Mgr Bienvenu MANAMIKa Archevêque de Brazzaville
Accueil > JOURNAL LA MÉMOIRE > 154 > CONSTRUIRE LES CHEMINS DE PAIX ET DE DIALOGUE AVEC LE CARDINAL ÉMILE (...)

LA MÉMOIRE BIAYENDA


 
 
 
 

CONSTRUIRE LES CHEMINS DE PAIX ET DE DIALOGUE AVEC LE CARDINAL ÉMILE BIAYENDA

Le dialogue est au cœur de la vie du Cardinal Émile Biayenda, « une attitude qui est en rapport avec la compréhension de l’autre, dans un monde où les antagonismes semblent chaque jour plus importants ». Cette qualité lui permettra, sa vie durant, de proposer des solutions pour dénouer des crises, en excluant les solutions de violence. Pour cela il ne cessera d’inviter, comme au village dans les mboongi, les chrétiens et les hommes de bonne volonté, à s’asseoir et à s’écouter. « Ceci nous obligera à nous regarder les uns des autres », a dit le Cardinal Biayenda. Enfants du même Père, nous verrons mieux ce qui nous unit et nous divise. Reconnaissons les obstacles qui entravent l’unité intérieure de notre Église, l’unité entre les chrétiens, l’unité et l’harmonie entre citoyens de notre nation. Que cette réflexion soit faite d’abord sur notre propre vie. Développons-là ensuite en commun avec nos frères. Ne craignons pas de nous remettre en question, c’est-à-dire de reconnaître nos propres torts. Les divisions qui nous éloignent ou nous opposent à nos frères se révéleront à nous.

Ce texte que nous vous proposons, tiré de la lettre pastorale adressée aux chrétiens de l’Archidiocèse de Brazzaville, daté du 6 novembre 1973, reste encore d’actualité. Il dévoile les chemins qui conduisent à la paix.

Pour le Cardinal Émile Biayenda, la paix ne peut se construire que si les deux parties prennent la peine de s’asseoir et de se parler, de se respecter et de s’écouter. S’asseoir avec l’autre suppose que son regard sur cet autre change.

Le Cardinal Émile Biayenda (1er plan) tout souriant à l’écoute des fidèles

D’où la nécessité pour les personnes de marcher au préalable sur le chemin de la conversion autrement dit du retournement, pour pouvoir changer d’attitude vis-à-vis de son interlocuteur et de favoriser un environnement propice au dialogue.

« La réconciliation et la paix, dira le Vénéré pasteur, commencent toujours par une conversion profonde de chacun. (...), nous pourrons alors rencontrer les autres au plan de la fraternité humaine ». La vie du chrétien se nourrit de la conversion au Dieu vivant, à la suite du Christ et dans e communion du Saint-Esprit.

Elle est avant tout une existence -dans l’amour partagé avec Jésus qui nous a aimés le premier (1Jn.4,19) C’est dans cette dynamique, avec le levain du Christ, que le Cardinal Émile Biayenda a engagé sa vie au service des croyants et de ses frères en humanité.

Les églises chrétiennes

Le Cardinal Émile Biayenda a œuvré au rapprochement des églises chrétiennes du Congo. Il croyait en l’homme, et l’homme est la route de Dieu. Pour lui, tous sont enfants de Dieu et donc appelés à suivre le chemin de la non-violence, de la justice sociale et de la paix, indépendamment de sa religion et de son ethnie.

L’irruption de Jésus dans la vie des hommes, bouleverse et renverse l’ordre établi. Il vient rapprocher les hommes entre eux, et détruire les frontières qui les éloignent, les uns des autres. Jésus est la passerelle des hommes. Quelque soit la diversité des églises chrétiennes, les chrétiens forment un seul corps dans le Christ et tous y sont membres.

Le Vénéré pasteur avait compris que les églises chrétiennes doivent avoir une action commune en faveur des Congolais, pour combattre la pauvreté et l’ignorance, pour favoriser la paix et préserver la vie. C’était pour lui, l’expression de cet œcuménisme pratique.

La manifestation parfaite de la victoire du Christ, c’est l’amour. Porté par cet amour, il voyait dans les autres responsables des confessions chrétiennes, des frères. Ainsi privilégiait-il les relations humaines, parce que comme dit Isaïe, « le juste est humain ». « C’est le premier évêque. témoignera le Pasteur Buana-Kibongui, de l’Église Évangélique du Congo, qui a passé la nuit à la Mission évangélique de Musana, en partance pour Mbanza-Nganga. On a mangé ensemble, on s’est entretenu. Il a été mon ami. Je l’ai beaucoup respecté. Il était franc dans son propos » (Tsiakaka, A., 1999, 117).

