Mgr Bienvenu MANAMIKa Archevêque de Brazzaville
Accueil > JOURNAL LA MÉMOIRE > 130 > « Monseigneur aidez à leur développement les œuvres commencées (...)

LA MÉMOIRE BIAYENDA


 
 
 
 

« Monseigneur aidez à leur développement les œuvres commencées »

Mgr Théophile Mbemba à son coadjuteur Mgr Emile Biayenda, peu avant sa mort

Le premier archevêque congolais, Mgr Théophile Mbemba est sérieusement malade, il est admis à l’hôpital général de Brazzaville, l’actuel Centre Hospitalier et Universitaire de Brazzaville, le 25 Mai 1971.
C’est dans ce centre hospitalier qu’il rend l’âme le 14 juin soit 20 jour plus tard.
Avant sa mort, l’Archevêque malade demande à son coadjuteur de ne pas surseoir sa visite pastorale dans la partie sud du diocèse. Faisant appelez son coadjuteur, il lui chuchote une phrase à l’oreille comme un consigne qu’il laisse.
Découvrons, ensemble, cette consigne, telle que l’a écrite Monseigneur Émile Biayenda dans un de ses cahiers journaux.

De retour à Brazzaville, la fin du mois de mai va être mise à dure épreuve par la santé de Monseigneur Théophile Mbemba. Dès le 25 mai, le Docteur Castellan est appelé pour les soins d’urgence. L’Archevêque de Brazzaville ne mange presque plus, par perte grave d’appétit. Les examens révèlent un taux élevé de sucre dans le sang.

Le 26 mai, le malade est admis à l’Hôpital Général de Brazzaville, au deuxième étage, dans la salle n°50. Pendant que les Dr Bordes et Castellan s’activent sur le malade, Monseigneur Biayenda est autorisé à rester à côté de son évêque. Il le fait dans la prière jusqu’à midi, en confiant la santé de son confrère aîné à Notre-Dame du perpétuel secours.

Le soir du même jour, après avoir obtenu l’accord du patient, il lui administre l’Onction des malades, en présence du Père Didace Malanda, de l’Abbé Louis Badila et de M. Marc Nkazi, le cuisinier de la maison épiscopale. Une religieuse infirmière, Sœur Élisabeth, est de garde, ce soir-là dans le service. Au moment où Monseigneur Biayenda quitte la salle, l’Archevêque malade le rappelle vers lui et lui chuchote à l’oreille : « Aidez à leur développement les œuvres commencées ». La succession est faite, le coadjuteur avec droit de succession ne peut se dérober. Il n’est plus Simon de Cyrène qui a aidé Jésus, jusqu’à ce jour, à porter sa croix ; il prend la place de Jésus, il porte la croix, il monte vers le Calvaire. Un mois et neuf jours après son ordination épiscopale, Monseigneur Biayenda, qui vient de donner le sacrement des malades à son évêque, dans cette chambre n° 50 du deuxième étage de l’Hôpital Général de Brazzaville, a humblement répondu : « Oui, Monseigneur ! ».

Le lendemain, l’état du malade s’améliore, il reçoit la Mère générale des Filles de la charité qui est arrivée à Brazzaville, pour ouvrir une communauté à la paroisse Jésus Ressuscité du Plateau des 15 ans. La bénédiction de la première pierre de la nouvelle église en construction a été déjà faite par Monseigneur Biayenda.

Dans les paroisses, des prières sont faites pour soutenir Monseigneur Mbemba

La messe en l’honneur des Martyrs de l’Ouganda, ce 3 juin, est dite à la Cathédrale pour lui. C’est la période des confirmations, Monseigneur Biayenda parcourt aussi les paroisses de Brazzaville ; ses visites à « notre cher malade », comme il l’appelle maintenant sont quotidiennes. La santé de celui-ci ne s’améliore plus, même s’il a recommencé à manger. Monseigneur Biayenda n’hésite pas à aller lui-même chercher ce que l’estomac et le bon vouloir du malade peuvent tolérer. Les Sœurs dominicaines de la Rue Mbochis en sont édifiées. Elles témoignent : « Sa délicatesse pour soigner, réconforter, assister Mgr Mbemba, à ses derniers moments, jusqu’à lui chercher partout les carottes qu’il désirait manger avant sa mort, nous a vraiment édifiées ».

