Mgr Bienvenu MANAMIKa Archevêque de Brazzaville
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LA MÉMOIRE BIAYENDA


 
 
 
 

L’impact de la personne d’Émile BIAYENDA dans l’histoire de l’Église particulière du Congo

Le parcours comme le passage d’un grand homme sur terre comporte des indices à partir desquels on peut lire et découvrir la particularité ou l’expression de celui qui, des années durant, a su conduire l’humanité dans la voie du salut. Certaines sources mystiques disent, précisément, avant que les grands ne naissent et ne meurent, il y a dans l’univers des phénomènes, des signes qui précédent et annoncent l’avènement ou l’enlèvement de ces grandes figures prédestinées à changer, à travers les âges, l’image du monde.

Quand ces grands hommes naissent et grandissent, ils sont investis d’une force, d’une patience et d’un courage remarquables leur permettant de ne point faillir face aux vicissitudes de la vie contraignant, à tout bout de leur champ d’investigation, leur volonté. Partout où ils sont passés ils ont marqué la multitude qui plus jamais ne s’est séparée de leurs visages.

Leur modestie, leur sympathie, leur énergie et leur vision du monde … sont restées en mémoire de ceux qui, après eux, voudraient pour des justes causes continuer l’œuvre immense à laquelle l’humanité est conviée. Dans notre pays, il est né un enfant (issu d’une famille paysanne), qui dans son rayonnement est parvenu, d’appréciation en appréciation, à être élevé dans l’Église particulière du Congo à la dignité cardinalice. Il demeure l’unique fils du pays à être ainsi honoré. Émile Biayenda, est-il l’un de ces grands hommes que notre pays, particulièrement, notre Église ait connu ? Les quelques pages que nous lui consacrons, sans faire fi d’autres illustres personnalités de l’Église du Congo, nous auront probablement montré quel est l’impact de la personne d’Émile Biayenda dans l’histoire de l’Église du Congo.

En effet le peuple congolais, notamment la chrétienté de l’Église particulière du Congo, a vu, un jour ou pendant des jours de son histoire, se lever devant lui et dans des domaines précis, des géants, des figures de proue qui grâce à leur dévouement et leur détermination sont parvenus à changer le cours de l’histoire du Congo. Leurs différentes idées se rejoignent en l’unique préoccupation de réveiller, par leur être, leur agir, plus encore par leur dire, la multitude qui de façon continue s’écarte du droit chemin. Dans leur vivant ils ont été et sont la voix du peuple pour lequel nombreux se sont sacrifiés. Ils ont été et sont l’expression des âmes bienheureuses qui à travers eux ont communiqué et communiquent continuellement aux siens. Ces hommes sont (pour ne citer que les hommes d’Église), nos Seigneurs

En 125 ans d’évangélisation, le Congo a eu 14 évêques autochtones dont un Cardinal : Émile BIAYENDA, pour qui nous aimerions nous interroger au sujet de l’impact que pourrait avoir sa personne dans l’Église particulière du Congo Brazzaville. Quelques pistes de réflexions nous seront proposées pour atteindre nos objectifs : Sa naissance et sa jeunesse, son parcours phénoménal, son engagement pastoral, sa mort et enfin l’actualité de sa vie.

Naissance et jeunesse

Il y a trente cinq ans depuis qu’une étoile s’est éteinte au Congo. Cinquante autres années avant un enfant qui sera Émile Biayenda naissait dans un village du district de Kindamba. Il se distingua continuellement par son sens d’humanité. Tous ceux de son époque qui ont vécu avec lui se souviennent aujourd’hui de la particularité qu’avait le visage de Biayenda. Ses amis de l’école primaire de Kindamba (1935 – 1937), des missions Catholiques de Kindamba (1937 – 1942) et de Boundji (1942 – 1944), puis ceux du Séminaire de Mbamou (1944 – 1950) et du grand Séminaire Libermann de Brazzaville (1950 – 1958) : actuel moyen Séminaire Saint Jean, peuvent se rappeler des histoires autour desquelles Biayenda se révélait toujours grand et profond dans son agissement.

