Le dimanche, il participait à la vie d’une paroisse lyonnaise.

Tel était l’homme et le prêtre que nous avons connus à Lyon et aimés fraternellement, nous ses professeurs.

À son archevêque, j’écrivais « Émile Biayenda se consacre entièrement à ses études. Il est sérieux et brillant à la fois. C’est un homme d’une extrême douceur et d’une très grande gentillesse avec tous ». Seule sa discrétion égale sa foi ! Pieux, il vivait vraiment comme St François d’Assise dans la pauvreté, la simplicité, l’étude et la prière (cité dans Émile Biayenda grandeur d’un humble par Adolphe Tsiakaka. L’abbé Émile à Lyon pp. 86-92 (Éditions du Signe).

Pour terminer ce témoignage sur Émile Biayenda à Lyon, je rappellerai trois faits particulièrement significatifs de la personnalité d’Émile Biayenda et les circonstances de sa mort.

Émile Biayenda et la soutane

Après mai 1968, à la maison St Jean qui accueillait les prêtres et séminaristes étudiants, Émile ne se séparait jamais de sa soutane, ni à la maison, ni à l’extérieur.

Une vieille soutane élimée. Ses condisciples, pour être dans l’air du temps et paraître révolutionnaires avaient jeté leurs soutanes aux orties, échangée contre un habit de clergyman ou de laïc. Ils se moquèrent méchamment de la soutane d’Émile. Émile ne s’y attendait pas et vint me trouver pour avoir mon avis en me disant « je ne peux pas la quitter, c’est pour elle que j’ai été torturé et, de toute façon, je ne suis pas assez riche pour me payer un habit de clergyman ».

Directeur de l’ISSA, ceux qui me connaissent ne seront pas étonnés de ma réaction. Évidemment, je félicitai Émile pour son courage et son attachement à sa vieille soutane. Je lui ai dit qu’elle lui allait très bien. Au repas suivant à maison St Jean, je rappelais aux prêtres étudiants ce que signifiait la soutane d’Émile et les tortures qu’il avait endurées à cause d’elle J’exigeais des excuses. Émile était si discret que ses condisciples ignoraient, pour la plupart, les tortures subies. Étonnés et contrits, ils s’excusèrent, lui firent fête et l’adoptèrent. Émile ému les remercia simplement Il ne quitta jamais sa vieille soutane.

L’archevêque et le match Brésil–Italie

Quelques temps après son ordination épiscopale, à Rome le 1er mai 1970, Mgr Émile Biayenda, archevêque coadjuteur de Brazzaville, revient en France et à Lyon. Ma femme et moi l’accueillons et l’invitons à diner dans l’espoir de passer une soirée avec lui.

Dans son cahier-journal du 21 juin 1970, il écrira « Une occasion de grâce s’offre à moi, quand M. Blardone, mon ancien directeur de doctorat en sciences sociales, vient me chercher. On soupe chez lui pendant que se joue la coupe du Monde Italie-Brésil. Le second gagne par 4 buts à 1. On parle ensemble jusqu’à minuit. Pour tout, merci Seigneur ». Ce soir-là, Émile laissa place à son caractère joyeux, amateur de sport, particulièrement de football. Il se sentait en famille avec ma femme, documentaliste, qui avait guidé ses recherches au Centre Croissance des Jeunes Nations que nous avions ouvert à Lyon en 1962 et qu’elle dirigeait et animait, et moi pour qui il était un ami très cher. Les honneurs n’avaient pas changé Émile Biayenda. La Pape Paul VI, ne s’était pas trompé en choisissant Émile Biayenda comme successeur des Apôtres au Congo.

Le miracle d’Ars

Après cette soirée mémorable du match Italie-Brésil, j’avais accepté de conduire Émile à Ars. Il tenait beaucoup à ce pèlerinage. En fin d’après-midi nous partîmes pour Ars en voiture l’Archevêque, son secrétaire et moi. Arrivés au cœur de la Dombe, le brouillard nous surprit, la nuit était tombée. Parvenu à un carrefour, il m’était impossible de retrouver la route d‘Ars. Devant mon inquiétude et la perspective de revenir à Lyon, Émile me dit « Ne vous inquiétez pas, je vais prier pour nous ». Ce qui fut fait et le brouillard se dissipa juste assez pour que je retrouve la route d’Ars. Après des années, je suis persuadé que c’est bien la prière d’Émile qui a chassé le brouillard de la Dombe. Ce soir-là, rien d’autre, même pas le vent, n’aurait réussi à le faire. Il est évident pour tous ceux qui ont connu Émile Biayenda, premier Cardinal du Congo Brazzaville, qu’il était un Saint, humble, militant et joyeux. Il mérite par son double martyr, par sa vie, par son pardon accordé à ses bourreaux avant de mourir de figurer parmi les Bienheureux de notre temps

 

 


 
 
 
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