Le mercredi 9 juin 1971 : notre cher malade accomplit ses 25 ans de vie sacerdotale. Ce jubilé d’argent d’un aîné évêque enchante Monseigneur Biayenda, qui note dans son cahier journal : « Je suis allé, dans sa chambre d’hôpital N° 50, offrir la sainte Messe et ainsi, bien que couché, il a pu concélébrer avec moi ». Le projet d’une visite pastorale à Kindamba impose son imminence à l’évêque coadjuteur. Il hésite d’y aller, il pense même y envoyer l’Abbé Louis Badila, Vicaire Général. Notre cher malade est ferme, il demande à son coadjuteur de partir : « Allez, s’il y a quelque chose, on vous téléphonera », me dit-il. On se dit au revoir et je lui donne ma bénédiction. Il la voulait toujours. En quittant un malade, il faut toujours le bénir. Cela est un grand réconfort pour lui.

Le Père Soudant est venu me voir et m’a laissé sa bénédiction, nous dit-il lors de nos premières visites, où on allait le quitter par de simple au revoir seulement.

L’obéissance est une vertu qui n’a jamais perdu sa place dans la vie de Monseigneur Biayenda ; il quitte Brazzaville, prend le repas de midi à Mindouli et atteint la paroisse St Théophile de Kindamba, à 17 heures. La joie de l’accueil et l’instruction des confirmants allègent son fardeau de pensées tendues vers le cher malade. Est-ce pour longtemps ? Il ne le peut : les 285 confirmations finies, ce dimanche 13 juin, après le repas, il faut repartir pour Brazzaville.

Il passe la nuit à Mindouli, n’ayant pas d’autres nouvelles de Brazzaville.

La mort d’un père

Le lundi matin14 juin, alors qu’il a fini de célébrer la messe et se tient encore devant le Saint-Sacrement pour l’action de grâce, on vient lui annoncer le décès de Monseigneur Théophile Mbemba, survenu à 5h du matin. Tout va aller très vite : « Sans plus rien demander, nous précipitons, en pleurs, le départ pour Brazzaville… A Kinkala, nous prenons une tasse de café à la mission et continuons notre chemin pour arriver à l’évêché vers 11h. Le corps de notre vénéré frère a été lavé et habillé en habits épiscopaux et déposé encore à la sacristie. J’arrive, je l’embrasse et nous pénétrons dans le chœur de la Cathédrale archicomble de monde en prière et bientôt en sanglots. Monseigneur sera ainsi, jusqu’à minuit où nous procéderons à la mise en bière…La veillée priante et émouvante continuera toute la nuit. La messe des funérailles aura lieu demain, à 15heures, sur la place de l’Archevêché. Yaya bien aimé, reposez en paix ! ».

« Brazzaville fait d’émouvantes funérailles à son archevêque défunt, Mgr Théophile Mbemba » ; « Une vie exemplaire ». Plus de vingt mille personnes assistent à la messe des funérailles. « Le Gouvernement de la République Populaire du Congo était représenté par Me Aloys Moudileno-Massengo, ministre de la Justice et de l’Information. C’est M. le Ministre qui lit le message du Président de la République du Congo et décore, à titre posthume, Mgr Théophile Mbemba, le faisant « Commandeur du mérite congolais ». Dans son message, le Commandant Marien Ngouabi a souligné le sens de la dignité et de la responsabilité du défunt ; mais plus son esprit conciliateur entre l’Église et l’État : « Il s’en va, dit-il, en laissant derrière lui aucun fossé entre son Église et l’État »..