Nombreux disent qu’il savait se mortifier. Pendant de nombreuses années : enfant, jeune et adulte, il a été constant dans ses habitudes. Toujours prêt à rendre service sans attendre en retour une quelconque récompense. Très effacé, il favorisait un climat de paix dans tout milieu ou il mettait ses pieds. Jeune, il a su développer en lui le sens du sacrifice pour donner sa vie pour les autres.

Un parcours phénoménal

Le parcours d’Émile fut mystérieux et phénoménal. En effet, sa mortification, la prise au sérieux de sa vocation et la libre coopération au plan de Dieu pour les hommes par l’acceptation volontaire des conseils évangéliques : pauvreté, chasteté et obéissance, lui a valu son brillant parcours. Ordonné prêtre le 26 Octobre 1958 par son Excellence Monseigneur Michel Bernard, il est sacré à Rome le 17 Mai 1970 par Monseigneur Pignedoli et crée Cardinal le vendredi 2 février 1973 par le Pape Paul VI. Biayenda devint Pasteur de toute l’Église du Congo – Brazzaville.

Son message pastoral : la paix, la stabilité sociale, la fraternité et la concorde. Ce message de paix se trouve presque dans les différents écrits laissés par le vénéré disparu. Une paix qu’il a cherchée non par les lèvres, mais par son témoignage de vie.

Son amitié avec le président Marien Ngouabi montrait combien il estimait le peuple Congolais tout entier au-delà des clivages : politique, économique, social et culturel. Ne disait – il pas, « qui parmi vous ira enseigner que le Mbochi sache qu’il est frère du Lari, le Lari frère de du Kouyou, le Kouyou, frère du Vili, le Vili frère du Téké, le Téké frère du Bembé… Que tous les Congolais s’aiment, quelques soient leurs coins distinctifs, car ils sont tous frère ? »

Son engagement pastoral

Émile fut crée Cardinal à une époque ou le Congo était sous la mouvance d’un régime totalitaire très hostile aux idéaux de liberté, de dignité de l’homme que défendait l’Église. Nous savons ce qu’était le marxisme – léninisme dans les années 1970 au Congo. Pour dénoncer les abus d’un tel courant, il fallait supposer, d’ores et déjà, inscrire son nom sur la liste des martyrs de la justice. Pourtant, tel fut l’ouvrage qu’incombait à l’Église par la voix de son Pasteur Émile. Ce dernier, dans son engagement pastoral devait non seulement faire preuve d’un dynamisme excluant toute complaisance et toute incorruptibilité, mais aussi faire preuve d’une sagesse très aiguisée susceptible d’épargner le pire qui probablement arriverait à l’Église du Congo.

Dès son élévation à la dignité cardinalice, Émile fut déjà une offrande offerte à Dieu par le peuple congolais pour l’expiation de ses péchés. Biayenda le savait depuis l’instant auquel il prit connaissance de sa nomination. Par amour pour son peuple et par la continuation des révolutions qu’il avait prises au Séminaire, enfin par obéissance à Dieu le Père, il répondit comme Marie : « Je suis la servante du Seigneur qu’il me soit fait selon ta volonté ». Cet abandon total à Dieu, lui permit d’évacuer la peur, les honneurs, les privilèges, les intérêts, les passions… pour ne faire plus qu’un seul homme avec le peuple pour lequel il se fit porte–parole devant les autorités politiques jusqu’à en courir le réel danger d’y laisser sa vie. En fait, c’est ce choix qu’Émile fit.

