Mgr Bienvenu MANAMIKa Archevêque de Brazzaville
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LA MÉMOIRE BIAYENDA


 
 
 
 

Émile Biayenda, l’homme et son temps

Voici une partie de la biographie du Cardinal Émile Biayenda. Nous la publions in extenso, comme lui même l’a rédigée. La voici dans son intégralité

Mbamou, lundi ce 7 avril 1944

Je naquis en 1927 dans un village du nom de Mfinka Bitungu, appartenant par mon père à la famille Kaounga et par ma mère à la famille Kindamba.

Vers 1929 mes parents abandonnèrent l’endroit où j’étais né et vinrent s’établir dans un campement à 30 km environ du village Kongo et qui prit le nom de Bikubi à croire que c’était un coin de terre très productif et giboyeux à cette époque.

En 1932, j’avais six ans et me livrais déjà aux promenades en forêts avec mes frères aînés et cadets pour empoisonner les ruisseaux et capturer ainsi du poisson, chercher toutes feuilles comestibles, tendre des pièges aux rats.

Une imagination très souvent exacte me faisait prendre dans tout le petit village pour un grand magicien. Voici comment ; La chasse était fréquente, mais je n’y allais pas ; mon âge en était la cause. Dans le village presque désert, j’y restais seul, passant la plupart de mon temps à asperger de vin la statuette en bois qui était sans doute consacrée aux fétiches, afin que la chasse soit bonne. A leur retour, les chasseurs me demandaient de deviner le nom de l’endroit du morceau de gibet caché sous les feuilles. Comme je viens de le dire ci-dessus, ma réponse était le plus souvent exacte et l’une des pattes de l’animal que je prenais pour (kito au lieu de kolo) m’était toujours réservée. Sur ce, j’étais le chef du village me disaient-ils.

En 1935, papa fut choisi par l’administrateur Cadec pour jouer le rôle de policier au Poste de Pangala. Nous quittâmes à regret notre petit coin. Dans ce poste régnait une grande animation. L’aimable dame Cadec choisit la plupart des enfants du poste pour aller désormais jouer avec ses deux petits ; je n y manquai pas. Mes deux grands frères fréquentaient déjà les classes à une école catholique qui était sise à un ou deux km tout au plus du poste. Eh moi ! Papa ne voulait pas que j’aille à l’école.

Vers la fin de 1935, ces amusements puérils cédaient place au goût d’études. Un matin, violant contre les menaces de papa, je me rendis à l’école et je fis inscrire mon nom au moniteur. Craignant les reproches des miens, ce ne fût que vers les 11 heures que je reviens à la maison au lieu de rentrer à 9 ou 10heures. Ayant constaté que je me rendais à l’école. Eh bien ! Me dit papa, te voilà maintenant rendu à l’école, je te l’ordonne volontiers, mais à condition que tu poursuives les cours avec entrain. Pensez-vous que je mis en pratique cette recommandation de papa ? Et oui !

Tous les matins, toutes les une heures et demie à l’exception d’une cause sérieuse je me rendais à l’école, tâchant toujours à être à l’heure, mon petit livre de lecture sous l’aisselle.

En six mois environ, j’avais fini toutes mes notions préliminaires en passant par « alphabet, papa, dragées » et au bout de l’année 1936, je me trouvais au syllabaire 1ère année. Grande fut ma joie en arrivant un jour à écrire Malélabombé et tous les noms de mes parents.

Émile Biayenda

En 1937, à la Pentecôte, le maître Léon Moundaga alla nous laisser à la mission où nous devrions suivre et les cours de catéchisme et de classe. Dès l’entrée, un petit concours me permit de suivre le cours préparatoire 2ème année. Après quelques mois, beaucoup de mes amis reprirent le chemin du village, par suite de l’activité du travail et des classes.

Samedi 7 mai 1938, à l’âge de 11 ans, dans la chapelle Saint Théophile de Kindamba, sur mon front coulait une eau claire, sur ma main brillait une Lumière vive et mon nom de Biayenda trouvait un compagnon « Emile ». Devinez ! C’est mon baptême ; ce baptême qui, à partir de ce jour, me faisait appartenir entièrement à Dieu et à la Sainte Église Catholique ; ce baptême qui me débarrassait ce jour-là du péché originel et de toutes ces convoitises citées au début de ma biographie. Vive ce grand jour !!!

En 1938, je passais au cours élémentaire. Suivre la 1ère année et la 2ème année demandait deux ans, mais hélas !

En1940, après avoir été admis à l’examen officiel, j’eus la malchance au concours à l’école Jeanne d’Arc. Bon fut de doubler le cours élémentaire 2ème année.

La vocation sacerdotale avait déjà pris possession de moi. Les chers Révérends Frères qui me la devinaient, me l’alimentaient. L’amour d’évangéliser le pays, de faire aimer le Bon Dieu de mes parents, de mes amis et de mes ennemis m’enlevait le goût de l’argent et de tous les biens terrestres.