Qui était Mgr Théophile Mbemba

Celui auquel Monseigneur Biayenda va désormais succéder peut être considéré comme son prédécesseur, non seulement dans la prêtrise et l’épiscopat, mais aussi sur les chemins de la sainteté. Né le 6 mai 1917, au village Mpiaka (Brazzaville) de Joseph Bounkazi et de Marie Malounga ; septième d’une fratrie de neuf enfants dont six garçons et trois filles, tous, aujourd’hui chrétiennement décédés. Baptisé en 1925, à la Mission de Kindamba (la même que Biayenda Émile), scolarisé en 1927, à l’école Jeanne d’Arc de Brazzaville où éclot sa vocation. En 1930, il est admis au Petit Séminaire de Brazzaville, dans une promotion de neuf postulants dont deux parviendront au sacerdoce. Il fait ses études secondaires au Cameroun, au Séminaire d’Akono, en 1934, puis au Grand Séminaire de Yaoundé à partir de 1936. De 1939 à 1945, il est au Séminaire St Jean de Libreville. Il est ordonné prêtre le 9 juin 1946, à Brazzaville ; il enseigne au Petit Séminaire St Paul de Mbamou, pendant une année, puis il est vicaire à la paroisse St Joseph de Linzolo, de 1947 à 1949, avant d’aller contribuer au développement de la mission Notre-Dame Auxiliatrice de Voka, de 1949 à 1956. La même année, il est affecté comme Curé de la paroisse Notre-Dame du Rosaire de Bacongo, à Brazzaville. Curé doyen du territoire de la sous-préfecture de Brazzaville, en 1958, Vicaire Général en 1960 et responsable de la fraternité du District de Brazzaville et de l’Union Sacerdotale.

Mgr Théophile Mbemba

Le 3 décembre 1961, le Congo apprend avec joie qu’il a son premier évêque congolais. L’Abbé Théophile Mbemba est nommé Coadjuteur de l’Archevêque de Brazzaville. Il est sacré le 11 février 1962, à Brazzaville par Mgr Michel Bernard, accompagné de Mgr Mongo (de Douala) et Mgr Nzila (de Matadi), au cours d’une inoubliable cérémonie dans le stade Éboué. Sa devise épiscopale est à l’honneur de la Vierge Marie : « Esto Mater Propitia, Tu es la Mère Propice, qui vole en avant ». Deux ans plus tard, le 24 juin 1964, Mgr Bernard ayant vu sa démission acceptée, Monseigneur Mbemba est nommé par le Pape, Archevêque de Brazzaville. Il sera intronisé solennellement par le Délégué Apostolique Mgr Belotti, le 7 février 1965.

Monseigneur Théophile Mbemba très marqué par les orientations du Concile Vatican II, fonde deux congrégations religieuses : celle des Frères de Saint-Joseph, et celle des Religieuses Congolaises de Notre-Dame du Rosaire. Comme archevêque, il a adressé à ses chrétiens plusieurs lettres pastorales, dont celle de 1970 pour inviter les fidèles à travailler au développement de leur pays, et celle du 27 février 1971, intitulé : « Devant les conditions inhumaines de la veuve dans notre société, il est coupable de se taire ». La protestation et les solutions proposées se fondent sur un principe évangélique qu’il énonce dès les premières lignes du document : « En ce temps de Carême, regardons en face, en toute objectivité et loyauté, la veuve de chez nous. Si nous affirmons que : « Tout homme est mon frère », nous nous engageons par le fait même à améliorer la situation de la veuve frustrée, hélas, de ses droits les plus légitimes ». Il meurt donc le 14 juin 1971, vingt cinq ans et cinq jours après son ordination sacerdotale.

Comme Archevêque, Monseigneur Mbemba était resté l’homme simple qu’il avait été comme curé de paroisse ou vicaire de campagne ; il ne s’est jamais posé en tribun, ni en prophète ; il n’a jamais voulu jouer au grand homme…

Et pourtant, chacun ressentait que malgré sa simplicité et sa bonhomie, il était le chef, le vieux chef respecté parce que plein de sagesse, de clairvoyante fermeté et de discrétion mais indiscutable autorité. Et surtout, qu’il était le père d’une immense famille, avec bonté et compréhension, sachant parler mais aussi se taire et accepter, en silence, la peine que pouvaient lui faire ses enfants ; parce que, pour donner une dimension nouvelle à ses sentiments humains, il avait, profonde, la chaleureuse tendresse de son cœur de prêtre ».

Avait-il trouvé en Monseigneur Émile Biayenda un digne semblable et successeur ? La réponse affirmative coule de source : il le voulait son successeur ou plus, et avec quelle intuition prophétique ! Pour les deux serviteurs de Dieu, il est permis de chanter : « Exaltavit Humiles », Il a élevé les humbles.

Abbé Albert Nkoumbou
« Ya Sourire »

 


 
 
 
Haut de page