Son discours lors de son intronisation au stade Félix ÉBOUE, en la date du 20 Mai 1973 (5), fut une véritable feuille de route d’un engagement pastoral proportionné à son rayonnement. Il n’eut guère de disproportion entre l’engagement pastoral d’Émile et sa personne. Biayenda annonçait les vérités évangéliques : la paix, la justice, la loyauté, la sainteté, qui en réalité ne s’opposaient pas à sa personne. C’est ce qu’il vivait depuis le Séminaire jusqu’à ce qu’il ait été crée Cardinal. Émile donnerait sa vie pour la justice, la paix, la sainteté.

C’est probablement pour ces raisons, qu’il estimait depuis le Séminaire devenir, un jour, martyr. Conséquemment, dans sa charge pastorale, il a été très engagé et très dévoué. Tous les prêtres du Diocèse dont il a eu la charge reconnaissent d’avoir trouvé en lui les qualités d’un Père qui aimaient les siens et se savaient aimer par ceux–ci. Beaucoup de ceux qui l’ont connu et vu vivre sont restés nostalgiques des moments qu’ils ont passés ensemble. Ils éprouvent tous le regret de l’avoir perdu si tôt.

Le contenu, la profondeur, voire la portée de ses nombreuses lettres pastorales nous enivre de sagesse. Ses réflexions ont une implication considérable dans la vision sociologique, anthropologique…de notre Pays en général et de notre Église en particulier. Biayenda avait la parfaite connaissance des mots qui minaient la vie de ses brebis.

Il savait se taire pour pouvoir écouter. Si bien que dans ses discours, loin d’effleurer la réalité, il touchait de plein pied les préoccupations majeures du peuple. Et avant de répertorier les différentes possibilités pour pouvoir remédier aux différents problèmes socioculturels, il revenait maintes fois sur les valeurs statistiques de la population Congolaise : vieillards, adultes, jeunes et enfants, pour montrer, en effet, combien la situation de ce peuple le préoccupait. Grand homme de science, il a plutôt dissimulé ses grandioses facultés intellectuelles dans le cœur à cœur avec le peuple pour lequel il a eu plus de soucis pendant sa vie, ce peuple pour lequel il s’est livré victime innocente comme le Christ mourant sur la Croix.

Sa mort

La mort de BIAYENDA demeure énigmatique et soulève de nombreuses interrogations. Nombreux auraient voulu qu’il prenne la fuite, c’est-à-dire, qu’il renonce au martyre.

Or la fuite aurait compromis sa personne (Témoin de l’Évangile). En fait, le témoignage et le martyre sont deux concepts compénétrant. L’un ne se comprend ni n’a de véritable sens qu’avec ou dans l’autre. Le témoignage précède le martyr et n’a de véritable sens que s’il a été consommé pour une cause noble et juste, c’est-à-dire, suite à un témoignage authentique grâce auquel la multitude trouve le salut.

Le Christ témoin par excellence fut crucifié au mont Golgotha avec les bandits. Lui, le Fils de Dieu, ayant sauvé l’humanité, n’a pas remué ciel et terre pour se sauver de la croix. Il avait su que la croix était le couronnement de sa vie Témoin. Tous ses actes, ses paroles, ses œuvres et son engagement y trouveront d’ailleurs leur sens. On comprend mieux, par conséquent, ses paroles au Mont des oliviers : « Père que ta volonté soit faite » (Luc 2, 42). Le Christ a sauvé l’humanité par le martyr de la croix en laissant aux disciples l’exemple le plus parfait duquel ils doivent s’inspirer pour dénoncer sans crainte et avec force les injustices et les souffrances causées par les plus puissants aux plus vulnérables.

Pierre, Paul et autres témoins à la suite du Christ, à travers le monde, ont suivi jusqu’au martyr le Maître. Biayenda a fait autant.

En effet, au soir de notre vie Dieu notre Père demandera à chacun ce qu’il aura fait de l’autre.

Gabriel MASSEMBO
Stagiaire Diaconal
A Saint Michel de Ngangouoni

 


 
 
 
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