Valorisant les relations humaines, le Cardinal Émile Biayenda pouvait discuter d’égal à égal avec les responsables des autres confessions religieuses, pour chercher ensemble des voies qui permettraient à tous les Congolais de vivre dans la paix et la fraternité, la concorde et la solidarité. Pour le Vénéré pasteur, c’était une manière d’accomplir un pèlerinage commun avec les autres responsables des confessions religieuses dans le respect de la différence mais avec le désir d’une patiente convergence vers l’amitié et l’amour. Dans ce sens, sa démarche anticipait déjà l’esprit d’Assise qui est le contraire de l’autoréférence apeurée qui rend étrangers et ennemis les hommes de religion. En ce sens, l’esprit d’Assise d’unité entre les chrétiens et de dialogue entre les religions est comme une icône qui évoque l’unité du genre humain.

Le Cardinal Émile Biayenda était convaincu que le dialogue entre les Églises ne signifiait pas une perte d’identité ni un fléchissement vers un syncrétisme facile : au contraire, sans confusion mais sans séparation. Le dialogue répond aux raisons profondes de l’amour. Il est un art de vivre dans notre monde fragmenté et dispersé. L’amitié entre les croyants doit résister aux difficultés évidentes et aux différences dans la conscience qu’il n’y- a pas d’alternative au dialogue et doit devenir comme un pôle d’attraction pour tous ceux qui cherchent un monde plus juste et plus humain. Comme l’écrivait Jean-Paul II dans son message à la Rencontre de Lisbonne, le 26 septembre 2000 : « Le dialogue n’ignore pas les réelles différences ni efface la commune condition de pèlerin vers des terres et des cieux nouveaux. Le dialogue invite chacun à renforcer une amitié qui ne sépare et ne confond pas. Nous devons tous être plus audacieux sur ce chemin parce que les hommes et les femmes de ce monde, à quelque peuple et croyance qu’ils appartiennent, peuvent se découvrir enfants du Dieu uniques -et frères et sœurs les uns vis-à-vis des autres ». C’est dans cet esprit que le Cardinal Émile Biayenda va travailler.

Le Cardinal Émile Biayenda et le Président Marien Ngouabi avaient noué de très bonnes relations

Suite à la mort du Commandant Marien Ngouabi, président de la République Populaire du Congo, assassiné le 18 mars 1977, le Vénéré pasteur va initier un message qu’il proposera à ses pairs du Conseil œcuménique au service de la paix.

Extrait du message du Cardinal Émile Biayenda

A tous nos frères croyants, du nord, du centre sud, nous demandons beaucoup de calme, de fraternité et de confiance en Dieu, Père de races et de toutes tribus, afin qu’aucun déraisonnable ne puisse compromettre un climat paix que nous souhaitons tous.

Que dévoile ce message ?

Le Cardinal Émile Biayenda, en incluant les deux points cardinaux : Nord et Sud, et en plus le Centre, convoque tous les Congolais, où qu’ils demeurent sur le territoire national. La raison de cette convocation, mieux de son appel est la paix : « nous demandons beaucoup de calme, de fraternité et de confiance en Dieu, Père de toutes races et de toutes tribus,... ».

En effet, à la suite de la mort du Président Marien Ngouabi, avec qui il avait noué de très bonnes relations humaines, malgré ses convictions marxistes-léninistes, le Cardinal Émile Biayenda, pour endiguer toutes sortes de violence qui ne profiteraient à personne, invitait tous les Congolais quelque soit leurs convictions religieuses et leur rang social, au calme. Il savait fort bien que les préjugés et la haine sont source de violence.

Pour les faire comprendre de vivre cet indispensable climat de paix, il met en valeur d’une part la fraternité et l’autre part la confiance en Dieu, parce que nous avons tous un même Père. Dans cette perspective, il prend en exemple .un symbole fort et très parlant dans la tradition africaine congolaise en particulier : la famille. Le Congo est comparé a une famille, et dans toute famille, entre frères et sœurs, cousins et cousines, oncles et neveux, etc., peuvent survenir des situations difficiles. Mais la grandeur des membres d’une famille, en particulier des Congolais, réside à leur capacité de s’asseoir et de se parler, de s’écouter et de trouver des chemins de réconciliation. Et cela est toujours possible si l’on met au premier rang la valeur du respect de l’autre, avec ce qu’il a de beaux et de noble en lui.

Si les Congolais se considèrent comme des frères et sœurs, s’ils ne mettent entre eux, aucune différence, entre le Nord et le Sud, les ethnies et les religions, ou autres stéréotypes humains pouvant viser à les diviser, alors le Vénéré pasteur les invite à ne poser aucun geste déraisonnable, qui ne puisse compromettre un climat de paix que tous les Congolais souhaitent tous.

Cet ardent désir qui habitait le cœur du Vénéré pasteur, celui de vivre dans la paix, ne fut pas suivi. De nombreux Congolais payèrent un lourd tribut, et lui-même. En disciple du Christ, a suivi le chemin de son Maître. Il a payé la paix au prix de sa vie. Les paroles prophétiques qui ne portent pas la signature du Vénéré pasteur, écrites à l’occasion de son décès, probablement par Monseigneur Louis Badila, et exprimant clairement la vision de son sacrifice, sont encore d’actualité

Mpélo Adolphe TSIAKAKA

 


 
 
 
Haut de page