En 1942, quelle joie ! J’étais dénombré parmi ceux qui allaient dès le 29 Avril suivre le C.M. à Kibouendé. Je voyais perspectivement en travers les deux années 1942 et 1943, ma rentrée au séminaire en 1944. Que Dieu soit béni ! En effet, dès cette date, accompagné de mes trois compatriotes (Adolphe Ndouri, Marcel Malonga, Antoine Ngoma et moi-même) je me rendais à « l’œuvre ».

Quitter Kindamba l’on se rendit à pied à Kibouéndé laisse à désirer, mais l’espoir d’aller suivre le C.M. et d’atteindre plus tard les cours du séminaire me voilait toutes ces difficultés du parcours. Dès le début du mois de mai les classes ouvrirent leurs portes et le C.M. nous reçut. Les difficultés comme dans toutes les carrières ne manquaient pas dans ce nouveau cours ; la science acquise aux basses classes s’était disproportionnellement différenciée à celle de ce cours. Ce ne fut que plus tard que nous saisissâmes peu à peu ce que ce cours voulait nous apprendre.

A peine étions-nous habitués aux règlements de ce poste qu’un fait tout à fait outrageant, sinistre nous obligea à nous déplacer, à nous éloigner de nos parents. Lequel ? Monsieur l’abbé Eugène Nkakou, l’un des deux premiers prêtres (missionnaires) indigènes du Congo – Français, monsieur l’Abbé Eugène directeur des vocations sacerdotales et religieuses indigènes, monsieur l’abbé Eugène directeur, professeur, musicien à Saint François Xavier de Boundji n’était plus parmi nous à partir du 24 mai 1943, mais entre les mains bénies de Notre Père Éternel.

Fallait-il abandonner l’œuvre si ardemment organisée par le regretté abbé ? Non ! Notre directeur le Révérend Père Raymond de la Moureyre en fut chargé.

Samedi, veille de la Fête Dieu, 6 juin 1943, à 10 heures et demie du matin tout disciple du C.M. de Kibouendé s’était tenu à bord du bateau « Augagneur » pour se rendre à Boundji et poursuivre ses études. La joie de naviguer sur le fleuve Congo, de contempler le paysage du Haut-fleuve et du pays mbochi, de recevoir nos connaissances déjà installées à Boundji, de visiter au terme de notre voyage la tombe de Monsieur l’Abbé Eugène Nkakou s’était emparé de nous et nous faisait oublier la douleur des piqûres des maringouins et la fatigue de notre long voyage qui dura 22 jours. C’est le samedi 27 juin 1943 que la mission de Boundji nous embrassa.

Comme dans tous les cours, notre mariage avec ce dernier devrait durer deux ans. C’est vraiment un mariage que nous avions établi avec ce cours, car nous ne l’avions quitté aucun jour durant deux ans. Nul, ne s’ennuyait d’y entrer et d’y rester étudier aussi longtemps qu’il lui était possible. Les vacances nous permettant de revoir le pays natal n’y existaient pas, voyant qu’elles occasionneraient de lourdes dépenses. Les sorties scouts et les promenades de jeudi et dimanche seules nous permettaient de visiter l’extérieur de la mission. Un jour nous allâmes visiter la mission de Lékéty ayant pour patronne Notre-Dame. Le manque de prêtres dans cette mission nous attrista.

Quelle joie intense éprouvais-je à la pensée que j’allais un jour raconter mon voyage aux chers parents ! Mais hélas ! L’homme propose, Dieu dispose. C’est à la date du 3 ou 7 septembre 1942 que la Sainte et Divine Providence plongeait en deuil toute notre petite et pauvre famille. Notre bonne, tendre, dévouée et aimable Maman, elle qui jusqu’à ce jour nous couvrait de ses plus bons soins, elle qui durant toute sa vie s’était dévouée corps et âme à ses accomplissements maternels nous quittait à jamais pour l’éternité. Chance et consolation suprêmes furent souhaitées à ceux qui entendirent le léger bruit de son dernier soupir, qui, reçurent son dernier regard qui l’accompagnèrent au lieu de vénération où désormais reposait sa dépouille. Cette triste nouvelle martyrisa vraiment mon cœur, elle me pétrifia… et faillit rompre en moi tout goût de continuer les études.

Heureusement, la nouvelle qu’elle avait reçu le sacrement de baptême des mains de l’infirmier Benoît Nkouka me consola à tout jamais. Maman était morte baptisée sous le patronage de Sainte Joséphine. D’où son nom Biyéla Joséphine. Je me remets entre les mains bénies du Père Éternel. Au mois de mars 1943, après l’examen de passage au C.M.2, mais dont la communication des résultats était renvoyée au mois suivant, la bonté divine me rendit au pays natal et j’y visitai en larmes pour la première fois la tombe de notre feue et très chère Maman.

