Mgr Bienvenu MANAMIKa Archevêque de Brazzaville
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LA MÉMOIRE BIAYENDA


 
 
 
 

« Le Cardinal Émile Biayenda est un bon exemple pour le prêtre et l’évêque congolais »

Père Joseph Le Badezet

Il avait 99 ans quand il a plu au Seigneur de rappeler à lui, le Père Joseph Le Badezet. C’est le 10 février 2014 à Chevilly-Larue en France, qu’il est entré dans la Vie éternelle. Missionnaire de la Congrégation du Saint-Esprit, il a œuvré au Congo depuis 1946, avec le Père Gaston Schaub. Au moment de rentrer définitivement en France, nous l’avons rencontré pour nous livrer, à battons rompus, le condensé de sa vie. Il avait encore ses 95 ans qu’il portait bien, avec son sourire et son humour bien reconnus.

Père Joseph Le Badezet

La Mémoire Biayenda : Père Le Badezet, vous portez bien vos 95 ans, quel est le secret de votre longévité ?

Père Le Badezet : Au point de vue médical, j’ai mangé beaucoup de fruits ; la viande pas beaucoup. L’autre secret, c’est la marche à pied. Je crois que cela m’a gardé. La marche, c’est le meilleur des sports. Je n’avais pas de véhicule ; j’en avais peur. J’étais sûr de mes jambes solides. Toutes mes tournées ont été faites à pied, sauf quelques fois, par hasard.

La M.B. : Comment êtes-vous arrivé en Afrique. Le début de votre vie missionnaire.

P. L.B. : Je suis arrivé en Afrique en même temps que les Africains qui avaient combattu pour la France pendant la deuxième guerre mondiale ; ceux que la France ramenait chez eux. La première messe que j’ai célébrée en Afrique disait : « Je te conduirai, dit le Seigneur, dans une terre où coule le lait et le miel… » C’est le Congo. J’ai été en communauté pendant longtemps avec le Père Schaub, qui connaissait bien la langue lari, et le Père Rameaux. Pendant huit ans, j’étais missionnaire à Kindamba. Ce qui me plaisait le plus ce sont les tournées pastorales à pied et l’enseignement du catéchisme.35 kilomètres à pieds, c’est long avec un sac à dos ; par contre, 10 kilomètres, c’était une promenade.

La M.B. : Enseigner le catéchisme représentait quoi pour vous ?

P. L.B. : Le catéchisme me manque. On donne aux enfants dès le début de leur vie, des lumières, des repères pour se retrouver. J’étais catéchiste et directeur des écoles.

La M.B. : Parlons de votre sacerdoce. Comment l’avez-vous vécu ?

P. L.B. : C’est une chose très grande. Je crois que je n’ai compris ce mystère qu’au bout d’un certain temps. C’est quelque chose d’extraordinaire. J’ai compris que la confession est un ministère très difficile. Quand on peut dire à quelqu’un : « Le Bon Dieu continue à t’aimer, lève-toi et marche », il n’y a aucune joie plus grande que celle-là. L’eucharistie, c’est ma joie. Je ne peux pas vivre sans elle.

La M.B. : A 95 ans, quelles leçons retenez-vous de la vie. Qu’est-elle pour vous avec du recul.

P. L.B. : La vie est un cadeau que nous a fait le Bon Dieu, même si elle a quelques couleurs difficiles à accepter. J’ai été prisonnier en Allemagne pendant la guerre. Je n’ai fait de mal à personne. Quand je m’étais évadé, ma sentinelle n’avait pas tiré sur moi, alors que c’était un grand Nazi. La guerre, c’est quelque chose d’idiot. Il faudra bien qu’un jour les juifs et les Palestiniens s’assoient pour faire des concessions, comme la France et l’Allemagne étaient obligées de le faire.

La M.B. : Vous avez longtemps servi au Congo, ce pays vient de célébrer ses 50 ans d’indépendance…

P. L.B.  : Je suis content qu’il soit indépendant. Un pays doit être indépendant. Seulement, il y a quand même de gros problèmes. Peut-être que la France ne l’a pas assez préparé à cette indépendance. On manque de chefs qui soient toujours compétents et honnêtes.

La M.B. : Comment aviez-vous vécu vos premiers contacts avec les Africains en venant au Congo ?

P. L.B. : C’est une bonne et difficile question. Je croyais être supérieur aux Africains. Heureusement, mes tournées m’ont guéri de cette illusion. J’ai vu que les Africains étaient des hommes et des femmes comme nous. Leur accueil était très formidable. J’ai vu qu’avec très peu de choses, ils pouvaient vivre et survivre quelques fois. Et ils acceptaient tout cela comme un cadeau du Bon Dieu. Vraiment, j’ai été converti par les Africains. Ils m’ont ramené un peu d’humilité.

La M.B. : Vous étiez aussi sportif. Vous aviez accompagné des équipes de football du Congo.

P. L.B. : Oui. (il sursaute et sourit). Mon équipe était deux fois championne du Congo. C’était l’ASM ; l’Association sportive de la Mission qui s’appelle aujourd’hui Diables-Noirs. Il y avait dix équipes quand je suis arrivé ici. C’était de grands footballeurs.

La M.B. : Vous partez définitivement du Congo, la mort dans l’âme…

P. L.B. : J’ai passé 64 ans de ma vie au Congo, depuis 1946. Alors, je pars. Je voudrais bien revenir ; ce n’est pas sûr. Je pars avec un peu de mélancolie. J’aurais bien voulu être enterré auprès de ceux qui m’ont accueilli quand je suis arrivé : Sœur Clotilde, le Frère Jean Marie, le Père Schaub, et beaucoup d’autres partis avant moi.

