Mgr Bienvenu MANAMIKa Archevêque de Brazzaville
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LA MÉMOIRE BIAYENDA


 
 
 
 

Émile Biayenda : L’homme, le pasteur, le sociologue et le théologien

Personnellement, je n’ai pas connu le cardinal, mais ma curiosité m’a amené en tant qu’ancien séminariste de Mbamou en 1985 et journaliste à La Semaine Africaine, à faire une relecture de la vie de l’homme, le pasteur, le sociologue et le théologien. Ce sont donc toutes ces dimensions qui m’ont intéressé à travers sa vie. Même s’il y a un proverbe Kongo qui stipule que Wa fwa, wa toma, j’évoquerai la mémoire de l’homme à travers ceux qui l’ont connu et côtoyé.

L’homme : Émile Biayenda

Sur la vie du Cardinal Émile Biayenda, je retiens un témoignage d’Antoine Letembet-Ambily qui au cours d’un cours de littérature négro-africaine à l’Université Marien Ngouabi nous disait : «  ...l’exemple de vie du Cardinal depuis Mbamou où je l’ai connu a été pour moi, plus qu’un témoignage. Émile respirait la douceur, le calme. Sa présence rassurait tout le monde, enseignants et séminariste... »

On dit du Cardinal qu’il n’était pas arrogant ; il n’était pas habité par la folie des grandeurs. Il était simple et humble et l’abbé Adolphe Tsiakaka en intitulant son ouvrage : Émile Biayenda, la grandeur d’un humble, résume bien cette attitude.

L’homme Biayenda, même s’il n’était pas un grand footballeur au séminaire Saint-Paul de Mbamou, était avenant, chaleureux, ouvert et discipliné. Ceux qui l’ont connu témoignent également de sa passion pour les livres, sa curiosité sur le monde qui nous entoure.

Le Pasteur et le théologien Émile Biayenda

Sur le plan pastoral, on retiendra du Cardinal, outre sa dévotion mariale, trois préoccupations pastorales majeures : - la pastorale de l’éducation ; - la pastorale de la famille ; - et la pastorale du développement.

À travers ses messages et ses lettres pastorales (1972-1977) que j’ai eu le plaisir de parcourir, il insistait sur l’éducation des jeunes, la prise en charge de la jeune fille. Car, selon lui « l’éducation est un véritable enfantement, une épreuve, un sacerdoce, une vision au plein épanouissement de l’être tout entier ».

La pastorale de l’éducation

Aujourd’hui, un regard sur la jeunesse congolaise montre bien qu’elle est en perdition, les sociologues diraient même qu’elle est « déclassée », « essoufflée », « abandonnée » à elle-même. Les exhortations du Cardinal sur ce sujet ne peuvent nous laisser insensibles. Sur cette crise morale de la jeunesse, d’autres phénomènes sociaux se sont greffés au Congo-Brazzaville, à savoir l’apparition et la multiplication des enfants de la rue, des enfants soldats et des filles mères.

Oui, l’éducation des jeunes est aussi liée à la question des infrastructures. Mais quel est l’état de nos écoles aujourd’hui ? Lorsque l’on sait que le taux de scolarisation au Congo était l’un des meilleurs en Afrique centrale.

La pastorale de la famille

L’éducation ne peut se concevoir sans un soutien à la famille. Pour le Cardinal Émile Biayenda, la famille est « cette cellule de base de toute société » [qui] « restera le lien où se réalise et s’épanouit l’espérance de l’amour réel et vrai ». Or Si nous considérons les profondes mutations des familles congolaises aujourd’hui, une réflexion s’impose, il faut repenser toute la politique familiale au Congo, car de la vulnérabilité de nos familles dépend la persistance de certains maux que nous décrions aujourd’hui comme : la destruction du lien familial ; la dépravation des mœurs ; la permissivité morale ; la prostitution ; le phénomène de la « sorcellerie » ; la question du Sida et des maladies sexuellement transmissibles.

D’où la proposition du Cardinal d’évangéliser nos familles. Cette évangélisation, disait-il, sera « le premier remède à la crise que connaît nos familles ».

La pastorale du développement

« La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant », écrivait saint Irénée. Devant la paupérisation grandissante des Congolais, face à la misère qui sévit dans les ménages, le Cardinal exhortait les chrétiens « à la participation au développement ». Il avait pour ainsi dire une vision juste de notre société. Le vrai chrétien, estimait-il, « est celui qui se range toujours du côté de ceux qui travaillent pour le bien de l’humanité et de son pays ».

Cette vision pastorale rejoint également celle de Jean-Marc Ela, sociologue et théologien camerounais, qui dans son ouvrage « Repenser la théologie africaine », s’interroge sur le nouveau discours théologique en Afrique.

Face à la misère, la faim, le chômage qui frappe la plupart des jeunes africains, quel discours nos pasteurs doivent-ils tenir ?

Le monde comme le constate l’exégète Paulin Poucouta « est en pleine tempête. L’Afrique est en ébullition [... ] La mission de l’Église est de continuer à témoigner d’une espérance forte et réaliste qui s’enracine dans la mort et la résurrection de l’Agneau ».

De plus en plus de théologiens reconnaissent qu’il faut une nouvelle évangélisation en Afrique. C’est le cas du pasteur Kâ Mana, pour qui « nous sommes devenus une société sans intelligence, pour avoir tué les conditions et les bases mêmes de l’intelligence ».

D’autres encore, comme Léonard Santedi Kinkupu, doyen des Facultés théologiques de Kinshasa, prônent une théologie de l’invention.

En tant que pasteur, le Cardinal Biayenda n’était pas qu’un « fou de Dieu ». Il était attentif aux soucis des hommes et des femmes de son époque. Faisant ainsi de ses exhortations des « forces sociales » dignes de l’enseignement social de l’Église. C’est d’ailleurs, ce qu’écrit Jean-Marc Ela, dans son ouvrage « Le cri de l’homme africain »,, notamment sur la perception du clergé « la perception et la conception que nous avons du clergé en Afrique circonscrivent le rôle de l’Église à sa fonction liturgique [...]. Or, la religion ne se réduit pas à un rapport avec le surnaturel, elle apparaît aussi comme force sociale en elle, car l’homme peut puiser des possibilités contestatrices de l’ordre établi ».

Brice Arsène MANKOU

 


 
 
 
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