En avril 1943, je me retrouvais déjà à Boundji, Mes progrès me permirent de suivre le C.M.2, afin d’arriver au meilleur but. Les mois s’écoulèrent comme des secondes et un lundi du 21 Février nous nous mîmes en route pour Fort-Rousset. Le parcours à pied fut très pénible et dura 4 jours de marche. Chacun offrit à Dieu les souffrances endurées et se souhaita la grâce de passer un bon examen. C’était le jeudi 24 février 1944 que nous arrivâmes à Fort-Rousset et nous subîmes les épreuves du Certificat d’Études Primaires Indigènes le samedi 26 février 1944 de 8 heures, du matin à 7 heures du soir.

Nous eûmes comme examinateurs notre Père directeur, l’Administrateur de Fort-Rousset, l’Instituteur indigène de l’école laïque de Fort-Rousset. Tout se passa bien quoique les copies furent envoyées à Brazzaville où elles allaient être corrigées par la Direction Générale de l’Enseignement du Moyen-Congo.

Le lundi du 28 février 1944, l’Administrateur nous céda une de ses grosses pirogues « 5 tonnes » à schimbeck. Celle-ci devait glisser sur la rivière Kouyou puis sur la Likouala pour nous déposer à Mossaka où nous allions nous embarquer pour Brazzaville. Une équipe de dix pagayeurs devait diriger l’embarcation. La navigation allait durer 5 jours. Cette fois le voyage fut très incommode bien qu’on eut dans la tête l’idée de revoir le pays natal. L’argent y était, mais la faim, car les vendeurs faisaient complètement défaut.

Le jeudi du 2 mars 1944, la veille de notre arrivée à Mossaka, sur la Likouala, vers 18 heures une tempête faillit nous abîmer aux fonds des eaux. Sur ce, je me rappelai du sort des apôtres avec Notre Seigneur. Mais la protection de Notre Dame du Perpétuel Secours nous sauva. Vendredi, 3 mars fut notre entrée à Mossaka. Le lendemain, c’est-à-dire, le samedi 4 mars, notre chance nous permit de dire adieu à Mossaka et de nous installer à bord d’Augagneur pour regagner Brazzaville.

Grandes furent notre stupéfaction et notre joie en nous retrouvant ce jour-là à bord de ce même navire qui, en 1942, nous avait amenés pour la première fois de Brazzaville à l’embouchure de l’Alima (Nkounda) où nous avons pris alors plus tard le petit caboteur qui assure le service commercial de Mossaka à Okoyo sur la rivière Alima. Le Capitaine (Monsieur Alphonse) du bateau fut lui aussi très content de revoir ses chers enfants. Durant le trajet de 4 jours, il fit son possible pour nous trouver quelque chose à nous satisfaire. C’est le mardi du 7 mars que le bateau jeta l’ancre devant la douane de Brazzaville.

Au même jour, nous nous représentâmes à Monseigneur Paul Biéchy qui fut heureux de voir sortir de notre petit nombre (groupe) sept futurs petits séminaristes. Il nous accorda quelques jours de vacances et donna aux futurs petits séminaristes la date de leur prochaine entrée au Petit Séminaire.

Le lendemain, mercredi 8 mars, une occasion propice me permit de me rendre à Kindamba. Les Pères de la mission et les Frères furent très satisfaits de mon choix. Je restai avec eux pendant quelques jours et le lundi 13 mars 1944, je me dirigeai vers la maison paternelle. Celle-ci me reçu à bras ouverts. Nous ne nous entretenâmes que pendant très peu de temps, car il me fallait passer le dimanche des Rameaux, 2 avril et les fêtes pascales à la mission catholique de Kindamba. Je quittai donc mes chers bien-aimés parents, le 31 mars, puis que le trajet de Pangala à Kindamba nécessite deux jours de marche à pied.

Mon emploi de temps durant mon séjour à Kindamba fut agréable. Avant de me rendre au séminaire, je crus nécessaire de passer d’abord par Brazzaville et en effet, le jeudi l3 avril, je quittai ma chère mission. Le voyage se fit de Kindamba à Hamon à pied et d’Hamon à Brazzaville en train. Quel agrément ! Le samedi 15 avril, je me trouvai à destination. Je pris contact avec les connaissances pendant quatre jours et le mercredi 19 avril, je pris de nouveau le train avec mes amis séminaristes pour entrer à Mbamou.

Le jour si longtemps attendu était enfin arrivé. Ce fut le jeudi 20 avril 1944 à 17 heures et demi que je mis pied pour la première fois à Mbamou.

Tout me parut beau, mais la rudesse du règlement du séminaire m’effraya. Les Révérends Pères Ramaux et Jean-Marie Morvan (mon baptiseur) et tous les séminaristes nous abordèrent et nous souhaitèrent la bienvenue.

Le séjour allait durer jusqu’au 15 juillet 1950, date de notre fin du petit séminaire avant notre entrée au grand séminaire Libermann du Djoué le 12 octobre 1950.

La fin du Grand séminaire aura lieu en juin 1958 et l’entrée dans le ministère en paroisse à Sainte marie de Ouenzé, le 15 septembre 1959.

 


 
 
 
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