Dans quatre ans et six mois, je serai centenaire, si Dieu le veut… (Hésitations). J’ai cru aux vœux de mes paroissiens (paroisse Saint Kisito). Mais, maintenant, j’ai beaucoup de doutes. Je ne crois pas que j’arriverai à 100 ans. Mais ce n’est pas important. C’est comme le veut le Bon Dieu.

La M.B. : Le Congo a reconnu vos mérites et vous a décoré. Est-ce consolant ?

P. L.B. : On m’avait proposé la Légion d’honneur, deux fois. J’avais refusé. Je ne suis pas venu ici pour avoir les honneurs. J’avais été piégé par le Nonce qui l’avait obtenu du gouvernement congolais pour que je sois nommé Officier du mérite congolais. C’est Mgr Anatole qui m’avait donné cela devant tout le monde.

La M.B. : Missionnaire, envoyé par le Seigneur au service de son peuple qui est au Congo. Quelle est votre relation avec Dieu ?

P. L.B. : Notre relation n’a pas toujours été facile. Le Bon Dieu te demande quelques fois des choses difficiles. Je n’ai pas toujours répondu à ses attentes. Le Dieu auquel je crois est celui que Jésus m’a révélé. Il est trois : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. C’est Celui qu’un amour infini unit dans le Dieu unique. Il m’a créé, il m’aime ; il me protège, me garde, me connaît et m’appelle ; il me conduit et me pardonne. Le Bon Dieu est dans le voisin le plus proche.

La M.B. : Vous lisez beaucoup et suivez la radio, depuis toujours.

P. L.B. : J’écoute. Je veux savoir si le monde continue à tourner ; savoir ce qui se passe en ce monde. Je suis Breton ; les Bretons, ça connaît le monde entier. Je lis souvent les romans policiers avec beaucoup d’intérêt et de curiosité. Ils me montrent le monde tel qu’il se vit et se réalise. Il y a des bandits et de braves gens ; de policiers véreux et honnêtes… Je lis souvent la revue Science et vie.

La M.B. : Après 95 ans et 4 mois, quelle appréciation faites-vous du monde tel qu’il va ?

P. L.B. : J’ai quand même une appréciation positive du monde. Il y a de bandits et des crapules, c’est vrai. Mais, il y a également beaucoup de braves gens. J’en connais un grand nombre un peu partout. Quand je suis arrivé au Congo, j’avais l’impression que ce pays montait ; mais je crois maintenant qu’il descend. Et j’ai un peu l’impression que le monde qui a oublié Jésus est en train de dégringoler.

La M.B. : Avez-vous connu le Cardinal Émile Biayenda ?

P. L.B. : Le cardinal Émile Biayenda était de ma mission de Vindza. Je l’avais rencontré une fois en bras de chemise portant des briques pour la construction d’une maison à Maléla Bombé… Pour moi, c’est un saint. Je souhaite qu’il soit canonisé, car c’est vraiment un bon exemple pour le prêtre et l’évêque congolais ; un bon exemple pour tous les cardinaux, même ceux de la Curie. Il avait un bon accueil. Tu te sentais toujours attendu ; il ne dérangeais jamais. J’ai eu l’occasion de dîner avec lui lorsqu’il venait voir ses parents. Il s’arrêtait à la Mission, gentil, joyeux, parlant… On sentait chez lui vraiment une vie profonde. C’est, qu’il priait. Lorsque je prêche, il m’arrive très souvent de redire : le Cardinal Biayenda, vous dites que vous l’aimez. Mais faites ce qu’il vous dit. Il nous demande de prier et vous ne priez pas. Il vous demande de prier en famille, et vous ne le faites pas.

La M.B. : Un proverbe dit : « Si jeunesse savait, et si vieillesse pouvait ! » Quel conseil donneriez-vous aux jeunes du Congo, vous qui avez eu à accompagner la jeunesse pendant votre mission, sans cesse.

P.L.B. : Jeunes chrétiens du Congo, c’est vous qui êtes l’avenir du Congo. C’est vous qui serez demain les dirigeants du pays. C’est vous qui vivrez le Congo. Si vous avez oublié Jésus, retrouvez-le. Retrouvez la vraie vie chrétienne et vous serez heureux.

La M.B. : Et à l’endroit des familles, quelle exhortation ?

P. L.B. : Faites des familles chrétiennes. Le mariage n’est pas quelque chose de facile ; c’est quelques fois difficile. La famille chrétienne, c’est quelque chose de solide, de bon.

La M.B. : Un mot à l’endroit de l’Église du Congo que vous avez servie pendant 65 ans.

P. L.B. : J’ai essayé de vivre comme un vrai prêtre. Je pense que le Bon Dieu va m’accueillir un peu comme le Bon Larron. Vous séminaristes, et vous prêtres congolais, soyez prêtres du fond de votre cœur. Vous n’êtes pas autre chose, vous êtes prêtres. Et, c’est une grande joie. La confession, la communion, le catéchisme ; quel métier est supérieur à cela ? Il n’y en a pas. Disponibilité ! Soyez toujours disponibles, compétents. Travaillez, travaillez, travaillez ! L’humilité. Ne soyez pas orgueilleux. Ce n’est pas parce que vous êtes prêtres que vous êtes meilleurs chrétiens. Il y a des chrétiens qui sont meilleurs que nous. Alors, essayez humblement de marcher avec le Bon Dieu. Relisez le prophète Michée.

Propos recueillis par
Père Maurice MILANDOU CSSp.

 


 
 
 
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